Comment perturber l’Allemagne: “Il suffit de trouver un idiot utile”

La “guerre hybride” de la Russie contre l’Allemagne bat son plein. Le sabotage, la désinformation et le soutien aux populistes provoquent des troubles dans la société allemande. Objectif principal: affaiblir le soutien à l’Ukraine.

Guy Hoeks, K.D. Source: HLN

Dix jours avant les élections européennes de l’année dernière, un Afghan de 25 ans a poignardé un policier à Mannheim, après quoi le policier est décédé des suites de ses blessures. Michael Stürzenberger, un islamophobe célèbre en Allemagne, a également été blessé. Pour les autorités, c’était clair: l’attaque était l’oeuvre d’un islamiste.

Mais un documentaire récemment diffusé sur la chaîne de télévision ZDF jette un éclairage différent sur l’affaire en montrant que plusieurs pistes numériques mènent à la Russie. Quatre jours avant l’attaque, des Allemands ont cherché sur Google “attentat terroriste à Mannheim” et “Attaque sur Michael Stürzenberger”.

L’implication russe dans l’attentat de Munich en février est “tout à fait concevable”.
L’implication russe dans l’attentat de Munich en février est “tout à fait concevable”. © Behlul Cetinkaya/Getty Images

Le politologue allemand Konstantinos Tsetsos n’est pas du tout surpris, bien au contraire. Il voit la menace russe grandir. “La Russie utilise depuis longtemps les réfugiés comme arme contre l’Occident. Par exemple, on a pu voir que de manière inexplicable, de nombreux Syriens se sont présentés massivement à la frontière russe et biélorusse avec la Pologne et la Finlande”, explique cet expert qui travaille pour le groupe de réflexion Metis Institute de l’Université de la Bundeswehr à Munich.

Selon Tsetsos, cet afflux de demandeurs d’asile sans papiers vise à saper le “mécanisme européen de gestion de crise”. Dans le même temps, les réseaux sociaux sont inondés de campagnes de haine russes contre les migrants. “La Russie tente d’influencer les processus décisionnels des démocraties occidentales.”

Des réfugiés à la frontière allemande avec la Pologne.
Des réfugiés à la frontière allemande avec la Pologne. © AFP

Des combattants talibans

La Russie est également active en Afghanistan. C’est là que le Kremlin a formé des combattants talibans pour mener des attaques et au moins deux hommes afghans de ce réseau ont passé un certain temps en Allemagne en tant que demandeurs d’asile, ont révélé Der Spiegel et The Insider.

En février, un Afghan a tué deux Allemands en fonçant sur des personnes avec sa voiture lors d’une manifestation syndicale à Munich. Stefan Meister, expert de la Russie, a qualifié de “tout à fait concevable” l’implication de la Russie dans cette tentative d’assassinat, un autre acte présumé de terrorisme islamique. “Les hommes solitaires sont souvent recrutés en ligne et commettent ensuite des attaques”, a déclaré Meister à l’AD. La Russie a par ailleurs retiré les talibans de sa liste des organisations terroristes.

Sabotage et espionnage

Depuis de nombreuses années, le Kremlin mène une guerre hybride contre l’Occident sur plusieurs fronts simultanément. Il s’agit de semer le chaos et la confusion afin de diviser les sociétés occidentales. Un incident bien connu aux Pays-Bas est la cyberattaque russe déjouée en 2018 contre l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques à La Haye. Et cette semaine, les autorités néerlandaises ont annoncé que l’année dernière, pour la première fois, une tentative a été faite de saboter une institution néerlandaise dans le but de perturber les élections européennes.

Depuis la guerre en Ukraine, la guerre hybride de la Russie contre le reste de l’Europe s’est intensifiée. L’année dernière, une boîte en carton a pris feu dans un centre d’emballage DHL à Birmingham. Quelques jours plus tard, la même chose s’est produit à Leipzig. Les autorités britanniques et allemandes soupçonnent fortement que dans les deux cas, l’auteur était un Russe.

Que l’Allemagne soit une cible prioritaire semble logique compte tenu de la taille, de l’économie et de l’histoire du pays, explique Tsetsos. “L’Allemagne doit assumer davantage de responsabilités en Europe. Mais cela la rend aussi vulnérable.”

Les livraisons d’armes rencontrent une résistance croissante dans la société allemande, un phénomène que Poutine tente d’exploiter en soutenant des groupes d’extrême droite. Lors des soi-disant manifestations pour la paix à Berlin, les drapeaux russes ne sont jamais loin. “Après la chute du mur de Berlin, tout le monde pensait que les problèmes géopolitiques mondiaux allaient disparaître”, explique Tsetsos. “Mais la Russie, par le sabotage et l’espionnage et indirectement par la désinformation et la corruption stratégique, démontre le contraire.”

Fin décembre dernier, le tribunal de Munich a inculpé trois complices allemands des services secrets russes. L’araignée dans la toile était Dieter S. Il était en contact avec un agent russe avec lequel il a parlé d’attaques contre des infrastructures en Allemagne. L’objectif, selon le procureur: saper l’aide militaire à l’Ukraine.

Conscription

La croissance du parti d’extrême droite AfD, qui compte désormais 152 parlementaires, dont certains membres auraient été payés par la Russie, suscite des inquiétudes même au Bundestag. Ils peuvent se retrouver dans des comités importants et prendre des décisions concernant, par exemple, le budget du pays.

“Quiconque croit que rien ne se passe au Parlement allemand est naïf”, déclare Tsetsos. “Ils écoutent les politiciens et transmettent des informations – par voie numérique ou entre quatre murs.” Il suffit de trouver “un idiot utile” pour faire le sale boulot à la place du Kremlin, explique le politologue. “Il suffit de regarder l’ancien chancelier Gerhard Schröder, qui siège au conseil d’administration de l’entreprise publique russe Gazprom.”

Tsetsos est un défenseur des sociétés résilientes en Europe. “Le service militaire ou civique est obligatoire dans plusieurs pays de l’UE”, note-il. Cela aide non seulement à lutter contre une guerre hybride, mais aussi en cas de catastrophes naturelles, par exemple. “En cas d’inondation ou de tremblement de terre, en plus des intervenants de crise actifs et spécialisés, il faut plusieurs milliers de réservistes du secteur civil ou militaire.”

Les citoyens doivent être mieux informés et éduqués, dit-il. “La plupart des gens ignorent la fragilité de nos démocraties. Ils insistent sur les droits, mais oublient les devoirs. Les populistes proposent des solutions faciles et illusoires. Ils sympathisent avec des autocrates comme Poutine. Si ces politiciens se comportent en démagogues, une démocratie peut aussi s’autodétruire.”

“Avant que vous ne vous en rendiez compte, l’histoire sera réécrite”, prévient-il. “Par exemple, en 2035, un jeune de 15 ans ne croira plus que l’Holocauste a eu lieu ou que des hommes ont marché sur la Lune. Sans éducation et sans auto-réflexion critique, il est plus facile de devenir victime d’un endoctrinement généralisé.”

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