« Hugues Fabrice Zango a ce mental pour se sortir de toutes les situations », selon son entraîneur Teddy Tamgho

Le Français Teddy Tamgho est l’entraîneur d’Hugues Fabrice Zango. Troisième homme à sauter à plus de 18 mètres, c’est aussi un champion d’exception, qui gère un groupe d’athlètes de haut niveau, en même temps qu’il tente de se qualifier lui-même pour les Jeux de Paris. Emmener le Burkinabè à la médaille d’or à Paris est sa mission, qu’il a décrypté pour nous quelques heures avant la victoire de Zango à Glasgow. Simon Rodier, avec Camille Balland.

TV5MONDE : Dans un championnat, à quelques heures d’un concours [l’interview a été réalisée juste avant le titre de champion du monde à Glasgow– NDLR], quel est votre rôle avec Hugues Fabrice Zango ? Qu’est-ce que vous lui dites ?

Teddy Tamgho, athlète et entraîneur du champion du monde de triple saut en  Hugues Fabrice Zango : Hugues a déjà pas mal de bouteille, d’expérience dans des championnats. Depuis 2019, il est toujours placé sur le podium. Je n’ai pas forcément grand-chose à lui dire, il sait ce qu’il a à faire, il sait gérer ce genre de situation. J’arrive plus en tant qu’observateur… Je regarde si tout se passe bien, et je n’interviens que si besoin. Il est très mature Hugues. C’est d’ailleurs une des premières choses qui saute aux yeux le connaissant, et avec toute l’expérience acquise lors des précédents championnats, je n’ai pas d’inquiétude sur la manière dont il gère les compétitions.

TV5MONDE : Vous avez un potentiel champion olympique entre vos mains, qui va sur toutes les compétitions pour les gagner. Comment vous gérez un athlète de cette trempe, par rapport aux autres ?

Teddy Tamgho : On traite les athlètes en fonction de plusieurs paramètres. D’abord son âge, puis en fonction de son niveau sportif, et aussi par rapport à son comportement, sa singularité. Hugues aujourd’hui, certes il entre dans les favoris – et il n’est pas le seul pour le titre olympique – mais si jamais demain Wilhem Belocian [spécialiste français du 110m haies, qui est dans le groupe de Teddy Tamgho – NDLR] entre dans cette case, le coaching ne sera pas le même car ils ont deux personnalités complètement différentes, des besoins complètement différents… Il faut que moi, en tant qu’entraîneur, je puisse m’adapter à chacun.

TV5MONDE : Quelles sont les particularités physiques d’Hugues Fabrice Zango ? Ses collègues l’appellent « le buffle ».

Teddy Tamgho : Physiquement, c’est une personne impressionnante, musclé, c’est pour cela qu’on l’appelle comme ça. Mais il va très vite, c’est l’un de plus rapides au monde dans la discipline du triple saut, et je pense même qu’aux Jeux Olympiques, il sera le plus rapide. Et puis il est très élastique. Donc ce qu’il dégage sur le lieu de la compétition, c’est exactement le contraire de l’apparence qu’il a, cette masse.

TV5MONDE : Alors quels sont ces points d’améliorations pour l’amener jusqu’au titre olympique, l’objectif ultime ?

Teddy Tamgho : L’amélioration, c’est de mettre tout en place. Il va déjà très vite, il est très élastique : le but c’est de mettre les deux en place, au même moment, avec de la maîtrise technique. À partir du moment où la maîtrise technique est régulière, alors on aura la recette parfaite.

TV5MONDE : Sur le plan mental, l’autre aspect primordial, vous êtes réputé pour votre motivation, votre capacité à tout réunir même au dernier essai. C’est cela que vous lui apportez ?

Teddy Tamgho : Il l’a déjà. Je n’ai pas eu besoin de la faire, il l’a déjà. Aux championnats du monde à Doha en 2019, il prend la troisième place grâce à son dernier essai. L’an dernier à Budapest, il devient champion du monde grâce à son cinquième essai. C’est une personne qui sait répondre au dernier moment, il a ce mental, cette « tronche » bien solide pour pouvoir se sortir de beaucoup de situations. Moi, mon travail avec lui, c’est simplement de faire en sorte que tout se passe bien. Un peu observateur, donner quelques petits trucs à un moment donné.

