Attentes du secteur de l’éducation: Cheikh Mbow anticipe la rentrée
Dans un entretien accordé à Sud Quotidien, le Directeur exécutif de la Coalition des organisations en synergie pour la défense de l’éducation publique (Cosydep), Cheikh Mbow donne ses appréciations des résultats provisoires du baccalauréat 2024 dont le taux de réussite est de 48,71%. Il est également revenu sur les actes posés par l’actuel régime depuis son installation ainsi que les attentes dans le secteur de l’éducation.
Quelles appréciations faites-vous des résultats provisoires du Bac ?
Il faut d’abord noter une tendance baissière par rapport aux années passées ; 48,71% contre 51,54 en 2023 et 52 en 2022. Des tendances qui confirment que notre système éducatif semble être à un point de saturation tel qu’il ne peut atteindre un taux de réussite au-delà des 50%. 5 élèves sur 10 échouent au bac systématiquement. Il est à se demander que devient la moitié des candidats qui échouent ? Quelles autres alternatives leur sont offertes ? Quelles réformes sur le système d’évaluation et d’orientation scolaire ? Quel dispositif pour une véritable école de la réussite ?
Cette situation invite à renforcer l’offre en formation professionnelle, particulièrement après le cycle fondamental mais aussi à adresser résolument les déterminants de la qualité si l’on sait que chaque enfant a du talent, la réussite devant être la règle. Il faut cependant saluer la ferme décision du ministre de l’enseignement supérieur de rétablir l’orthodoxie en matière de calendrier universitaire au bénéfice, notamment des nouveaux bacheliers. Cela devrait aussi inviter à affecter à temps les élèves en 6ème et en seconde mais aussi les élèves maitres sortants avant octobre, pour un démarrage effectif des cours dès la rentrée scolaire.
Cela fait 100 jours que le président Bassirou Diomaye Faye a été investi comme président du Sénégal. Quel bilan faites-vous de ses 100 premiers jours pour le secteur de l’éducation ?
A ce stade, il nous est difficile de faire un bilan objectif. En effet, l’actuel régime a été investi le 2 avril soit six mois après l’ouverture des classes ou encore après le déroulement des deux tiers de l’année scolaire. Pour dire qu’il faut distinguer l’année académique de l’année civile. A trois mois de la fin de l’année, l’actuel régime était attendu dans l’accompagnement de l’achèvement de l’année, la déclinaison de leurs ambitions pour l’éducation et leur mode de pilotage.
Néanmoins, nous aurons noté la tenue d’un conseil interministériel consacré à la préparation des examens, la disponibilité du nouveau ministre de l’Education qui s’est donné le temps de partager la vision avec les partenaires, sa diligence dans l’apurement du stock d’actes longtemps en instance, en plus du rattachement de l’agence de la case des tout-petits au Ministère de l’éducation. Nous espérons que la multiplicité de ministères, de directions et d’agences en charge de l’éducation sera adressée pour une approche plus articulée.
Au-delà, nous pouvons relever les points suivants. D’abord, l’option d’ériger le capital humain en première priorité rassure dans un pays où 75% de la population ont moins de 35 ans ou encore un Sénégalais sur deux a l’âge scolaire, moins de 19 ans. Le défi sera de garantir une approche holistique et inclusive par des connexions intra et inter sectorielles favorisant le dialogue des offres et une meilleure cohérence dans la structuration.
Ensuite, la décision de faire de la concertation une règle de gouvernance doit certainement se matérialiser par une plus grande écoute vis-à-vis des partenaires et une réelle participation des jeunes dans la politique éducative.
Enfin, il est clair que les principes et orientations affirmés trouvent un terreau fertile dans l’éducation. En réalité, la digitalisation appliquée dans le secteur, renforcerait sa modernisation, diligenterait le traitement des dossiers et soutiendrait une solution définitive face à la lancinante problématique de l’état civil. Le souverainisme affirmé se concrétiserait mieux en faisant des établissements scolaires, des cadres de prestation liés à la santé, à l’alimentation, à l’environnement, à l’assainissement, à la sécurité, aux valeurs, au civisme.
En somme, le « Jubanti » invite à corriger les injustices liées aux enfants hors écoles, au traitement de certains enseignants, notamment les décisionnaires, aux conditions d’études dans certaines écoles vétustes, sans sécurité, sans eau ni assainissement, à la sous dotation de certains sous-secteurs tels que la petite enfance, l’alphabétisation, les daara, la formation professionnelle.
Quelles sont les attentes urgentes du secteur de l’éducation ?
Pour le secteur de l’éducation, dans son sens large (éducation, formation, enseignement supérieur), les attentes sont de plusieurs ordres.
D’abord, une vision claire, se fondant sur les demandes du peuple qui est à la fois bénéficiaire et commanditaire des services éducatifs. Une vision reflétant les réalités sociales, culturelles, économiques et géopolitiques. Une vision mettant en avant l’efficacité externe pour garantir des bénéfices individuels et sociaux et l’efficacité interne par la pertinence et l’adaptation des approches.
Ensuite, de cette vision partagée, engager la refondation du système. Pour ce faire, un état des lieux objectif et exhaustif s’impose pour tous les programmes et réformes (PAQUET, ANEF, CNAES, LMD, UVS, …). Il permettrait d’identifier les forces et faiblesses mais aussi de pointer les défis et enjeux, pour construire de vraies solutions.
Les trois mois de vacances que nous engageons constituent une excellente opportunité pour, à la fois construire des consensus et poser des actions fortes en faveur de l’amélioration de l’environnement des apprentissages. Consensus autour du leadership du ministère qui est attendu à lancer le processus annoncé de refondation et à engager les acteurs et partenaires à se mobiliser pour des contributions pertinentes et documentées. Consensus qui devrait aboutir à construire un plan de développement du secteur qui traverse les régimes politiques. Consensus pour une transformation profonde de l’éducation qui réinterroge la finalité, les offres, les curricula, les attitudes, l’organigramme, le pilotage, la gouvernance. Des actions fortes en faveur de l’amélioration de l’environnement des apprentissages qui doivent impulser à travers une vaste mobilisation de toutes les organisations communautaires, de tous les ministères, du secteur privé et des leaders pour assurer la salubrité des lieux d’apprentissage « set setal », leur convivialité « écoles reboisées », leur performance « l’école, l’affaire de tous ».
Des actions fortes pour des écoles clôturées et épargnées du phénomène de « cantinisation », la résorption des abris provisoires, l’élargissement du réseau scolaire avec des réserves foncières obligatoires, la réfection des écoles vétustes.
Enfin, promouvoir une gouvernance participative pour un système éducatif résilient, performant et inclusif. Il s’agira de conduire le secteur à satisfaire les demandes liées à l’introduction des langues nationales, à la diversification des offres d’enseignement, notamment les daraa, à la problématique de la formation professionnelle et de l’employabilité, à la démocratisation du préscolaire, à une prise en compte conséquente des questions émergentes telles que l’intelligence artificielle, les changements climatiques, l’éducation aux média, la citoyenneté.
Recueillis par Mariame DJIGO