Le « Sphinx » Paul Biya, intraitable maître du Cameroun

Le président Paul Biya, 89 ans, surnommé le « Sphinx » pour ses rarissimes apparitions publiques et son goût du secret comme pour son caractère intraitable, a littéralement fait du Cameroun sa chose en 40 ans de règne absolu sur ce pays d’Afrique centrale.

En contrôlant et en soumettant son entourage au point que, même pour sa succession, les plus en vue n’osent jamais se découvrir, il a bâti et brisé les carrières des aspirants zélés comme des tartuffes. Parfois d’un coup de menton.

Mais surtout, ces dernières années, il a lancé ses forces de sécurité dans une implacable répression de toute opposition, politique ou armée. Ce qui a valu au président de 89 ans, autrefois écouté et actif dans la diplomatie du continent et au-delà, d’inhabituelles critiques de l’ONU et de capitales occidentales, et un certain refroidissement avec Paris pour cet ancien pilier de la « Françafrique ».

Pour cette raison, et une santé chancelante, ses rares sorties à l’étranger ne l’emmènent plus qu’en soins ou en villégiature dans un très luxueux hôtel de Genève, où l’opposition l’accuse de dépenser des fortunes entouré d’une abondante cour. En 2018, un consortium international de journalistes d’investigation, l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), évaluait à quatre années et demi la durée cumulée de ses « séjours privés » à l’étranger en 35 ans, brocardant un « président itinérant », pour un total de 65 millions de dollars.

Sur la scène nationale aussi, surtout depuis une réélection très contestée en 2018, il n’apparaît plus qu’à l’occasion de très rares discours télévisés, enregistrés et péniblement énoncés. Ou sur des photos et vidéos très « kitschs » de fêtes de famille, au côté de son omniprésente, influente et exubérante épouse, Chantal Biya, dont le style tranche singulièrement avec l’austérité du « Sphinx ».

– Violente répression –

Paul Biya règne d’une main de fer sur son pays confronté ces dernières années à d’importants défis économiques et sociaux – 26% de la population vit dans l’extrême pauvreté selon l’ONU et la corruption est endémique jusqu’au sommet de l’État – mais aussi sécuritaires.

Notamment un sanglant conflit séparatiste dans l’ouest, où une partie de la minorité anglophone s’estime ostracisée par la majorité francophone du pays, et à laquelle le chef de l’État a toujours refusé toute concession notable. Il a dépêché massivement policiers et soldats d’élite pour réprimer très violemment une rébellion elle-même très meurtrière, les deux camps étant régulièrement accusés par les ONG et l’ONU de crimes contre les civils.

M. Biya a également fait violemment taire toute opposition politique depuis 2018, faisant arrêter – et condamner – des centaines de manifestants pacifiques, dont son rival malheureux à la présidentielle, Maurice Kamto, emprisonné neuf mois sans procès en 2019 et libéré seulement après d’intenses pressions internationales, notamment de la France.

Paul Biya n’a cure, jusqu’alors, des opinions étrangères comme camerounaise, accusé par ses détracteurs de régner depuis une tour d’ivoire ou depuis son village natal de Mvomeka’a, dans le sud, où il passait l’essentiel de son temps ces dernières années quand il n’était pas à Genève.

« Il suffit d’un petit coup de tête, et vous n’êtes plus rien du tout »: en tançant ainsi un journaliste vedette de la télé publique qui l’interviewait en 1986, Paul Biya affichait déjà la couleur.

– Françafrique –

Deuxième président du Cameroun depuis son indépendance de la France en 1960, il nomme et congédie lui-même aux postes-clés pour assurer son maintien, s’appuyant sur un parti-État, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), qu’il a créé en 1985.

En verrouillant le commandement de son armée, confié aux plus proches, et en remettant la formation et l’encadrement des troupes d’élite et sa sécurité personnelle à des Israéliens, il a intimidé jusqu’au premier cercle.

Ancien séminariste catholique et étudiant à Sciences-Po Paris, il a gravi les échelons sous son prédécesseur Ahmadou Ahidjo, jusqu’à devenir Premier ministre de 1975 à 1982. La Constitution le propulse à la présidence après la démission surprise d’Ahidjo. Il s’y accroche – avec un coup de pouce de Paris, accusent ses détracteurs.

Seul candidat, il est élu avec 100% des suffrages en 1984, réélu en 1988 également sous la bannière du parti unique, puis cinq fois encore après l’instauration du multipartisme en 1990.

Paul Biya a joué « de la violence et de la terreur, au gré de ses humeurs et des rumeurs, pour asservir ses collaborateurs et soumettre l’ensemble de la population », écrivait, en 2018 dans son livre « Cameroun, combat pour mon pays » Titus Edzoa, ex-fidèle secrétaire général de la Présidence, arrêté en 1997, pour corruption officiellement, quand il s’est présenté à la présidentielle. Il a passé 17 ans en prison.

« M. Biya a mis en pratique l’adage +diviser pour régner+ pour rester au sommet d’un système sans que puissent s’organiser – et encore moins se coaliser – les forces qui auraient pu lui disputer son pouvoir », résume le politologue camerounais Stéphane Akoa.

Par Reinnier Kaz

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