France: il y a 80 ans, les femmes obtenaient le droit de vote après plus d’un siècle de combat

Le 21 avril 1944, les Françaises se trouvaient parmi les dernières en Europe à obtenir le droit de vote. Cet acquis, vieux de 80 ans, est l’aboutissement de plus d’un siècle de lutte et de débats en faveur de l’égalité politique en France.

En 1848, la France fait figure de pionnière en accordant le droit de vote à tous les hommes, devenant ainsi l’un des premiers pays au monde à instaurer le suffrage universel masculin.

Les femmes, quant à elles, devront patienter jusqu’en 1944 pour obtenir le droit de se rendre aux urnes. Cantonnées aux rôles d’épouses et de gardiennes du foyer familial, elles restaient jusqu’alors exclues de la sphère politique, jugées inférieures, influençables et immatures.

À la même date, les Néo-Zélandaises jouissaient de ce droit depuis déjà quarante-sept ans, contre trente-huit pour les Finlandaises, vingt-six pour les femmes britanniques – âgées de plus de trente ans – et vingt et un ans pour les Turques.

Face au retard français, le combat en faveur de l’égalité politique aura mis plus d’un siècle à trouver satisfaction. Le vote, une affaire d’hommesPourtant, dès la Révolution française, des voix telles que celles de Condorcet et Olympe de Gouges se lèvent en faveur du suffrage féminin.

Leurs appels restent cependant lettre morte, les femmes étant officiellement exclues du droit de vote par l’Assemblée nationale le 22 décembre 1789, puis par la Constitution de 1791.

« La femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit également avoir celui de monter à la tribune », écrit en réponse Olympe de Gouges dans son texte « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » dans lequel elle dénonce le mépris des droits de la femme, oubliés des textes de loi.

L’instauration du suffrage universel masculin en 1848 marque un tournant dans ce combat. « À partir du moment où on accorde le droit de vote à tous les citoyens et à tous les Français se pose réellement la question de toutes les citoyennes et de toutes les Françaises », explique l’historienne Anne-Sarah Bouglé-Moalic, auteure de Vote des Françaises : cent ans de débats, 1848-1944.

Plusieurs pointent du doigt un universalisme à demi-mesure, comme le club La Voix des femmes, qui encourage une candidature de George Sand aux élections législatives. Bien que cette dernière se désolidarise de cette initiative, Jeanne Deroin tente, quant à elle, de s’y présenter.

« Elle candidate aux élections de manière sauvage pour demander un suffrage véritablement universel et l’éligibilité des femmes. Par la suite, cette méthode militante sera utilisée quasiment jusqu’au bout », précise Christine Bard, historienne spécialiste des féminismes et auteure de Femmes outsiders en politique.

La citoyenneté ne figure cependant pas en tête des préoccupations pour de nombreuses femmes, qui demeurent encore sous la tutelle maritale et sont privées d’accès à l’éducation, au divorce et à un salaire.

« À cette époque, ce n’est pas la seule dimension de l’émancipation des femmes, il y a aussi celle des droits civils, pointe Anne-Sarah Bouglé-Moalic. Il est même difficile pour les femmes de se projeter sur ce droit de vote sachant que, dès 1852, il perd sa substance avec l’instauration du Second Empire. »

Cinq refus du Sénat

Il faut attendre la IIIe République, proclamée en 1870, pour que l’acquisition de ce droit devienne un objectif commun, notamment sous l’impulsion d’Hubertine Auclert, qui demande la révision du Code civil en faveur de l’éducation et de l’indépendance économique des femmes, mais aussi du droit de vote et du divorce.

« Elle va réussir à convaincre l’ensemble du mouvement féministe d’y mettre toutes ses forces, avec cette idée que le droit de vote est la clé de voûte de tous les autres droits. Selon elle, une fois que les femmes seront citoyennes, elles seront en mesure d’œuvrer pour leur totale émancipation », résume Christine Bard.

Progressivement, le mouvement féministe français accorde alors la priorité à la conquête de la citoyenneté. En 1909 est créée l’Union française pour le suffrage des femmes puis, le 26 avril 1914, le quotidien

Le Journal organise un référendum officieux auprès des femmes.

