Attentat de Moscou: une semaine après, le deuil invisible

L’attaque de la salle de concert du Crocus City Hall, qui a eu lieu il y a une semaine, a fait au moins 139 morts et 360 blessés, selon un dernier bilan officiel, 95 disparus et/ou morts non identifiés. Vladimir Poutine ne s’est toujours pas rendu sur les lieux, n’a pas encore rencontré les familles de victimes. Dimanche dernier a bien été décrété jour de deuil national par le chef de l’État russe, mais le chagrin et le deuil se vivent presque individuellement.

La soirée de mercredi, comme un précipité de la Russie post-attentat. D’un côté, le déplacement officiel de Vladimir Poutine sur le thème de la culture, abondamment relayé. De l’autre, le groupe Piknik, qui avait dû fuir son propre concert attaqué vendredi soir, et qui remontait sur scène à Saint-Pétersbourg.

À l’extérieur de la salle, selon notamment le média « Fontanka », un déploiement massif de forces de sécurité, garde nationale et police anti-émeutes. À l’intérieur, des survivants du concert de vendredi dernier, mêlés à des spectateurs venus tout exprès. Les recettes engrangées seront toutes affectées aux familles des victimes, annonce du groupe. Après une minute de silence, PikNik a délivré une performance tout en retenue, avec une playlist spécifiquement travaillée pour cette soirée.

Ce moment de communion, de deuil et de résilience sous haute protection a été rendu public uniquement sur les réseaux sociaux. Pas une image à la télévision d’État. Au même moment, les caméras officielles étaient rivées sur le déplacement du chef de l’État russe. « Nous sommes dans la petite ville de Torzhok, 40 000 mille habitants. Il est clair que l’arrivée du président y est un événement énorme », annonce le reporter du pool présidentiel de la chaîne Rossiya 1.

Vladimir Poutine a consacré deux heures à cette visite officielle sur le thème de la culture dans cette ville à mi-chemin entre la capitale russe et Saint-Pétersbourg, s’attardant sur de vieux ouvrages, évoquant un accès à élargir à la carte « Pouchkine », la carte de réduction pour l’accès aux lieux culturels. Seule référence à la soirée qui a bouleversé sa population, ces quelques mots : « J’aurais dû venir lundi, mais en raison des événements tragiques à Moscou, avec cette attaque terroriste barbare, nous avons reporté tous les événements. Mais le fait est que la culture, puisqu’elle est le cadre spirituel du peuple et soutient notre identité, joue un rôle important dans de tels moments difficiles, même tragiques, car elle donne de la force au peuple et à chaque individu. »

Toujours pas de visite de Vladimir Poutine au Crocus City Hall

Les premiers enterrements ont commencé ce mercredi, et seuls les médias locaux en ont parlé. Les blessés dont parlent les médias légitimistes sont ceux qui sortent de l’hôpital. Signe de l’inquiétude et de l’angoisse qui règne encore, le journal RBK rapporte que les russes rendent massivement les billets pris pour des événements publics : 100 000 dans les cinq jours qui ont suivi l’attaque meurtrière contre le Crocus.

De nombreux Russes font le parallèle entre l’attaque de la salle de concert du Crocus City Hall et la prise d’otages de trois jours dans une école de Beslan, il y a 20 ans. Pour eux, le choc, la tristesse, le soudain sentiment d’insécurité dans leur vie quotidienne est le même. À l’époque, Vladimir Poutine avait mis quatre jours avant de se rendre sur les lieux et ce jeudi, le porte-parole du Kremlin a expliqué qu’il allait falloir encore attendre.  

« En ce moment, se rendre sur place est encore totalement impraticable, et cela interférerait simplement avec le travail et l’organisation du personnel qui se trouve toujours sur les lieux », a déclaré Dimitri Peskov. « Quant aux familles et proches des victimes, tous les services concernés sont déjà en lien avec elles. Les paiements et compensations ont déjà commencé de la part de la région de Moscou et de la ville de Moscou. Tout est fait d’une manière très rapide et le travail se poursuit. »Quant à savoir si le chef de l’État russe a l’intention de rencontrer les familles de victimes, là non plus pas de précisions. 

Le pouvoir cherche aussi dans cette période à canaliser la colère exprimée par une partie de la population. On ne sait pas encore si les débats en cours sur la fin du moratoire de la peine de mort trouveront un débouché concret. Mais – peut-être un signal que les autorités ne penchent pas en ce sens – mercredi, un reporter de la chaîne Rossiya 24 s’est rendu dans une colonie pénitentiaire dans l’Arctique, une colonie dite « à régime sévère », soit le type de prison où pourraient être envoyés les assaillants. Il y décrit une météo terrible, « en hiver, la température descend parfois en dessous de 45 degrés, et en été, l’air se réchauffe jusqu’à 30-35 degrés ». Un lieu qui « donne des frissons et la chair de poule, car c’est là que sont détenus les criminels les plus brutaux et sans âme, et les terroristes cannibales. La lumière dans la cellule est toujours allumée et la cellule est toujours surveillée. Les conversations entre prisonniers sont interdites. Ils ont droit à une promenade quotidienne pouvant aller jusqu’à une heure et demie, dans une cour dépourvue de lumière naturelle », bref, « des conditions de détention pires que la mort ».

À aucun moment le reporter ou la chaîne ne donnent cette précision : la colonie pénitentiaire ici décrite est celle où est mort, dans des circonstances très troubles, Alexeï Navalny.

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