Le comble du ridicule : Quand le dof doflu de Pawlish fait école chez les acteurs politiques
Le ridicule n’existe pas : ceux qui ont osé le braver en face ont conquis le monde, a dit Octave Mirbeau dont les mots font penser à ceux de Pawlish Mbaye affirmant que le dof doflu, c’est-à-dire le fait de «jouer la folie», est gage de succès et de réussite. Propos, semble-t-il, inspirateurs des acteurs politiques sénégalais, qui ne se limitent pas à braver le ridicule : ils plongent dans la bêtise et taquinent l’absurde, le burlesque, le caricatural et le grotesque, sans état d’âme. Ils ont tellement habitué les Sénégalais à leur cirque que ces derniers ont fini par assimiler la politique à la tricherie et à la roublardise, et à se laisser tromper volontiers, comme par délectation. Le bon politicien, dit-on, c’est celui qui peut aligner dix mensonges volontaires et se faire chaque fois applaudir. Alors, sont considérés les meilleurs, ceux-là qui osent aller le plus loin dans la direction indiquée par le jeune comédien. Et, vu que qui se ressemble s’assemble, de plus en plus les politiciens font-ils alliance avec les amuseurs publics, insulteurs du net et autres charlatans. Ils sont devenus les maîtres du jeu et du temps. Et une pluie de mensonges de tomber sur nos têtes, surtout en cette veille d’élection.
Pour illustrer mon propos, je ne parlerais pas des comportements et discours peu respectables des députés qui tiennent à leur titre plus qu’à leur honneur. Je ne suivrais pas la logique tortueuse des leaders dont l’amour du pouvoir a mangé l’intelligence et le cœur, au risque de perdre ma petite raison. Je ne raconterais pas les aventures de Boughazeli, ni les performances de Coura Macky, ni celles de Marius et Massata. Je vous rappellerais simplement ces faits assez illustratifs du climat politique sénégalais ces dernières années et qui ont dominé l’actualité, concernant essentiellement Ousmane Sonko et Mimi Touré : le premier se fait masser plusieurs années durant par une jeune fille qui l’accuse de viols répétitifs. Il nie les faits. Son lieutenant, Diomaye, à l’instar de tous les «pastéfiens», jure que son leader ne connaît pas l’accusatrice, n’a jamais fréquenté de salon de massage et crie au complot. Acculé, Sonko évoque une maladie datant de son enfance, que sa mère traitait avec de la graisse de boa, pour justifier sa fréquentation assidue et prouvée de Sweet Beauté. Puis, par esprit de diversion certainement, il accuse Mame Mbaye Niang de voler, jure détenir des preuves, avant de se retrouver devant le juge sans argument, pour encore et toujours crier au complot. Et, cependant que la rue flambe, que le gatsa-gatsa bat son plein, le tonitruant Dame Mbodj, comme pour attiser le feu de la révolte, parle de guet-apens, de course-poursuite et de rafales de balles déversées sur sa voiture, mais inaudibles à toutes les oreilles de la Corniche Ouest. Au même moment, Sonko accuse les Forces de l’ordre de tentative d’empoisonnement après moult attaques contre l’institution judiciaire et ses membres… Mimi, quant à elle, après plusieurs années de compagnonnage avec le Président, après avoir occupé la fonction de Premier ministre, dirigé la liste Benno, battu campagne et traité l’opposition de tous les noms d’oiseau, rejoint en grande pompe le camp de ses adversaires, non sans vitupérer contre le pouvoir comme jamais personne ne l’a fait. Et cela parce que le fauteuil de président de l’Assemblée nationale qui lui aurait été promis, à ce qu’il semble, avait été octroyé à un autre. Et, pendant que le camp du pouvoir se déchire via Mame Mbaye Niang et ses critiques du candidat choisi par le Président, au lieu de sévir contre les insulteurs du net, les gens du pouvoir les courtisent, à coup de millions, révèlent certains d’entre eux. Et les Sénégalais de perdre de plus en plus retenue, pudeur et décence, les acteurs politiques plus que tous les autres. Tenez ! Le maire du Plateau, fieffé politicien qu’il est, donne le nom de l’avenue Faidherbe au président de la République, chef de la coalition politique à laquelle il appartient, le Conseil d’administration donne le nom de l’Hôpital régional de Fatick à la Première dame. Tout dernièrement, le maire de Dakar, membre de Taxawu, a baptisé le Centre municipal de dialyse de Liberté 6 du nom de Khalifa Ababacar Sall, son responsable politique, candidat à la Présidentielle…
