“Avant la guerre, beaucoup le traitaient comme un dirigeant faible”: Zelensky, l’acteur devenu chef de guerre

Traits tirés, barbe brune, t-shirt kaki emblématique, assis à son bureau, sur le front ou dernièrement à la Maison Blanche, le président Volodymyr Zelensky est devenu le visage de la détermination des Ukrainiens à vaincre l’armée russe.

Quelques semaines avant l’invasion russe, sa présidence, entamée trois ans plus tôt, semblait en perte de vitesse, l’ancien comédien peinant à tenir ses promesses électorales dans un pays rongé par la pauvreté et la corruption. Facile alors pour ses rivaux de dire que le costume présidentiel était trop grand pour un amuseur public. Et aux Occidentaux de se désoler que le nouveau dirigeant ukrainien se montre incapable de réformer le pays.

“Avant la guerre, beaucoup traitaient l’Ukraine comme un État défaillant, et Zelensky comme un dirigeant faible”, relève l’analyste politique, Volodymyr Fessenko. Quand, à l’aube du 24 février, Vladimir Poutine lance, le regard noir, l’invasion de l’Ukraine, Moscou est convaincu que l’offensive sera courte, que le faible pouvoir ukrainien s’écroulera.

“Nous sommes tous ici”

Kiev, Kharkiv, Lviv, Dnipro, Odessa: toutes les grandes villes ukrainiennes sont frappées, l’armée russe se dirige vers la capitale. “Il y a eu des rumeurs comme quoi (le président ukrainien) allait s’enfuir”, se souvient M. Fessenko.

La réalité est autre. M. Zelensky marque les esprits, apparaissant dans une vidéo filmée devant les bâtiments de l’administration présidentielle, en plein centre de Kiev, flanqué de ses conseillers. “Nous sommes tous ici, nos militaires sont ici, les citoyens, la société, nous sommes tous ici, à défendre notre indépendance, notre Etat”, lance-t-il, regard planté dans la caméra.

Après plus de dix mois de guerre, la fatigue se lit sur son visage et dans ses yeux cernés, mais tous les soirs sa détermination est la même, lorsqu’il s’adresse à la population dans des vidéos mises en ligne sur les réseaux sociaux.

Entre héros et Satan

Entretemps, M. Zelensky et son armée ont infligé des humiliations surprises à Vladimir Poutine: en avril le Kremlin renonce à Kiev, en septembre il perd la région de Kharkiv (est) puis en novembre Kherson, capitale de la région éponyme dans le sud.

Si certains en Ukraine lui reprochent d’avoir échoué à préparer le pays pour la guerre ou le soupçonnent d’une dérive autoritaire, les Occidentaux ne cessent de faire son éloge. Faisant de lui son homme de l’année, le quotidien britannique Financial Times n’hésite pas à le comparer à Winston Churchill, chef de guerre et premier ministre britannique face aux nazis pendant la Seconde Guerre mondiale.

En Russie, à l’inverse, il est présenté comme le chef d’une clique de génocidaires néo-nazis ou de drogués, voire même comme Satan. “L’Eglise orthodoxe russe doit officiellement proclamer que Zelensky c’est l’arrivée de l’Antéchrist !”, s’énervait encore il y a quelques semaines le politologue Araïk Stepanian, à la télévision russe. Mais c’est bien Volodymyr Zelensky, 44 ans, qui a la maîtrise du champ de bataille médiatique, qu’il apparaisse dans Vogue avec sa femme Olena ou à Kherson, quelque jours seulement après sa reprise aux Russes.

Résilience et résistance

Son dernier fait d’armes? Une visite historique à Joe Biden à la Maison Blanche, avant d’être chaudement applaudi par les parlementaires américains, quelques heures après s’être rendu à Bakhmout, point le plus chaud du front dans l’Est. Des images contrastant avec celles d’un Vladimir Poutine qui travaille reclus au Kremlin, la plupart de ses apparitions se faisant par visio-conférence.

Volodymyr Zelensky a aussi usé habilement de sa popularité et des souffrances des Ukrainiens pour arracher plus d’armements, plus d’aide financière de ses alliés. A cette fin, il présente régulièrement son pays en rempart face à l’impérialisme russe, en défenseur des valeurs démocratiques, comme en juin, lorsqu’il a dit devant les députés tchèques que Moscou visait “un vaste territoire de Varsovie à Sofia, de Prague à Tallinn”. Il est aussi incisif à l’égard de ceux qui lui suggèrent de faire des concessions à Moscou, comme le président français Emmanuel Macron.

M. Zelensky, qui a grandi dans la ville industrielle de Kryvyï Rig au coeur d’une région majoritairement russophone, n’était pourtant pas prédestiné à ce rôle. Avant de se lancer en politique, il s’était forgé une belle carrière dans la comédie. En Ukraine, comme en Russie d’ailleurs, où il était invité par ces mêmes chaînes de télé qui l’invectivent aujourd’hui.

A partir de 2015, il interprète, dans une série à succès, un professeur d’histoire honnête mais naïf qui devient par hasard président de l’Ukraine. La fiction rattrape la réalité avec son élection en 2019 par des Ukrainiens fatigués de leur classe politique corrompue et de leur président milliardaire, Petro Porochenko. S’il n’a pas su répondre aux attentes de ses électeurs au début de son mandat, la guerre a tout changé.

“Zelensky s’est avéré être un vrai patriote, un battant, un chef”, relève Volodymyr Fessenko. A l’heure où des millions d’Ukrainiens doivent affronter l’hiver dans l’obscurité et dans le froid, il va devoir préserver la résilience des siens et la détermination de ses alliés. “Il doit entretenir la volonté de la société de résister et (…) le soutien de l’Occident”, note M. Fessenko, car “la lassitude de la guerre est un vrai défi”.

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