Hydrocarbures, contrôle douanier: Des innovations technologiques
L’expérience a montré que la modernisation effective d’une administration douanière commence généralement par un bon diagnostic, visant à recenser les défaillances du système en place, à définir une stratégie de réforme et à mobiliser le soutien des parties prenantes. Les stratégies doivent être réalistes et tenir compte de la capacité du pays à les mettre en œuvre, des délais nécessaires et de l’importance de l’appui des gouvernants.
En 2024, les douanes sénégalaises ont initié plusieurs projets novateurs visant à renforcer son dispositif de contrôle à travers, notamment, la modernisation des procédures d’enlèvement et de contrôle des produits pétroliers placés en entrepôt.
En off-shore, de Juillet à Novembre, en collaboration avec la Direction des Hydrocarbures du Ministère de l’Energie, du Pétrole et des Mines (MEPM), les services de la métrologie du Ministère de l’Industrie et du commerce (MINCOM), l’Agence nationale des Affaires maritimes (ANAM), la Société générale de surveillance, entre autres, les douanes ont supervisé treize (13) opérations de chargement et d’exportation de pétrole brut, soit douze millions quatre cent quarante-sept mille quatre cent quatre-vingt-dix-neuf (12 447 499) barils à 60° F extraits du champs pétrolier Sangomar.
De la modernisation des procédures d’enlèvement des hydrocarbures
Toutes les marchandises importées ou exportées doivent faire l’objet d’une déclaration en détail leur assignant un régime douanier. Ce cadre général fixant les procédures de dédouanement est complété par la note de service n° 1400/DGD/DEL/SP du 07 août 2008 qui est spécifique au dédouanement des hydrocarbures.
Ce texte précise les délais de dépôt des déclarations de mise en entrepôt, d’une part et des déclarations de mise à la consommation avec paiement des droits et taxes, d’autre part.
C’est ainsi que s’agissant de l’activité industrielle, quarante-huit heures après la fin des pompages, la Société africaine de Raffinage (SAR), en tant qu’usine exercée soumise au contrôle permanent de la douane, est tenue de déposer des déclarations de livraison de produits pétroliers (DLPP) composés de cinq (05) feuillets pour permettre l’entrée en entrepôt spécial du produit compensateur.
S’agissant de l’activité commerciale, toutes les mutations ou cessions de produits, d’un dépôt à un autre, doivent faire l’objet d’une DLPP. Cependant, dans la pratique, cette procédure de dépôt de DLPP est tombée en désuétude.
Dans le cadre plus spécifique de l’enlèvement des produits pétroliers par les importateurs, les agents de la brigade affectés dans les dépôts constituent l’élément central du dispositif de contrôle des sorties de carburant des entrepôts de stockage.
Ils procèdent aux vérifications documentaires prescrites, aux contrôles de l’effectivité du marquage des produits pétroliers destinés à l’export ou exonérés et visent les bordereaux de livraison (BL) émis par le stockeur.
Pour permettre aux douanes de contrôler la traçabilité des opérations, une copie du BL est remise aux agents pour archivage. Cependant, la version papier des BL et la diversité de leur format rendent complexe voire impossible leur traitement et exploitation.
Les limites à l’exécution du service sont liées, ici, au fait que les produits pétroliers stockés dans les entrepôts agréés sont enlevés sur simple présentation de BL.
Le risque fiscal est d’autant plus marquant, pour les douanes que présentement, les déclarants sont autorisés à enlever les produits pétroliers importés avant le paiement effectif des droits et taxes exigibles.
Ce système de facilitation des procédures d’enlèvement des produits pétroliers dénommé système M+1 ne signifie pas, pour autant que l’importateur est exempté de présenter un document douanier lors de l’enlèvement des produits pétroliers. En effet, « l’exemption des droits et taxes, soit à l’entrée, soit à la sortie, ne dispense pas de l’obligation de lever une déclaration en détail ou d’une Autorisation provisoire d’enlèvement (APE) ».
C’est pourquoi, il a été rappelé aux usagers du secteur des hydrocarbures que l’enlèvement des produits pétroliers placés en entrepôt ou en usine exercée est subordonné à la présentation d’une déclaration en douane ou d’une APE. Cette dernière, étant une procédure simplifiée de dédouanement, ne requiert pas le paiement de droits et taxes et certaines indications peuvent être reprises ultérieurement sous la forme d’une déclaration complémentaire.
Cette mesure, même si elle n’instaure pas de changements dans les procédures de dédouanement des produits pétroliers est un préalable au retour à l’orthodoxie douanière puisque le remplacement du système M+1 par un système déclaratif normal relève d’une exigence de transparence.
La mesure vise, en outre, à replacer le commissionnaire en douane au cœur des opérations d’enlèvement des produits pétroliers tel que recommandé par le Règlement de l’Union économique et monétaire ouest africain (UEMOA) qui stipule que « nul ne peut faire profession d’accomplir les formalités de douane concernant la déclaration en détail des marchandises s’il n’a été agréé comme commissionnaire en douane ».
