Difficile exercice d’équilibriste du patron de l’OMS sur le Tigré

Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) est dans la position unique de devoir gérer une crise humanitaire dans laquelle la survie de sa propre famille est en jeu.

Le Dr Tedros, 57 ans, est originaire du Tigré, la région du nord de l’Ethiopie assiégée depuis deux ans par les forces fédérales et leurs alliés. Un accord de paix, conclu la semaine dernière entre le gouvernement éthiopien et les rebelles tigréens, fait désormais espérer que l’aide humanitaire puisse être acheminée rapidement.

« Les plus courageux choisissent la paix », « Donnez une chance à la paix! », a tweeté le patron de l’OMS après l’annonce de l’accord.

Le Dr Tedros incarne aux yeux du grand public la lutte contre la pandémie de Covid 19 et il se sert à l’occasion de son audience pour évoquer la tragédie que vit sa région natale.

Encerclés, les six millions d’habitants du Tigré manquent de tout: carburant, nourriture, médicaments communications ou électricité.

« Oui, je suis originaire du Tigré, et oui cela m’affecte personnellement, je ne prétend pas le contraire. La plupart de mes proches se trouvent dans les zones les plus touchées, plus de 90% d’entre eux », avait-il lancé, la voix étranglée par l’émotion, lors d’un point de presse régulier de l’OMS le 19 octobre.

– Guerre des mots –

Depuis deux ans, l’aide humanitaire n’est arrivée qu’au compte-goutte au Tigré et les agences de l’ONU doivent composer avec les autorités quelles qu’elles soient pour arriver à opérer dans un pays.

Le Dr Tedros n’échappe pas à cet impératif et il s’expose au reproche de sortir de son rôle quand il évoque la situation au Tigré.

Le gouvernement éthiopien l’accuse d’avoir une attitude partisane et d’abuser du porte-voix que lui donne sa fonction.

Pour Addis Abeba il « utilise son poste pour faire avancer ses intérêts politiques personnels au détriment des intérêts de l’Ethiopie ». Le gouvernement éthiopien réclame une enquête de l’OMS sur ce qui à ses yeux sont des manquements graves. Ces accusations n’ont pas empêché le Dr Tedros de décrocher un second mandat en mai.

– Tedros et TPLF –

Le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a déclenché l’offensive contre le Tigré le 4 novembre 2020, accusant le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF) au pouvoir dans la région d’attaquer des camps de l’armée fédérale.

La vie du Dr Tedros est intimement liée au TPLF dont il a été un haut responsable. Le parti a été la force dominante de la coalition quadripartite du Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (EPRDF) qui a contrôlé la politique éthiopienne pendant une trentaine d’année.

L’actuel patron de l’OMS faisait partie du comité exécutif de 9 membres du TPLF jusqu’à ce qu’il prenne son poste à Genève.

Il a aussi dirigé le Bureau régional de la santé du Tigré avant de devenir ministre éthiopien de la Santé de 2005 à 2012. Pressenti comme possible dirigeant du TPLF – et donc potentiellement de l’Ethiopie, il est finalement devenu ministre des Affaires étrangères jusqu’en 2016.

Quand Abiy Ahmed est arrivé au pouvoir en 2018 après des années de manifestations anti-gouvernementales, il a dissous l’EPRDF et formé le Parti de la prospérité. Le TPLF, dont sont issus les chefs rebelles, a refusé de suivre le mouvement.

– Marqué par son enfance au Tigré –

Lors d’un forum des jeunes en 2020, le Dr Tedros a confié qu’à l’âge de sept ans -alors enfant pauvre du Tigré- il a vu son jeune frère mourir, probablement de la rougeole.

« Je n’acceptais pas cette situation à l’époque. Même maintenant, je ne l’accepte pas », avait-il expliqué, ajoutant que « cela m’a beaucoup influencé. »

Traditionnellement, le Dr Tedros tient des propos liminaires Lors des conférences de presse hebdomadaires de l’OMS, mais laisse en général soin à son équipe de répondre aux questions.

Mais quand il s’agit du Tigré, il prend la parole et laisse souvent poindre l’émotion.

« Je veux leur envoyer de l’argent, je ne peux pas leur envoyer d’argent. Ils meurent de faim, je le sais, je ne peux pas les aider. Je ne sais même pas qui est mort ou qui est vivant », a-t-il dit en août, évoquant le sort de sa famille.

Et le 1er novembre, il a été le seul des responsables de l’ONU à évoquer le risque d’un « génocide ».

L’accord de cessez-le-feu pourrait offrir la chance de faire cesser le bain de sang. Et tous les yeux seront une nouvelle fois rivés sur ce qu’aura à dire le Dr Tedros.

AF

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