Pourquoi faire payer moins cher le diesel et l’essence?
Les cheikhs du pétrole envisagent de réduire considérablement le prix du pétrole brut. Pourquoi et comment comptent-ils faire baisser les prix, alors que le Moyen-Orient s’embrase? Éléments de réponses avec Peter Vanden Houte, économiste en chef chez ING Belgique.
Le journal allemand Bild assure qu’il a pu mettre la main sur le plan secret de cheikhs du pétrole pour rendre le ravitaillement en carburant moins cher. Selon un journaliste du quotidien allemand, les Émirats arabes unis, l’un des principaux fournisseurs de pétrole au monde, souhaitent augmenter d’un quart leur production de pétrole, qui passerait de 4 millions de barils par jour aujourd’hui à 5 millions de barils d’ici à 2025. L’État pétrolier l’a confié lors du World Future Energy Summit, un événement annuel organisé dans la capitale Abu Dhabi et consacré… à l’énergie verte.
Lors du sommet sur le climat d’Abou Dhabi de l’année dernière, Sultan al-Jaber, haut responsable d’Adnoc (NDLR: ‘entreprise spécialisée dans l’énergie) avait déjà fait part de cette intention. D’ici 2030, il souhaite forer 42% de pétrole en plus, révèle la BBC. Cela aura (évidemment) des effets sur les prix.
10% moins cher
Carsten Brzeski, économiste en chef d’ING en Allemagne, estime que l’augmentation de la production pourrait entraîner une baisse des prix du pétrole brut allant jusqu’à 19% d’ici à 2025. Son homologue belge est-il d’accord? “Il dit au ‘maximum’, ce qui peut aussi signifier zéro pour cent”, tempère Peter Vanden Houte, économiste en chef chez ING Belgique. Plus prudent, il prédit une baisse avoisinant 10 %. “C’est ce que tous les marchés financiers supposent”, justifie-t-il.
“Maintenant ou jamais”
Pourquoi les cheikhs du pétrole veulent-ils faire baisser les prix maintenant, alors que le Moyen-Orient est le théâtre de vives tensions. “Les pays de l’OPEP (NDLR: une coalition de pays producteurs de pétrole, dont la plupart sont des États arabes du Golfe) maintiennent délibérément le prix à un niveau élevé aujourd’hui. Dans le même temps, les pays non membres de l’OPEP produisent davantage de pétrole”, explique M. Vanden Houte.
Les pays de l’OPEP voient leur consommation diminuer parce que le monde achète plus de pétrole américain, par exemple (les États-Unis ne font pas partie de l’OPEP. “Tant que le baril de pétrole coûtera plus de 65 dollars, il restera rentable pour les États-Unis de forer de plus en plus de pétrole de schiste”, poursuit M. Vanden Houte. Le pétrole de schiste est un phénomène relativement récent, controversé en raison de son impact négatif sur le climat et l’environnement.
Les cheikhs du pétrole doivent donc réagir, faute de quoi leurs profits pourraient fondre comme neige au soleil. De plus, l’Europe souhaite passer complètement à la conduite électrique d’ici à 2035. “Tous ces stocks de pétrole risquent alors de perdre de leur valeur, c’est donc maintenant ou jamais”. Selon le Fonds monétaire international, l’OPEP augmentera sa production à partir de juillet.
Cela se ressentira-t-il concrètement à la pompe? Bild évoque une baisse de 20 centimes par litre ou plus. “Le pétrole est négocié en dollars. Plus le dollar est fort, plus l’effet sur nous est important. La force du dollar l’année prochaine dépend notamment du vainqueur de la course à la présidentielle américaine. En raison des droits d’accise, l’effet sur l’essence et le diesel se limitera probablement à quelques pour cent”, analyse Peter Vanden Houte. Bild semble donc assez proche de la réalité. “Pour le mazout, l’effet sera plus important: on paie moins de droits d’accise sur ce produit. »
Obstacles
La guerre en Ukraine pourrait contrarier les plans des cheikhs. Le conflit joue un rôle crucial dans le prix payé à la pompe pour l’essence ou le diesel. L’Ukraine frappe des raffineries de pétrole russes avec des drones, à des centaines de kilomètres à l’intérieur de la Russie. Cela fait grimper le prix du raffinage du pétrole brut en essence ou en diesel ailleurs dans le monde.
“Cela a un impact direct sur les consommateurs. C’est également la raison pour laquelle le président américain Joe Biden a demandé à l’Ukraine de mettre fin à ces attaques. Il pourrait se passer d’une augmentation du prix de l’essence juste avant les élections”, commente l’expert.
Autre obstacle potentiel, l’attitude de l’Iran. “Si les Houthis, menés par l’Iran, bloquent à nouveau le passage du trafic de marchandises en mer Rouge, nous aurons des problèmes”, conclut M. Vanden Houte.