Focus – Tué ou emprisonné: Le kankourang démystifié
Le 30 mai dernier, un kankourang est tué, renversé par une voiture de la Gendarmerie nationale dans le village de Samine, dans le département de Goudomp. C’est au moins la 3ème fois qu’un kankourang est tué avec son masque en Casamance.
S’effondrent alors, irréversiblement, le mythe et le mystère qui entourent ce masque qui, jadis, n’était pas considéré dans ce milieu comme un être humain, mais comme un «djinn» ou, tout au moins, comme un «fantôme», un masque aux pouvoirs surnaturels.
D’autres kankourangs sont cueillis et emprisonnés, toujours en Casamance, une des régions de l’Afrique de l’Ouest (avec la Gambie et la Guinée-Bissau) qui ont ce masque en commun et le vénèrent dans tout son mysticisme. Le monde s’effondre sur le mythe du groupe ethnique mandingue.
Par Abdoulaye KAMARA – Le doute n’est plus permis. Le kankourang est bel et bien un être humain à qui l’on fait porter un masque de mythe et de mystère. La preuve, il est mortel. Mieux, c’est un justiciable qui peut tomber sous le coup de la loi… à l’occasion.
Les écorces rouges écrasées de l’arbre dont le nom scientifique est peliostigma reticulatum (faara en langue mandingue) sont l’habit ou, plutôt le masque, hirsute, que l’on fait porter à un être humain, et qui construisent son mystère et le rendent si distant, si puissant, si sacré.
Le mystère de ses apparitions et de son identité a longtemps été tenu secret en milieu mandingue. Autorisant l’attribution à ce «fantôme» de pouvoirs surnaturels, pouvant même avoir le droit de tuer, de corriger sévèrement et d’interdire l’accès à des biens communs à qui la communauté lui pointe du doigt.
Mais c’est désormais une légende. Désormais, on défie le kankourang, on le tue, on l’emprisonne… Le mythe est à genoux. Le monde s’est effondré sur ses atours.Ces kankourang tués ou emprisonnés.
Le 30 mai 2024 à Samine, un village du département de Goudomp, dans la région de Sédhiou, une voiture de la Gendarmerie nationale écrase un Kankourang.
Dans son masque ! Alors qu’une foule joyeuse, au bord de l’extase sur la Rn6, conquise par la beauté de ses pas de danse, l’adulait, le célébrait et le craignait à la fois. Du sang rouge gicle et des cris d’hommes en détresse que l’on a à peine eu l’occasion d’entendre…
Le véhicule ne s’arrêtera qu’à Goudomp, chef-lieu de département, à près de 40 km de là. Selon les informations recueillies, l’homme en bleu n’avait rien vu. Au moment du drame, le «fantôme» était courbé en bordure de route.
Les velléités de rébellion contre les Forces de l’ordre sont vite étouffées par les aînés. Ayant en souvenir l’autre drame social provoqué par la sortie du kankourang, un jour de novembre de l’année 2005.
Ce jour-là, le Curé de la Paroisse de Témento, à quelques kilomètres de Samine, s’était plaint de la sortie du masque qui empêchait les fidèles de participer à la messe. L’intervention des gendarmes de Samine a abouti à l’arrestation du kankourang et de plusieurs autres accompagnateurs. Un sacrilège ! Un affront à corriger ! Ce jour-là, Samine n’a pas dormi. Il fallait faire libérer les prisonniers. De gré ou de force. La gendarmerie fut mise à sac. Et puis le responsable des jeunes de ce village de la Casamance va passer plusieurs mois en prison, à Sédhiou, la capitale régionale.En décembre 2020, un autre kankourang est tué avec son masque dans le village de Kaour, non loin de Goudomp. Un jeune, qui lui reprochait d’avoir pris à partie sa maman, lui a donné un coup de massue mortel sur la tête couverte du masque en écorces de couleur rouge, hirsute.En octobre 2018 à Kolda, un kankourang est jugé et condamné à une peine d’emprisonnement de 6 mois ferme pour avoir saccagé le véhicule d’une autorité administrative et blessé un conducteur de taxi. En octobre 2019 à Vélingara, un kankourang est arrêté et envoyé en prison pour avoir enfreint l’interdiction préfectorale de sortie du masque.Septembre 1985, Vélingara, cette ville de la région de Kolda, a vécu la première grande crise du kankourang en Casamance. Tôt le matin, un camionneur a écrasé un Kankourang qui lui barrait la route. Etranger à la localité et ignorant tout de cette culture, le chauffeur cherchait à sauver sa tête, apeuré par cet être, esseulé