Laissons les dérives de nos acteurs politiques, oublions les flatteries indécentes, les virevoltes, les virées nocturnes, les pommades de graisse de boa et autre dragon de compagnie. Ne pipons mot sur comment Yewwi askan wi a tenté de ligoter ce Peuple, comment Benno a fini de le fracturer, ni comment Pastef a procédé pour l’abrutir. Gardons le silence sur le pourquoi on a tant insulté nos autorités religieuses et «fusillé» les premiers présidents de cette République. Parlons plutôt du parrainage qui, lui aussi, hélas, a taquiné le burlesque. Malgré le parrainage, en effet, et la lourde caution demandée aux candidats dont l’objectif est de limiter leur nombre, nous nous sommes retrouvés en cette veille d’élection de février 2024 avec plus de 200 candidats déclarés, 79 dossiers déposés auprès du Conseil constitutionnel dont 20 ont été finalement retenus. Un score jamais égalé avec, en bonus, un collectif des recalés réunissant pêle-mêle des prétendants sérieux, de moins sérieux et de véritables farceurs. Bon nombre de Sénégalais se demandent toujours comment et pourquoi certains ont eu l’audace de présenter leur candidature. Comment d’autres ont-ils pu passer le cap du parrainage ? Pourquoi d’autres encore ne l’ont-ils pas pu ? Ce ne sont pas là des griefs contre le Conseil constitutionnel, mais une dénonciation du niveau d’éducation civique et citoyenne de notre Peuple qui affectionne le spectacle et est très sensible au tapage médiatique et à l’argent. Mais il faut le dire. Avec le parrainage et la caution trop élevée, bon nombre de valeureux Sénégalais sont écartés d’office de la compétition, comme si le pouvoir financier déterminait le niveau de compétence et d’expérience. Et les friqués et les réseautés alors de faire des élections leurs business, certains avec la bénédiction de parrains intéressés, parfois dangereux : «Oui, nous le pouvons !», se sont-ils tous écriés, «nous le pouvons puis-que nous sommes riches !».
Et pourtant, Ndiouga Kébé était riche, mais il n’a jamais pensé acheter la présidence de la République du Sénégal. Parce qu’il savait, le milliardaire, que diriger un Etat ce n’est pas une affaire d’argent, mais une affaire d’engagement sincère, de formation et de vécu.
Une anecdote pour confirmer mon propos. Le ndey dji reew Mbaye Diagne Degaye, un très riche propriétaire terrien, soutenait Senghor dans son face-à-face avec Lamine Guèye. Un jour, il s’adressa ainsi à son candidat dans sa belle chemise saharienne : «Pourquoi ne portes-tu pas des costumes et cravates comme ton adversaire ?» Au sourire de Senghor, le dignitaire ajouta : «Lamine ne peut pas être plus grand de taille que toi, plus beau et s’habiller mieux !» Senghor, qui n’éprouvait aucun complexe, déjà à cette époque de sa vie, répondit : «Lamine est un riche avocat, ndey dji reew !» Bref, c’est ainsi que le dignitaire lébou commanda des costumes «comme ceux de Lamine Guèye» à son protégé… Ablaye Wade non plus ne comptait pas sur son argent, mais sur ses compétences. En 2000, dit-on, «la marche bleue» concoctée par Idrissa Seck était une parade contre le manque de ressources financières du Pape du Sopi. En ces temps-là des Bathily, Dansokho, Landing et autres, aussi riche qu’on fût, on n’osait pas s’aventurer dans des élections présidentielles si l’on n’y était pas préparé : c’est la qualité des acteurs qui garantissait la sélection. Aujourd’hui, hélas, on oublie qu’un riche entrepreneur ne fait pas forcément un bon Président, et vice-versa. Ce n’est pas parce qu’on sait exciter les foules, comme le toréador le fait avec son taureau, qu’on est apte à guider un Peuple. On oublie aussi qu’un parti politique, ce n’est pas que la conquête du pouvoir, mais aussi l’animation politique et la formation des militants.
