Délit d’offense au chef de l’État : Une justice à 80 à l’heure

Epée de Damoclès au-dessus de la tête des journalistes, des activistes et des hommes politiques, l’article 80 du Code pénal a survécu à deux régimes élus démocratiquement, après 40 ans de règne socialiste. Depuis le début de ce nouveau régime, le Parquet de Dakar a montré qu’il va continuer à y recourir pour réguler la liberté d’expression. Jusqu’à quand ?

Par Bocar SAKHO – Après avoir fait l’objet d’un retour de Parquet ce vendredi, l’homme politique Amath Suzanne Camara retourne au Palais de justice ce matin. Probablement, il va être inculpé pour offense au chef de l’Etat. Vestige du règne socialiste, avec ses excès et sa volonté de mieux contrôler les activités politiques, l’article 80 du Code pénal, article «fourre-tout» extrêmement répressif sur lequel se sont fondés dernièrement les tribunaux nationaux pour accuser différents journalistes et hommes politiques, a traversé paradoxalement deux régimes démocratiques. Sur le perron de l’Elysée, Me Abdoulaye Wade, élu triomphalement en 2000, aboutissement de son long et épuisant combat pour la démocratie, avait annoncé son abrogation. Pour lui, cet article était liberticide et devait être nettoyé du Code pénal.

Grisé par le pouvoir, le troisième président de la République n’a jamais concrétisé cette promesse. Il en a eu usé à plusieurs reprises afin de mettre en prison des journalistes et des hommes politiques pour «offense au chef de l’Etat». Sans oublier d’ajouter dans la corbeille de la répression, des délits d’atteinte à la sûreté de l’Etat, de diffusion de fausses nouvelles… En dépit des pressions de la Société civile, des médias et d’autres leaders, qui demandent que la suppression de l’article 80 fasse effectivement partie des différents projets de réforme du Code pénal, il n’en est rien. Macky Sall, qui a connu un deuxième mandat chahuté par des tensions politico-judiciaires, a dû réprimer cette contestation née des problèmes juridiques de M. Ousmane Sonko.

Si tout cela a été effacé par une loi d’amnistie, le procureur de la République continue à faire la police pour réguler la liberté d’expression dans le pays. Acteur majeur de la politique judiciaire du dernier quinquennat de Sall, Abdou Karim Diop monte toujours la garde dans les médias et les réseaux sociaux. Avant Amath Suzanne Camara, il avait procédé à l’arrestation de Bah Diakhaté et de l’imam Cheikh Tidiane Ndao. L’activiste avait été appréhendé par la Division des investigations criminelles (Dic) après avoir publié une vidéo attaquant Ousmane Sonko sur le thème de l’homosexualité, à l’occasion de la visite de l’Insoumis français Jean-Luc Mélenchon à Dakar. Alors que le prêcheur avait critiqué, dans une autre vidéo, le Premier ministre qui aurait eu «une attitude complaisante vis-à-vis de l’homosexualité». Si le procureur avait requis une peine de prison ferme de six mois contre Bah Diakhaté et l’imam Cheikh Tidiane Ndao, le Tribunal les a condamnés par contre à trois mois de prison ferme, assortis d’une amende de 100 mille F Cfa. Mais, il les a relaxés des accusations d’offense à une personne exerçant des prérogatives présidentielles. Cette dernière qualification délictuelle avait ému tout le monde : aussi longtemps que l’on se souvienne, c’est la première fois que le ministère essayait d’avoir autant d’égard envers un Premier ministre.

Aujourd’hui, le nouveau régime, qui a organisé les Assises de la Justice, va-t-il abroger cet article liberticide ? Ou va-t-il continuer à l’utiliser pour circonscrire les dérapages verbaux sur le champ politique et encadrer la liberté d’expression au Sénégal ? Avec le défèrement de M. Amath Suzanne Camara ce matin, c’est une journée comme les autres qui se va se dérouler au Palais de justice de Dakar.


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