au moment des faits. Lorsque le chauffeur s’est rendu compte qu’il venait de tuer une personne, il a pris la clé des champs.Le kankourang, une institution !Tous ces drames et humiliations (pour les conservateurs de la culture) se sont passés en Casamance, et en pays mandingue. Ce groupe ethnique qui a inventé le mythe du kankourang pour sa survie sociale, pour servir de police, accompagner les pouvoirs temporels pour régulier la société, éduquer et punir au besoin. Pour mieux asseoir la stabilité de l’Etat mandingue, il a été créé le kankourang, qui est plus qu’un masque, mais une institution en réalité. Nfaly Sané, notable de la ville de Vélingara, explique l’institution kankourang : «Le kankourang était le bras armé du chef de village, qu’il aidait à punir toute personne rebelle aux conventions et lois que la communauté s’est données. Il servait de police en utilisant ses 2 coupe-coupe pour frapper les récalcitrants, après le verdict du Comité des sages du village. Il constituait un épouvantail pour toute velléité de rébellion dans le village ou d’actes notoires d’indiscipline. Ce kankourang-là pouvait sortir à l’improviste sur décision du Comité des sages du village. C’est le cas quand il est provisoirement interdit de cueillir les fruits encore verts d’arbres sauvages comme domestiques.» Il poursuit : «Le kankourang est connu pour sortir dans les campements des petits circoncis. Là, c’est pour participer à l’éducation des enfants de la communauté. C’est dans ces campements que l’on enseigne aux enfants les bonnes manières pour vivre en communauté, qu’on leur inculque des valeurs positives. Et à tout âge, quand l’enfant se comporte mal, le kankourang est présent pour la correction. C’est le kankourang-éducateur-policier.» Pas que ça : «Le kankourang est aussi le défenseur de la communauté contre les mauvais esprits, contre toute tentative d’humilier les autorités coutumières. C’est ainsi qu’il participe à la surveillance et à la protection mystique des petits. Mieux, il peut laver, pour toute la communauté, un affront fait à ses autorités.» Puis, M. Sané a conté l’histoire de l’apparition, pour la première fois, du fanbonding. «Selon des informations reçues de mes parents, en Guinée portugaise, une autorité coloniale avait voulu corriger un kankourang qui a tué une femme qui avait découvert que le kankourang, contrairement à la légende, était bel et bien fait de chair et d’os. Pour ne pas laisser propager cette vérité auprès des non-initiés (les femmes surtout), le kankourang est mis en action pour tuer cette femme. L’autorité coloniale demanda alors qu’on lui apporte ce kankourang pour lui appliquer la loi du talion. Une tentative d’humiliation qui n’est pas passée car, en lieu et place du kankourang ordinaire, c’est son semblable, doté de pouvoirs surnaturels, qui est apparu, insaisissable, pour corriger l’autorité coloniale et sa garde rapprochée. C’est le fanbonding.»Faut-il brûler le kankourang ?Le kankourang est classé patrimoine immatériel de l’Unesco depuis l’année 2005. Du fait du génie mandingue qui a justifié son invention. Du fait des missions que la communauté mandingue lui a assignées en termes d’éducation et de préservation de l’harmonie sociale et de la sacralisation dont il fait l’objet par les membres de cette communauté. A ce titre, il doit être conservé. Comment le préserver des dérives qui poussent les autorités administratives à interdire sa sortie, par endroits et très souvent ?Pour Malang Daffé, «il faut que l’on comprenne que de nos jours, il y a des missions que le kankourang ne peut plus accomplir. L’Etat a le rôle d’assurer la sécurité et la défense des personnes et de leurs biens. Aucun citoyen n’a le droit de se faire Justice. Cela étant compris, les rôles de police et d’éducateur des enfants de la communauté doivent être retirés au kankourang qui ne doit plus détenir des armes blanches lors de ses apparitions. Le kankourang doit se limiter à agrémenter les sorties, les entrées et le temps de séjour des petits circoncis dans leurs campements.
Ce kankourang-là doit être accessible à tous, même aux femmes qui sont incontournables dans les réjouissances qui accompagnent les sorties ou entrées des jeunes circoncis dans leurs campements».