Emploi, FCFA, langue: les verrous de «Sénégal 2050»

Lors des discussions tenues, samedi dernier à Dakar, dans le cadre des «Samedis de l’Economie» consacrés au nouveau référentiel économique «Sénégal 2050», des experts ont souligné l’impérieuse nécessité d’intégrer, entre autres, les questions de la création d’emplois, du franc CFA et de la problématique linguistique dans le document provisoire à valider. Faute de cette intégration, mettent-ils en garde, la vision pourrait se voir gravement compromise.

Le nouveau référentiel économique «Sénégal 2050», officialisé en octobre dernier en remplacement du Plan Sénégal Émergent (PSE), s’articule autour de quatre axes stratégiques : la Souveraineté, l’Inclusion, la Compétitivité et la Durabilité. Ce plan, résolument «ambitieux», se distingue de toute initiative antérieure en matière de développement économique et social. Néanmoins, des ajustements doivent être apportés au document provisoire, notamment en ce qui concerne les statistiques de l’emploi, la question du franc CFA et la dimension linguistique.

Dans le cadre des activités mensuelles de l’Africaine de Recherche et de Coopération pour l’Appui au Développement Endogène (ARCADE), dites «Samedis de l’Economie», l’expert industriel Cheikh Tidiane Niane a minutieusement analysé la structure de la vision «Sénégal 2050» et les principaux objectifs qu’elle ambitionne d’atteindre. Il a souligné l’importance, voire la nécessité, de disposer de statistiques fiables sur l’emploi. Selon lui, le document provisoire présenté récemment «ne comporte aucune projection de création d’emplois».

Par ailleurs, il relève que, dans la Stratégie nationale de développement 2025-2029, dont le financement global est estimé à 18 496,83 milliards de  francs CFA, les apports du secteur privé pour des projets structurants, à hauteur de 2 615,8 milliards en termes de création d’emplois, ne sont pas statistiquement établis ; ce qui empêche de définir une trajectoire d’absorption du marché de l’emploi. Or, «les jeunes sont à la base de ce changement de régime parce qu’ils y croient», précise-t-il. C’est pourquoi, avertit-il donc : «si aucune politique d’emploi n’est formulée de manière claire et appuyée par des données probantes, la jeunesse, qui a porté le projet, pourrait rapidement se désillusionner et se détourner du régime en place».

L’expert, se voulant persuasif, affirme qu’aucun «gouvernement ne saurait tenir deux ans face à une situation de sous-emploi chronique». Dès lors, «le développement d’une agriculture intensive et d’une industrialisation durable seraient à même de pallier en grande partie le problème de l’emploi, à condition que les jeunes soient formés en tant que techniciens et techniciens supérieurs», conclut-il.

Son co-débatteur, l’économiste Demba Moussa Dembélé, intervenant à propos de la «Stratégie nationale de développement 2023-2029», estime que l’un des principaux obstacles à lever, et qui semble relégué au second plan, est celui de la monnaie. Pour lui, il serait illusoire de réaliser les objectifs de «Sénégal 2050» tant que le Sénégal restera dans la zone franc (CFA). Il argue que «si les autorités en place souhaitent véritablement ériger le Sénégal en un pays souverain, équitable et prospère à l’horizon 2050, il leur faudra impérativement s’affranchir du franc CFA. Faute de quoi, les objectifs risquent de ne pas être atteints». L’économiste précise que ces réflexions, parmi d’autres à venir, s’inscrivent dans la volonté des autorités de consolider le document définitif.

Quant à la question linguistique, les co-débatteurs s’accordent à dire qu’aucun pays au monde ne s’est développé en s’appuyant uniquement sur une langue étrangère. Cheikh Tidiane Niane cite, à cet égard, l’exemple de l’Islande qui, bien que peu peuplée avec ses 352 000 habitants, s’est développée en exploitant ses ressources nationales, à savoir la pêche et le tourisme, et en s’appuyant exclusivement sur sa langue nationale. «Le Sénégal, doté de ressources pétrolières, gazières, minières et halieutiques bien plus abondantes, et fort d’une population de 18 millions d’âmes inscrites dans un marché communautaire de la CEDEAO comptant plus de 347 millions d’habitants, a tout autant les moyens de se développer», affirme-t-il.

Lui emboîtant le pas, Demba Moussa Dembélé renforce l’argument de son interlocuteur en évoquant le «miracle économique» de la Corée du Sud, qui a su conquérir les marchés mondiaux avec des produits emblématiques tels que les smartphones Samsung, les téléviseurs LG, les automobiles Kia et Hyundai, ainsi que la K-Pop et le cinéma coréen. Il souligne que cette puissance économique et culturelle s’est affirmée grâce à la valorisation de la langue nationale. Il cite enfin l’UNESCO, qui admet qu’«aucun pays ne peut se développer en adoptant une langue étrangère».

JEAN PIERRE MALOU
SUDQUOTIDIEN

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