On a un peu changé de relation coach/athlète. Quand il est arrivé dans le groupe en 2019, Hugues était un peu un autodidacte, donc il a fallu que je « drive » un peu la direction de sa carrière, de son entraînement, de ses compétitions… Mais il a vite assimilé. Donc aujourd’hui j’arrive simplement pour faire en sorte que tout se passe bien

TV5MONDE : En tant que coach, est-ce que Hugues Fabrice vous apporte quelque chose ?

Teddy Tamgho : En tant que coach, ce qui est intéressant avec Hugues, c’est qu’il peut constituer un modèle. C’est vrai que tous les athlètes sont singuliers, différents et qu’il faut le prendre en compte. Mais en tant qu’entraîneur, on peut dire aux autres du groupe : « regardez, il y a le champion qui est là. Il souffre comme vous, il connaît les mêmes problèmes que vous ». Cela permet d’avoir une comparaison possible pour les athlètes du groupe, pour les moments difficiles parfois. Une référence.

TV5MONDE : Et vous, êtes-vous une référence pour Hugues Fabrice ? [Teddy Tamgho a un record à 18m04 et est devenu champion du monde en 2013 – NDLR]

Teddy Tamgho : Je pense que j’ai été une référence. Maintenant, comme pour tout, si l’élève apprend bien, il finit par démystifier le maître et il fait son propre chemin.

TV5MONDE : Réfléchissez-vous au fait que vous pourriez être concurrent ? [Teddy Tamgho tente un retour au plus haut niveau pour les JO de Paris – NDLR] Vous essayez d’amener un athlète tout en haut, et vous aussi, en même temps.

Teddy Tamgho : Personnellement, je ne pense pas à cette question… Quand je me concentre sur lui, je me concentre à fond sur lui. Quand je me concentre sur moi, je me concentre à fond sur moi. S’il doit se passer quelque chose aux Jeux Olympiques, il se passera quelque chose. On y sera et on fera ce qu’on a à faire. Mais en attendant, cette pensée n’est pas dans l’équation.

TV5MONDE : Le but du jeu est donc d’arriver à la meilleure performance possible, d’aller le plus loin possible, pour tous les deux ?

Teddy Tamgho : Pour moi, je pense que les années où j’ai emmené mon corps à un niveau d’élite sont déjà passées. Je préfère être clair avec moi-même. Pour moi, l’objectif, c’est vraiment de terminer ma carrière de la meilleure des manières, et passer à autre chose.

Mais Hugues a encore du temps ! Il y a encore des pistes que l’on a découverte par rapport à sa progression, à une évolution positive le concernant. Il a déjà beaucoup gagné en vitesse cet hiver, et là après ces championnats on va travailler sur la partie bondissement. Pour convertir cette vitesse dans les sauts, et aller chercher un titre olympique. Hugues est l’un des favoris mais d’autres personnes auront leur place sur l’échiquier : Andy Díaz, Jordan Díaz… on a Pedro Pichardo, un des plus gros concurrents ces derniers temps. Et puis il y a le jeune prodige jamaïcain Jaydon Hibbert, qui aura clairement son mot à dire malgré son jeune âge, 19 ans… Avec Hugues, ce sont cinq sauteurs à plus de 17m85, donc c’est très serré, seulement 30 centimètres d’écart entre cinq personnes… Ça peut être électrique à Paris.

TV5MONDE : Donc il faudra sauter à plus de 18 mètres pour gagner ?

Teddy Tamgho : C’est une hypothèse qu’il ne faut pas négliger. Mais les Jeux, c’est un championnat. La performance n’est qu’un moyen, mais ce n’est pas une fin. S’il faut faire 18 mètres pour gagner, il faut être prêt à cela. Si c’est 17m50, pareil. L’année dernière à Budapest, Hugues n’a pas eu besoin de réaliser 18 mètres pour gagner. Il a gagné, et c’est tout ce qui compte.

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