Des ondes au changement : l’impact des radios sur la démocratie au Sénégal

Alors que le monde célèbre ce jeudi 13 février la Journée mondiale de la radio, il est essentiel de rappeler le rôle fondamental qu’a joué ce média dans les grandes mutations politiques du Sénégal.

Depuis l’avènement du pluralisme médiatique, la radio s’est imposée comme un vecteur incontournable du débat démocratique, un outil d’information et de sensibilisation ayant largement influencé les différentes alternances politiques du pays. Initiée par l’Unesco en 2012, la journée mondiale de la radio a pour vocation de célébrer l’importance de la diffusion radiophonique dans le monde et le rôle joué par de nombreuses stations de radio pour informer le plus grand nombre.

Un média au service de la démocratie

Au Sénégal, la radio demeure le principal canal d’information pour une grande partie de la population, notamment en milieu rural. Grâce à sa proximité, son accessibilité et sa capacité à diffuser des programmes dans les langues locales, elle constitue un puissant levier d’éducation citoyenne et de mobilisation politique. « Avant la libéralisation des ondes, il n’y avait que la radio et la télévision, mais cette dernière n’était pas accessible partout, notamment en milieu rural. La radio a donc permis une diffusion massive de l’information, aussi bien en ville qu’en campagne », explique Yacine Diagne, docteure en science politique.

Ce média a également joué un rôle d’émancipation en réduisant la distance entre le monde rural et urbain. « Nous avons connu l’expérience de la radio éducative rurale, qui était dédiée aux paysans et a joué un rôle crucial dans l’alphabétisation. Elle a ainsi permis à une grande partie de la population d’accéder à l’information sur les enjeux politiques, sociaux et économiques », poursuit-elle.

Voix du peuple

L’élection présidentielle de 2000, qui a vu la première alternance démocratique avec la victoire d’Abdoulaye Wade face à Abdou Diouf, a mis en évidence l’influence des radios privées telles que Sud FM, Walfadjri et Radio Dunyaa. Ces médias ont bouleversé le paysage informationnel, brisant le monopole de l’ORTS (aujourd’hui RTS) et offrant une pluralité de voix au sein du débat public. « La liberté d’expression a commencé par la radio avant de s’étendre à la télévision dans les années 2000. L’apparition des radios privées et communautaires a renforcé la diversité d’opinions et a permis aux citoyens de s’exprimer librement », souligne Yacine Diagne.

Les radios ont également joué un rôle essentiel dans la transparence électorale. Elles ont couvert les manifestations politiques, relayé les revendications populaires et assuré le monitoring du scrutin en diffusant des résultats en temps réel.

La seconde alternance qui a vu Macky Sall succéder à Abdoulaye Wade, a encore démontré l’influence de ce média sur les transitions démocratiques au Sénégal. Les radios ont été un instrument de pression sociale en donnant la parole aux acteurs de la société civile et en amplifiant les aspirations au changement. La couverture médiatique des manifestations contre la tentative de Wade de briguer un troisième mandat a joué un rôle déterminant dans la mobilisation citoyenne.

En constante réinvention

Lors de l’élection présidentielle de 2024, qui a conduit à l’élection de Bassirou Diomaye Faye, la radio a su s’adapter à un paysage médiatique en pleine mutation. Avec l’essor du numérique et des réseaux sociaux, elle est restée un outil essentiel dans la lutte contre la désinformation, la couverture des débats et le suivi du processus électoral. « L’avènement du numérique a vu émerger des chaînes YouTube et des créateurs de contenu animant des débats en direct. Mais cela n’enlève rien à l’importance de la radio, car elle reste moins coûteuse et accessible, surtout dans les zones reculées où l’accès à Internet et à l’électricité est limité », analyse Yacine Diagne.

Malgré l’évolution technologique, la radio demeure le média roi par excellence au Sénégal pour influencer l’opinion et accompagner les processus démocratiques. « On avait prédit la disparition de la presse écrite avec l’apparition de nouvelles technologies, mais cela ne s’est pas produit. Idem pour la radio avec l’apparition de la télévision. Mais on constatque que la radio, de par son usage des langues locales et sa capacité d’adaptation, conserve une place essentielle dans le paysage médiatique », affirme, Yacine Diagne, qui occupe aussi le poste de cheffe de département radio au Centre d’études des sciences et techniques de l’information (Cesti).

Pour elle, il existe une véritable complémentarité entre la radio et le numérique : « Elle doit se réinventer, non pas en se substituant aux nouvelles plateformes, mais en exploitant leurs potentialités. Les podcasts, les diffusions en ligne et les émissions interactives attirent aujourd’hui une nouvelle génération hyperconnectée ».

La radio, en perpétuelle évolution, continue donc de façonner l’avenir médiatique du Sénégal tout en restant fidèle à son rôle de sentinelle de la démocratie.

Cheikh Gora DIOP
LESOLEIL

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