L’Asie du Sud-Est suspendue à la guerre commerciale avec la Chine
Durant sa campagne pour l’élection présidentielle américaine, Donald Trump avait annoncé qu’il serait prêt à durcir les taxes sur les importations chinoises. Alors que son premier mandat s’était traduit par de bonnes relations commerciales avec les pays du Sud-Est asiatique, qu’en sera-t-il du second si le 47e président exécute cette menace ?
Par : Oanh Le – SOURCE RFI
À l’heure où Donald Trump peaufine son équipe gouvernementale avant de s’installer à la Maison blanche, les pays d’Asie du Sud-Est, plaque tournante de la chaîne d’approvisionnement mondial, se préparent à une intensification des mesures protectionnistes américaines. Pour ce deuxième mandat, le républicain a promis une augmentation des taxes douanières à hauteur de 10% à 20% sur les importations et jusqu’à 60% sur les produits en provenance de Chine. Des mesures qui bousculeront inévitablement l’ordre établi du commerce international.
Au cours de son premier mandat, en 2018, Donald Trump avait déjà mis en place des barrières douanières sévères sur près de 250 milliards de dollars annuels de produits d’importation chinoises, déclenchant ainsi une guerre commerciale avec l’Empire du Milieu. Cette fois-ci, il promet d’aller plus loin. « Ça ne sera probablement pas 60% comme annoncé, dans un premier temps, mais il frappera très fort, analyse Ruben Nizard, économiste spécialiste de l’Amérique du Nord à la Coface. Il faut le prendre au sérieux Donald Trump. Il est allé au bout de ses idées lors de son premier mandat sur le protectionnisme. »
L’Asie du Sud-Est cueille les fruits du conflit
En première ligne de la guerre commerciale entre Pékin et Washington se trouve l’Asie du Sud-Est. Au carrefour des deux géants économiques, cette région était sortie gagnante du premier conflit politico-économique entre les deux puissances, en particulier le Vietnam et la Malaisie qui avaient vu leurs exportations vers les USA doubler entre 2017 et 2022. « Il y a des effets de mécanique de transfert qui se sont mis en place pendant le premier mandat, explique Marc Lautier, maître de conférences, spécialiste des économies émergentes en Asie à Rennes 2 et Paris 13. Les entreprises chinoises ou celles qui produisaient en Chine, ont eu une incitation forte à délocaliser pour éviter que le produit final ne soit étiqueté made in China ».
À court terme, « il y a un gain potentiel pour les pays d’Asie du Sud-Est », prédit Marc Lautier. Sous le second mandat Trump, dans un premier temps, l’Asie du Sud-Est devrait maintenir un flux constant d’entreprises qui choisissent de s’implanter dans la région afin d’éviter les barrières douanières. Les délocalisations seront même « cette fois-ci, plus intenses » a lâché Jareeporn Jarukornsakul, la PDG de WHA Group, poids lourd dans le domaine de la logistique, de la promotion de zones industrielles de l’énergie et des services numériques dans la région.
En début d’année, alors que Trump préparait sa campagne pour reprendre la présidence, les sollicitations de clients chinois auprès de WHA Group se sont multipliées, a affirmé la PDG. À tel point que l’entreprise a dû élargir sa force de vente et ajouter des locuteurs chinois à ses équipes.
Une véritable opportunité pour la région
Sur le long terme, ce flux d’investissement devrait être une chance pour l’Asie du Sud-Est. Il constitue une opportunité d’améliorer le développement technologique, les infrastructures et la formation de la main-d’œuvre. C’est le cas des pays comme la Thaïlande ou l’Indonésie et surtout le Vietnam, « un gros bénéficiaire de ces substitutions de processus de production », souligne Marc Lautier.
Grâce à sa proximité géographique avec la Chine, sa main-d’œuvre bon marché et ses infrastructures de qualité, le Vietnam est devenu le nouvel eldorado pour les entreprises cherchant à délocaliser leur production. Des géants de la technologie tels que Samsung, Apple ou encore Dell, y ont ainsi posé leurs valises, et contribué à sa montée en puissance dans la production de smartphones et de semi-conducteurs.
Selon Anda Djoehana Wiradikarta, enseignant et chercheur en management interculturel, spécialiste de l’Indonésie, les bénéfices seront même plus larges : « Si les États-Unis imposent des taxes, les pays concernés éviteront le marché américain. Cela les incitera à diversifier leurs marchés d’exportations. Cela se voit déjà à travers de l’initiative des Nouvelles Routes de la Soie de Pékin. La Chine est un gros investisseur en Indonésie, en Thaïlande, et au Laos. »
L’Asie du Sud-Est aussi dans le viseur de Trump ?
Reste certains pays du Sud-Est asiatique ne sont pas à l’abri de la politique commerciale trumpiste, en raison de leur excédent commercial vis-à-vis des États-Unis. Robert Lightizer, ancien représentant au commerce extérieur durant le premier mandat du milliardaire, a jugé dans les colonnes du Financial Times que « Nos partenaires commerciaux, en particulier ceux qui ont de larges excédents commerciaux, ne devraient pas nous en vouloir pour un changement de politique. Nous ne ferions que réagir aux torts qu’ils ont causés ».
Les pays qui pourraient être ciblés par des barrières douanières seraient donc la Malaisie, les Philippines, la Thaïlande et le Vietnam. Ce dernier qualifié par Trump de « pire agresseur » dans les échanges commerciaux, enregistre l’un des excédents commerciaux les plus importants avec les États-Unis, après la Chine et le Mexique. En 2022, le pays de l’Oncle Sam accusait un déficit commercial de 114 milliards de dollars avec le Vietnam.
Les pays du sud-est asiatique pourraient également attirer l’attention de Trump avec les dérives du transbordement, qui revient à acheminer une marchandise jusqu’à un pays tiers, puis jusqu’à la destination finale dans un second temps. « Il semblerait qu’une partie de ces flux [qui proviennent d’Asie du Sud-Est] représentent des biens qui sont toujours manufacturés en Chine, mais qui passeraient par le Vietnam et le Mexique pour tenter d’éviter les barrières douanières », rappelle Ruben Nizard.
Des négociations et de nouvelles mesures ont déjà été mises en places avec le Mexique pour réguler le flux d’acier et d’aluminium chinois. Même si ces pays étape du transbordement ne « seront probablement dans le viseur de Trump, ils ne paraissent pas être les premières cibles. En priorité, il y a la Chine, l’Europe, puis le Canada-Mexique », tempère le spécialiste de la Coface.