Iran: 45 ans après la Révolution islamique, les Iraniens perdent foi en la religion d’État
En 1979, la Révolution islamique s’était fixée comme idéologie directrice, au niveau politique comme religieux, un suivi extrême de l’islam, avec la volonté de faire de l’Iran un champion dans le monde musulman. Mais 45 ans plus tard, cette promesse d’un pays théocratique semble être remise en cause par des millénaires de culture persane et une société qui ne cache plus son rejet d’un régime largement répressif et la religion qui le caractérise.
Par : Louise Huet – RFI
Au sud de l’Iran, les vestiges de Persépolis, vaste complexe édifié par le roi Darius 1er, symbole de la grandeur de l’Empire perse, sont inscrites sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco depuis 45 ans. Emblème de la monarchie passée, ces ruines ont néanmoins fait face à une tentative iconoclaste après la Révolution islamique de 1979. Un religieux et ses partisans ont tenté de raser le site pour éradiquer cette référence culturelle, « en contradiction totale avec l’islam et les valeurs prônées par le régime », raconte Didier Idjadi, sociologue iranien enseignant au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). Sauf que face à la mobilisation des habitants pour s’opposer à sa démolition à Chiraz, où se trouvent ces vestiges, l’entreprise a rapidement été abandonnée.
Des exemples comme Persépolis, où des Iraniens résistent aux tentatives du régime de supprimer une partie de sa culture ancestrale, il en existe des dizaines. « Le modèle islamique a voulu s’imposer de force en détruisant et en rejetant le passé historique iranien. Mais ces fêtes, ces traditions, qui ont des milliers d’années, sont ancrées dans l’inconscient d’une grande majorité de la population iranienne et ne peuvent pas être effacées aussi facilement », rapporte Didier Idjadi.
Pourtant, c’est bien ce que la République islamique s’évertue à faire depuis sa fondation. À majorité chiite, l’Iran est depuis 1979 une théocratie, basée sur un modèle d’islam politique. Si à ses débuts, le régime islamique puisait sa force dans l’adhésion d’une majorité d’Iraniens, « cette adhésion populaire s’est étiolée » en l’espace de seulement dix ans, poursuit l’universitaire. Pour laisser place à deux leviers phares : la répression systématique contre la population et l’accentuation de la propagande religieuse dans tous les domaines de la société.
Beaucoup « ne se reconnaissent plus dans la religion officielle du régime »
Mehdi Khalaji, théologien iranien exilé aux États-Unis, n’hésite d’ailleurs pas à qualifier la République islamique de « régime totalitaire ». Pour lui, le déclin de la popularité du régime et de sa religiosité s’explique justement par ce climat ambiant de terreur. « Même si tous ces actes d’oppression sont réalisés au nom de l’islam, pour de plus en plus d’Iraniens, aucune raison religieuse ne peut justifier les régulations arbitraires et les souffrances qu’on leur fait subir : les arrestations, la torture, les condamnations à mort, les emprisonnements, les menaces. Aujourd’hui, ce modèle d’islamisation crée une forme de dégoût dans le pays », explique ce fils de religieux propulsé de force par sa famille dans les rouages du système du clergé chiite durant son adolescence.
Un constat partagé par Didier Idjadi, qui relève un « divorce entre ceux qui croyaient réellement en la Révolution islamique à sa conception, et ce qu’elle est devenue ». De nombreux Iraniens se distancient ainsi du régime pour exercer leur religion comme ils l’entendent. « Il existe encore une partie de la société iranienne qui croit en l’islam, qui se rend sur les lieux de pèlerinage, qui prie, mais qui ne reconnaît pas sa religion dans celle du gouvernement », ajoute-t-il.
Si le Quai d’Orsay évalue à 99% la population musulmane dans le pays (chiite à 89% ; sunnite à 10%), la réalité est tout autre selon Didier Idjadi, qui s’appuie sur une étude menée à distance par l’institut d’analyse et de mesures Gamaan, basé aux Pays-Bas. Sur un échantillon de 40 000 Iraniens vivant en Iran, 78% y déclarent croire en Dieu. Pourtant, près de la moitié des sondés (47%) indiquent avoir abandonné leur religion. Dans le détail, seulement 32% d’Iraniens se disent musulmans chiites tandis que 22% ne s’identifient à aucune des croyances mentionnées dans l’enquête.