Inondations meurtrières en Espagne: pourquoi la boue représente un risque supplémentaire et complique les opérations de nettoyage
Une semaine après la catastrophe, les autorités espagnoles ne peuvent toujours pas accéder à certaines endroits. Elles craignent une crise dans la crise avec des conséquences sanitaires.
Il y en a partout. Absolument partout. Dans les moteurs des voitures, à l’intérieur des compteurs électriques, dans des bidons d’essence, au fond des poubelles et aussi sur les visages fatigués des sinistrés. Une semaine est passée mais les communes touchées par les inondations meurtrières dans le sud-est de l’Espagne ressemblent toujours à un gigantesque champ de boue. « C’est toujours le même mot qui me vient en tête : apocalyptique », décrit Thierry Velu, le président de l’ONG Groupe de secours catastrophe français, qui a dépêché en urgence des hommes et du matériel sur place.
La boue (« lodo » ou « barro » en espagnol) colle aux basques à quiconque s’aventure sur son terrain. Et ce ne sont pas les nouvelles pluies très intenses tombées lundi 4 novembre qui vont arranger la situation. « Vu la quantité de boue, ce ne sont pas des pelles et des balais dont a besoin. Il faut des engins de travaux publics pour aller plus vite », insiste Thierry Velu. Lui compare la catastrophe en cours en Espagne au tsunami de 2004 en Asie du Sud-Est. « J’étais allé sur place, et je revois ces millions de mètres cubes d’eau, de gravats et de boue qui avaient tout envahi. »
Détritus, produits toxiques et bactéries
Les impressionnantes quantités de boue compliquent, de fait, les recherches. Sept jours après, certains endroits ne sont toujours pas accessibles. « Tout prend beaucoup plus de temps, continue Thierry Velu. Il faut d’abord nettoyer le passage avant d’atteindre l’endroit en question et commencer à l’inspecter. » A ce jour, d’ailleurs, les autorités espagnoles demeurent incapables de déterminer le nombre de personnes portées disparues.
Cette boue, qui a atterri ce week-end jusque sur le visage et le col de chemise du roi d’Espagne et de son Premier ministre Pedro Sanchez, n’est pas seulement composée d’eau, de terre et des éléments naturels que l’on trouve dans une rivière, un fleuve ou la mer. « Lors des inondations en milieux urbanisés, les boues se composent de deux aspects », détaille Valérie Emphoux, responsable de la gestion du risque inondation dans la communauté d’agglomération d’Antibes.
« On trouve bien sûr des graviers, des pierres, des végétaux, du sable, des feuilles… Mais la boue va aussi se mélanger à tout ce qu’elle trouve sur son passage. Des détritus en tout genre, les containers d’ordures, les mégots de cigarettes, les fientes, les produits phytosanitaires, et même, aussi, des cadavres d’humains ou d’animaux. »
A Valence, comme après à chaque inondation, c’est une course contre la montre qui s’engage. « Il faut si possible nettoyer avant que les boues sèchent, insiste Valérie Emphoux. Plus on va vite, moins les germes, moins les bactéries ont le temps de se développer. Une fois que la terre est sèche, c’est malheureusement presque impossible de tout enlever. »
Des précautions pour éviter les maladies
Ce mélange hétérogène n’est « évidemment » pas sans risque sanitaire. Baptiste Girardet, le président de la société Sang-Froid, en sait quelque chose : son quotidien, c’est justement d’intervenir sur des sites traumatiques. « Dans ces boues contaminées, on va retrouver des éléments pathogènes, des champignons, comme l’aspergillus qui peut rentrer par la bouche ou les yeux et provoquer de la fièvre, de la toux, des difficultés à respirer. On retrouve aussi des bactéries type Escherischia coli. Elles peuvent provoquer des diarrhées ou des nausées. »
En 2018, se rappelle le professionnel, plusieurs habitants des Yvelines étaient tombés malades sous ses yeux lors d’une crue de la Seine : « Ils voulaient absolument nettoyer leur domicile sans attendre le passage de l’expert ou des secours. Certains ont été pris de vomissements, de douleurs abdominales… »
Les autorités espagnoles veulent à tout prix éviter une crise dans la crise, et prennent les risques très au sérieux. Le ministère de la Santé lui-même a fini par publier une liste de recommandations sanitaires(Nouvelle fenêtre) à destination des habitants et des volontaires venus des quatre coins du pays pour donner un coup de main. Devant les mairies, les bénévoles ont aussi droit à un rappel des consignes sanitaires. Les équipes du Groupe de secours catastrophe français qui interviennent sur place prennent aussi toutes les précautions avant d’aller sur le terrain :
Dans les prochains jours, il faudra redoubler de prudence au moment d’accéder aux derniers garages et aux parkings pas encore « visités » par les secours. Contacté par Cope Valencia(Nouvelle fenêtre), Rafael Orti, le président de la Société espagnole de médecine préventive, demande une extrême vigilance avec l’eau stagnante. « Il peut y avoir une contamination liée à la décomposition ou à des produits toxiques. Des masques seraient nécessaires, mais pas les masques habituels. » Au milieu des mètres cubes de boue, les pompiers s’attendent à découvrir à coup sûr d’autres victimes.