Et les recalés du parrainage d’aller pleurnicher au Palais, à la suite d’une demande d’audience adressée au président de la République. Celui-ci les reçoit, mais se lave les mains de leurs griefs. Le Pds accuse alors le Conseil constitutionnel de corruption, conflit d’intérêts, connexions douteuses, et réclame la mise sur pied d’une Commission d’enquête parlementaire. L’Assemblée nationale bénit l’initiative. Thierno Alassane Sall, qui avait signalé la double nationalité du candidat de la Coalition K24, avec les conséquences que l’on sait, s’indigne, non sans dénoncer «La République des dealers». Massaly l’abreuve d’injures. Le professeur Mary Teuw Niane publie une sorte d’élucubration pour cautionner son soutien au «candidat de Sonko», suivant en cela Mimi qui louange le leader du parti dissous Pastef, courbe l’échine et se range, tout en promettant «la fin de l’hyper présidentialisme et du népotisme de l’Etat». L’Ums sort un communiqué où il est dit qu’aucune Commission parlementaire ne peut entendre un magistrat, puis le juge Cheikh Ndiaye dépose une plainte. Madiambal d’écrire : «Il apparaît surréaliste que le régime politique qui avait fait condamner Karim Wade pour prévarication de ressources publiques et l’a accablé jusqu’à le pousser à l’exil, se réveille un beau matin, sans la moindre explication ou repentir ni contrition, pour l’absoudre de tout et chercher à pactiser avec lui.» Le débat enfle. Demba Ramata parle de la guerre des institutions. Le leader du Tekki, Mamadou Lamine Diallo, craint qu’on fasse du Sénégal un jouet. Malgré tout, les plaignants annoncent des preuves irréfutables, cependant que d’aucuns dénoncent la «farce des Libéraux», crient au complot et prédisent une crise institutionnelle aussi grave que celle de 1962, avec le choc des pouvoirs judiciaire et législatif annoncé, et que Guy Marius s’étonne qu’on examine la proposition du Pds avant celles faites antérieurement. Pendant ce temps, «est arrivée l’heure des flibustiers», pour parler comme Fadel : des recalés du parrainage se livrent à un «jeu d’alliances impudique, sans principe et frisant l’indécence». Et presque tous les candidats versent dans le tapalé électoral pour récolter des voix. Certains annoncent même qu’ils vont soutenir un autre, sans renoncer officiellement à leur propre candidature, et utiliser leur temps d’antenne à son profit…
Et le dof doflu de battre son plein ! Saisie de vertige, ma raison archaïque ferme ses portes et fenêtres. Car, lorsque le ridicule s’enracine et boutonne, il devient pathétique, et le rire devient indécent, et la désolation s’empare des cœurs. Dans ma solitude, je me suis rappelé, qu’il y a de cela à peine quelques mois, la bêtise avait mis le feu à des facultés de l’Ucad et à des domiciles privés, lancé des cocktails Molotov dans un car de transport en commun, etc. Puis, je me suis exclamé : «C’est cette Assemblée-là, qui a jeté par terre son honorabilité le jour de son installation, qui prétend juger les juges, semblable à l’aveugle qui veut guider le borgne !» J’ai alors formulé cette prière, sachant, comme disait Georges Clemenceau, qu’«on ne ment jamais autant qu’avant les élections, pendant la guerre et après la chasse» : «Dieu sauve le Sénégal, mon pays.» Affaire à suivre : l’Assemblée s’est réunie ce 31 janvier 2024.
Abdou Khadre GAYE, AKG
LEQUOTIDIEN