À la question « Mesdames, Mesdemoiselles, désirez-vous voter un jour ? », environ 506 000 d’entre elles répondent « Je désire voter », contre seulement une centaine d’avis défavorables.

Après la Première Guerre mondiale, alors que le suffrage universel s’étend en Europe et que de nombreuses Françaises ont participé à l’effort de guerre, plusieurs propositions de loi en faveur d’un élargissement aux femmes sont adoptées par la Chambre des députés.

Mais l’idée que les femmes pourraient soutenir l’Église catholique dans les urnes ou qu’elles sont inaptes à voter fait de la résistance. « Plus que pour manier le bulletin de vote, les mains de femmes sont faites pour être baisées, baisées dévotement quand ce sont celles des mères, amoureusement quand ce sont celles des femmes et des fiancées. […]

Séduire et être mère, c’est pour cela qu’est faite la femme », écrit le sénateur Alexandre Bérard dans un rapport parlementaire en 1919. Au sortir de la guerre, d’autres craignent aussi la supériorité numérique des femmes.

« Donner le droit de vote aux femmes, c’est leur donner la majorité dans l’électorat », commente Christine Bard. Entre 1919 et 1936, le Sénat s’opposera à cinq reprises au suffrage féminin.

Bloqué par la frange conservatrice du Parlement, le mouvement en faveur du vote féminin, incarné par les « suffragettes », redouble d’efforts.

En 1925, plusieurs candidates se présentent aux élections municipales sur la liste du Parti communiste, profitant du fait que rien dans la Constitution n’impose l’éligibilité des candidats.

« Dans toutes les communes où ils vont avoir des élus, il y aura forcément une femme élue, que ce soit à Douarnenez, à Saint-Pierre-des-Corps ou dans des villes de la banlieue rouge de Paris comme Arcueil », rappelle Anne-Sarah Bouglé-Moalic.

Au total, sept femmes sont élues sur les listes communistes et siègent en attendant que leur élection soit invalidée.Malgré leur incapacité à voter ou à se porter candidates, certaines femmes se voient même être nommées à des postes gouvernementaux dès 1936.

Trois d’entre elles sont désignées pour occuper des sous-secrétariats d’État dans le gouvernement formé par Léon Blum à la victoire du Front populaire.D’autres insistent sur le « droit naturel des femmes à être reconnues comme citoyennes » et sur « l’utilité sociale du droit de vote », comme l’explique Christine Bard.

« Beaucoup de féministes mettent en avant l’intérêt pour la société d’avoir des femmes citoyennes pour mieux lutter contre les fléaux sociaux comme la prostitution, la tuberculose et la pauvreté en raison de leur fibre sociale », décrit l’experte.

Les droits des femmes régressent partout dans le monde, alertent des associations L’anomalie françaiseC’est le 18 mars 1944 que le général de Gaulle, alors président du Comité français de libération nationale, déclare devant l’Assemblée consultative provisoire que « le régime nouveau doit comporter une représentation élue par tous les hommes et toutes les femmes de chez nous ».

Trois jours après cette déclaration historique, l’ordonnance portant organisation des pouvoirs publics en France après la Libération dispose que « les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes » (article 17). Enfin, le 24 mars 1944, cette même assemblée adopte l’amendement du député communiste Fernand Grenier, établissant le droit de vote et d’éligibilité à toutes les femmes françaises.

Ce texte met un terme à plus d’un siècle de lutte pour les droits civiques des femmes. « Pour retrouver une place normale dans l’ensemble des pays démocratiques, la France ne pouvait plus tarder, c’était déjà une anomalie que les femmes ne puissent pas voter avant 1944 au pays dit des droits de l’homme », avance Christine Bard.

« On prend soudain en compte le chemin que les femmes ont pu faire dans la société depuis la fin du XIXe siècle. Elles ont accès à l’école et à un monde du travail qui sort du travail domestique. Elles qui ont toujours été indispensables, on les remarque enfin », poursuit Anne-Sarah Bouglé-Moalic.

Les Françaises se rendent aux urnes pour la première fois le 29 avril 1945, aux élections municipales, soit près de cent soixante ans après la « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » d’Olympe de Gouges, dans laquelle elle écrivait déjà

« La femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits » .Les femmes votent pour la première fois en France lors des élections municipales à Paris, le 29 avril 1945.

AFP

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *