L’abbé Pierre avait menacé ses premiers accusateurs dans les années 1950

Décédé en 2007 et presque sanctifié de son vivant, l’abbé Pierre n’en finit plus de tomber en disgrâce. Après les premières accusations d’agressions sexuelles révélées en juillet dernier par plusieurs femmes, 17 autres sont venues s’ajouter au dossier. Et selon une enquête de la cellule investigation de Radio France dévoilée ce lundi, les agissements de l’abbé Pierre étaient connus depuis près de 70 ans et avaient déjà été signalés dans les années 1950…

Dans cette correspondance de l’abbé Pierre, datée de fin 1955 et que Radio France a pu analyser en profondeur, le prêtre conteste vigoureusement par sa plume les accusations formulées par un étudiant américain du nom de Suther Marshall. Ce dernier a co-organisé le séjour de l’abbé Pierre aux États-Unis au mois de mai de la même année lors duquel il avait notamment été reçu par le président Eisenhower à la Maison-Blanche. Or, plusieurs femmes s’étaient plaintes de son comportement, à New York, Chicago et Washington. L’Église française aurait alors rapatrié l’abbé Pierre par peur de provoquer un scandale.

Menaces explicites

Quelques mois plus tard, par courrier, Suther Marshall avait évoqué avec un proche de l’abbé Pierre son attitude pour le moins problématique, au point qu’il avait été décidé de ne plus jamais “laisser le père seul”, allusion voilée aux “pulsions » du prêtre observées sur le territoire américain. La réaction du principal concerné à ce signalement s’avérera particulièrement menaçante: “Tu promettais de ne plus te mêler de cette multitude de choses où tu ne sais accumuler que des ravages, chaos et infection (…) Sache que pas une récidive ne restera sans réponse, et, s’il le faut (mes réponses seront) brutales, chirurgicales”, lui écrit l’abbé Pierre à la fin de l’année 1955, relate Radio France.

Signalement dès 1954

Selon la tribune de quatre chercheurs de la Ciase, la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église, publiée dans Le Monde le 20 juillet dernier, des informations interpellantes sont revenues “aux oreilles épiscopales sur son comportement” dès 1954-1955. Un scénario similaire aux accusations américaines s’est d’ailleurs reproduit au Québec (Canada) en 1959. Là aussi, l’abbé Pierre a formellement nié les faits dans un courrier adressé au cardinal Roy: “Tout est faux”, fustige-t-il. Au début des années 1960, il doit néanmoins quitter précipitamment la région francophone lors d’un déplacement à Montréal après plusieurs “agressions sexuelles” présumées. Selon le théologien français André Paul, l’abbé Pierre aurait été épargné par la justice grâce à l’intervention du cardinal de Montréal… “à condition qu’il ne remette plus les pieds” au Québec.

“Mise à l’écart” en 1957

Alors que son célèbre appel de l’hiver 1954 a fait de lui une “véritable idole” et que l’Église bénéficie de sa popularité, l’abbé Pierre est “interné” 3 ans plus tard dans une clinique psychiatrique en Suisse. Les autorités ecclésiastiques évoquent à l’époque une raison de santé mais redoutent en réalité un “scandale sexuel”. Un accompagnateur attitré aurait d’ailleurs été désigné pour “le surveiller”.

Légion d’honneur refusée

En juin 1958, le ministre français de la Fonction public, Edmond Michelet, envisage de décorer l’abbé. L’archevêque de Paris, le cardinal Feltin, l’apprend et s’en inquiète: “Laissez-moi vous assurer qu’à l’heure présente, cette distinction est fort inopportune, car l’intéressé est un grand malade (…) Il semble préférable, actuellement, de faire silence sur lui”, recommande le prélat au ministre. Accusée d’avoir “voulu étouffer” l’affaire, la Conférence des évêques (CEF) de France a fermement contesté les allégations de la tribune du Monde.

Série de témoignages accablants

Selon un rapport indépendant commandé par Emmaüs International, Emmaüs France et la Fondation Abbé Pierre publié en juillet dernier, l’abbé Pierre se serait rendu coupable d’agressions sexuelles sur plusieurs femmes entre la fin des années 1970 et 2005. Ce 6 septembre, un rapport du cabinet spécialisé Egaé a mis en évidence 17 nouveaux témoignages l’accusant d’autres violences sexuelles perpétrées entre les années 1950 et les années 2000. Sa fondation a annoncé son intention de changer de nom. La CEF a fait part de son “effroi” face à ses nouvelles révélations.

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