Judiciarisation de l’espace politique : le Sénégal, une démocratie à l’épreuve de la légitimité

La radiation de Barthelemy Toyes Dias de la liste des députés de la XVème Législature, bien après son élection à l’issue du scrutin du 14 novembre dernier pose la question de la legitimite voire de la souveraineté du peuple. Ousmane Sonko et Khalifa Ababacar Sall en étaient victimes à cause de la judiciarisation de l’espace politique. Une tare qui gangrène la démocratie dite représentative à la sénégalaise.    

«Sonko Moy Diomaye ». Ce slogan plus qu’accrocheur a été vendu au peuple sénégalais pour envoyer l’actuel Président de la République Bassirou Diomaye Diakhar Faye à la Magistrature suprême le 24 mars dernier. Faisant preuve de loyauté inédite, l’actuel Chef de l’Etat annonce à qui veut l’entendre qu’il s’est battu pendant 10 ans pour faire de Ousmane Sonko un président de la République et que ce dernier, en dix jours seulement, a fait de lui le Chef suprême des armées, le gardien de la constitution, pour ne pas dire l’homme le plus puissant du Sénégal. Un scenario digne d’un film hollywoodien.

Mais comment en est-on arrivé là ? Ne cherchons pas midi à 14 heures. C’est parce que tout simplement les anciens tenants du pouvoir ont utilisé la justice sénégalaise pour écarter Ousmane Sonko de la course pour la présidentielle de 2024. L’affaire Sweet Beauté ayant fait pschitt à cause d’une requalification du cas de viol qui a coûté la vie à plus 80 sénégalais à la corruption de mineur, il fallait passer par le procès de Mame Mbaye Niang qui accusait l’accueil Premier ministre de diffamation sur l’affaire dite des 29 milliards qui tardent encore à lever tous les contours pour l’écarter de la course.

Pire, le Parti Pastef sera même dissout rappelant au Sénégal les tristes souvenirs du régime de Senghor contre Majmouth Diop et le Professeur Cheikh Anta Diop qui avaient eux aussi vu leur parti politique dissous, les contraignant à rentrer dans la clandestinité.

Khalifa Sall et Karim Wade écartés de la présidentielle

Mais avant Ousmane Sonko, le principal homme à abattre c’était Khalifa Ababcar Sall. Tout puissant maire de Dakar, l’ancien secrétaire en charge de la vie politique du Parti socialiste, sera victime d’un délit d’ambitions. Là aussi la justice sera instrumentalisée pour vider sa caisse d’avance dont le seul but était de lui priver de briguer la magistrature suprême en 2019. Une candidature qui allait être fatale pour Macky Sall à cause de la démonstration dont l’ouragan d’alors que constitué Takhawu Ndakarou avait fait montre, en balayant tout sur son passage lors des élections municipales de 2014.

Alors qu’il était de coutume de justifier la lenteur des dossiers pour la fameuse phrase : « le temps de justice n’est pas le temps des hommes », le procès de la caisse d’avance sera vidé avec une célérité inouïe. Le tenants du régime n’ont même pas permis à ses conseillers d’introduire un Rabat d’arrêt afin que le processus soit définitivement revêtu de ce qu’on appelle en droit « l’autorité de la chose jugée ». Il sera viré de l’assemblée nationale contre la volonté du peuple qui le lui a envoyé.

Ensuite, un autre couperet va tomber sur sa mairie alors que les Dakarois avaient fini de lui accorder une légitimité confortable. Sur 19 communes d’arrondissement, seule celle de Yoff va lui résister.

Quant à Karim Wade, accusé d’enrichissement illicite par une cour qui est aux antipodes des juridictions modernes : Renversement de la charge de la preuve, absence de double degré de juridictions, il va etre condamné à l’errance suite à son exil à Doha. Ce, à cause d’une fortune supposée ou réelle que le fils de Abdoulaye Wade aurait acquis en 12 ans de règne de son père. Sur liste de 25 dignitaires du régime wadien, il sera la seul à payer une si lourde peine. Si sa fortune supposée faisait peur à régime de Macky Sall, on ne saura jamais ce que pèse réellement Karim Meissa Wade. Et pour cause d’élections en élections, il sera empêché de briguer le suffrage des Sénégalais.

Et maintenant Barthelemy Dias

La condamnation de Barthélemy Toyes Dias à deux ans de prison dont six mois ferme, assortis de dommages et intérêts de 25 millions de francs CFA, à verser à la famille de feu Ndiaga Diouf a été confirmée le 22 décembre 2023 par la Cour suprême. Soit 12 ans d’attente.