En exigeant la présentation d’une déclaration en douane ou d’une autorisation provisoire d’enlèvement pour tout enlèvement de produits pétroliers, le service des douanes exerce ses missions de contrôle des quantités des produits pétroliers enlevés et, de ce fait, se donne les moyens d’engager la responsabilité des commissionnaires en douane agréés notamment, en cas de non-respect des engagements souscrits.
De l’automatisation des procédures de contrôle des hydrocarbures
L’automatisation des procédures de contrôle est conforme à l’exigence 4.1 de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries extractives (ITIE) concernant la divulgation exhaustive des taxes et des revenus. En effet, le rapport ITIE 2020 recommande à la Direction générale des douanes (DGD) d’automatiser le traitement des liquidations et des recouvrements pour toutes les amendes, pénalités et redressements douaniers mais également de vérifier les déclarations des entreprises au titre de ces flux.
Sous ce registre et conformément aux directives ministérielles, l’automatisation de la procédure d’enlèvement des produits pétroliers s’est inscrite dans le cadre de la mise en œuvre graduelle et progressive des recommandations de l’Inspection générale des Finances (IGF) demandant aux douanes de :
- « rendre exigible la consignation des droits et taxes dus, ou la production du titre d’exonération le cas échéant, avant toute autorisation d’APE ;
- veiller à une régularisation dans les meilleurs délais des APE non encore apurées ;
- prendre les dispositions en vue d’automatiser l’APE pour en assurer la traçabilité ».
Il convient de préciser que, jusqu’au 01er janvier 2024, la procédure d’enlèvement des hydrocarbures a été entièrement manuelle. C’est ainsi que les usagers utilisaient, essentiellement, des APE manuelles pour l’enlèvement de leurs produits pétroliers placés en entrepôt.
Ce défaut d’automatisation a, pendant longtemps, posé un problème de suivi des engagements souscrits pour bénéficier de cette procédure simplifiée.
La régularisation et la traçabilité des enlèvements des produits pétroliers en toutes taxes comprises (TTC), en hors taxes (HT) ou destinés à la consommation étant alors compromises.
Pour apporter des solutions à ce problème et, à la faveur du lancement, le 01er janvier 2024 de la dématérialisation intégrale des formalités de dédouanement dans toutes les unités douanières connectées au Système « GAINDE », les procédures de contrôles des hydrocarbures ont été, pour l’essentiel automatisées.
Ainsi toutes les exportations de produits pétroliers vers le Mali, la Gambie et la Guinée Bissau font, aujourd’hui l’objet d’APE électroniques.
Il convient, dès lors de se féliciter que l’APE électronique ait pu servir de réceptacle de dédouanement pour la prise en charge des premières exportations du pétrole brut de Sangomar d’autant plus que la traçabilité de ces opérations revêt un enjeu fiscal important.
En effet, le démarrage de la production offshore marque l’achèvement des dépenses de développement et la fin des exonérations y afférentes. Sous ce registre, la nouvelle loi n° 2019-03 du 01er février 2019 portant Code pétrolier induit une double problématique : d’une part, la délimitation, dans le temps, du champ d’application des droits de douane de sortie d’un pour cent (1%) de la valeur sur la part de pétrole brut revenant au contractant , d’autre part la détermination du cadre juridique relatif à la stabilisation des conditions économiques des contrats pétroliers conclus antérieurement à son entrée en vigueur.
En tout état de cause, la mise en œuvre des réformes liées à l’automatisation des procédures douanières passe par la signature de contrats de gestion avec le secteur privé et implique un renforcement des capacités du personnel des douanes qui doit être formé aux meilleurs standards de contrôle des raffineries ou usines exercées, des entrepôts, des oléoducs et des Unités flottantes de Production, de Stockage et de déchargement (FPSO).
La dématérialisation des procédures d’enlèvement des produits pétroliers exportés, l’interconnexion entre l’outil informatique de la Douane de Gestion des Stocks des Produits pétroliers (GSPP) et celui de SENSTOCK dénommé ATLAS, l’automatisation des tickets de pêches couvrant l’essence pirogue désormais coloré en bleu, le projet « plombage intelligent » d’installation du centre de suivi des hydrocarbures, peuvent être considérées comme des exemples réussis de partenariat public-privé car étant l’aboutissement de larges concertations avec les acteurs du secteur des hydrocarbures.
Ce dispositif automatisé devrait être complété, à terme, par l’érection d’un laboratoire fixe ou mobile spécialisé permettant, ainsi à l’Administration des douanes d’être plus autonome dans ses missions d’analyse et de contrôle des spécifications techniques des hydrocarbures.
Ndiaga SOUMARE
Docteur d’Etat en droit
Inspecteur principal des Douanes
de Classe exceptionnelle