La haute juridiction a débouté le député-maire de Dakar qui s’était pourvu en cassation.

Les moyens soulevés par ses conseils ont été déclarés infondés. Il s’agissait des exceptions d’inconstitutionnalité, de l’intime conviction et de contrariété de jugement. L’affaire est donc revêtue de l’autorité de chose jugée.

En ce moment précis, il aurait dû perdre ses mandats de député et de maire de Dakar. Que nenni !

Paradoxalement, le conseil constitutionnel, juge des élections n’a pas récusé sa candidature à la députation du 14 novembre dernier. Aucun candidat, ayant la qualité à agir, n’a pas non plus saisi le conseil constitutionnel pour anéantir la candidature de l’actuel maire de Dakar. Mieux, le peuple qui est seul détenteur de la souveraineté nationale en l’exerçant par la voie référendaire ou la voie de ses représentants, a décidé, nonobstant cette condamnation, de faire de Barthelemy Troyes Dias un député. Cette légitimité, il la tire du peuple à l’instar de tous les honorables députés de la XVème Législature et des autres bien avant eux.

Par conséquent le déchoir de poste que le peuple lui a confié suite à une saisine du Garde des Sceaux, ministre de la Justice, quelle que soit la base légale, pose un gros problème au sein de notre démocratie dite représentative.

Le cas des États Unis et de la France

Le Sénégal se veut une démocratie majeure. Il l’est d’ailleurs dans une grisaille de l’Afrique de l’Ouest. C’est une référence aux yeux du monde entier et nous l’avons prouvé en 2000 et 2012 et 2024 avec trois alternances. Même si le Ghana semble nous damer le pion, nous devons continuer à veiller à son renforcement en respectant la volonté du peuple. Ousmane Sonko avait raison de déclarer « si le peuple veut élire un criminel, c’est son problème ».

Aux Etats-Unis le procureur spécial, Jack Smith lors l’élection présidentielle de novembre dernier, a ordonné l’arrêt des poursuites contre Donald Trump élu président de la République. Ce qui constitue une jurisprudence allant dans le but de renforcer la démocratie américaine. Et pour cause, si le ministère suit depuis l’affaire Watergate de 1973, une politique constante consistant à ne pas poursuivre un président en exercice, souligne nos confrères de TV5Monde, le cas d’un candidat poursuivi pénalement puis élu président est totalement inédit.

Donald Trump ne sera donc inquiété qu’à la fin de son mandat. Il aura 78 ans. Et dire qu’il avait été accusé de « complot contre les institutions américaines » et « d’atteinte au droit de vote » des électeurs suite aux attaques du Capitole pour se maintenir au pouvoir.

Que dire du cas de Marine Le Pen ou encore de son père Feu Jean Marie Le Pen.

Arrivé au second tour des élections présidentielles de 2002, Feu Jean-Marie Le Pen avait évoqué sa difficulté à récolter 500 parrainages d’élus, et la possibilité qu’il ne soit donc pas présent aux élections présidentielles. Certains politiques français, notamment José Bové et autres membres influents de la société civile avaient alors émis l’idée de parrainage citoyen. Ce qui n’est pas encore le cas. Contrairement au Sénégal qui a choisi cette excellente option de ce « machin nécessaire ».

Toutefois, qu’on ne trompe pas. Il ne traversa jamais à l’esprit des autorités françaises de la Gauche comme de la Droite d’user du filtre des parrainages des élus pour empêcher à un Chef de l’opposition, faut-il de l’extrême droite, de prendre part à une élection présidentielle.

C’est ce gentleman agreement qui devrait prévaloir au Sénégal. Ousmane Sonko a vécu un calvaire indescriptible pour arriver au pouvoir. Le peuple lui a fait confiance en lui octroyant une légitimité plus que confortable pour exécuter sa Vision Sénégal 2050. Il gagnerait à éviter des querelles de bornes fontaines auxquelles certains de ses allies l’invitent. La seule bataille qui devrait être la sienne, c’est de mettre le Sénégal sur les rails de l’émergence pour que chaque sénégalais partout où il puisse etre, sente la transformation systémique. Ce qui passe par la consolidation de notre de notre démocratie, tant vantée et jalousée.

Abdoulaye THIAM
SUDQUOTIDIEN

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