«C’est un jour de honte»

En France, le controversé projet de loi sur l’immigration a été voté à l’Assemblée nationale mardi soir, à 349 voix contre 186. Les associations qui soutiennent les migrants sont vent debout contre un texte de loi jugé « régressif » pour les droits des personnes étrangères.

Un texte « fort et ferme » pour Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur. Mais également « le plus régressif depuis 40 ans pour les droits et les conditions de vie des personnes étrangères en France », dénoncent les associations d’aide aux migrants après le vote définitif par le Parlement de la loi sur l’immigration, mardi 19 décembre. Après 18 mois de revirements et rebondissements autour de ce projet de loi inflammable, l’Assemblée nationale l’a voté avec 349 voix pour et 186 voix contre, sur 573 votants.

Une victoire parlementaire pour Emmanuel Macron, mais qui ouvre en même temps une profonde fracture au sein de sa majorité, dont une partie s’est détournée d’un texte soutenu à la dernière minute par le Rassemblement national. Tandis qu’un conseil des ministres est justement prévu ce mercredi, la Première ministre Élisabeth Borne a « le sentiment du devoir accompli », s’est-elle réjouie sur l’antenne de France Inter ce mercredi matin.

Une loi « contraire aux principes de solidarité et de fraternité »

Du côté des ONG et des organisations de soutien aux personnes migrantes, en revanche, c’est l’indignation qui domine. La Fédération des acteurs de la solidarité, qui regroupe plus de 900 associations, a annoncé mercredi qu’elle effectuait les démarches nécessaires pour faire examiner par le Conseil constitutionnel des mesures de la loi immigration, « contraires aux principes fondamentaux de solidarité et de fraternité indissociables de notre République », indique-t-elle dans un communiqué.

En parallèle, Élisabeth Borne a reconnu sur France Inter que certaines mesures du texte sont justement contraires à la Constitution, et elle n’a pas exclu de devoir « revenir » sur certaines mesures, comme les aides personnalisées au logement ou la caution pour les étudiants étrangers.

Pour la Fédération des acteurs de la solidarité, le projet de loi immigration « n’apporte aucun élément de maîtrise de l’accueil et de l’intégration des étrangers » mais « un déchaînement de mesures qui vont peser lourdement sur les étrangers en précarité » et « les conditions d’action » des associations. Ces mesures vont également peser « sur l’ordre public et sur la force de notre société et de notre économie », ajoutent-elles.

Les associations se disent ainsi « gravement préoccupées » pour « le respect des principes de solidarité et notamment d’inconditionnalité, la situation des personnes et les conditions de la lutte contre la pauvreté » par des intervenants « déjà fragilisés ».

Une situation «effarante » pour les associations

Avant le vote sur la loi mardi, une cinquantaine d’ONG avaient signé une tribune pour dénoncer le retour en arrière que représente ce texte selon elles. Pour Pierre Henry, président de l’association France Fraternités, cette loi comme elle a été adoptée est en désaccord total avec les valeurs de la République française basées sur la solidarité.

« Quand un texte propose la préférence nationale ou la priorité nationale, par exemple pour le versement d’un certain nombre de prestations sociales non contributives, on rompt avec une vieille tradition d’égalité ancrée dans ce pays. Quand on propose la fin du droit du sol pour un certain nombre de jeunes gens, quand on propose de pénaliser le séjour irrégulier, quand en réalité on refuse d’accepter le principe de la régularisation d’un certain nombre de personnes qui sont sur le sol français depuis longtemps, qui travaillent dans des métiers difficiles, dans la restauration, le nettoyage, par exemple dans les chantiers des Jeux olympiques, il y a quelque chose qui manifestement ne tourne plus rond. Le gouvernement s’est mis dans la main idéologique du Rassemblement national. Cette situation est effarante », lâche-t-il au micro de Lucile Gimberg.

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Pierre Henry, président de l’association France FraternitésLucile Gimberg

Un discours « de stigmatisation et de rejet des migrants »

Même son de cloche pour Fanélie Carrey-Conte, secrétaire générale de la Cimade, une association de défense des réfugiés et migrants. Elle dénonce « un basculement hors des principes républicains » avec ce texte.

« Pour nous, ce qui s’est passé là, c’est un basculement terrible hors du champ de notre humanité, parce qu’on pense au millier de personnes étrangères qui vont se retrouver, pour beaucoup d’entre elles, précarisées, dans l’illégalité, privée d’accès inconditionnel aux soins, aux prestations sociales. Et tout cela va avoir des conséquences sur leur vie, mais aussi sur la façon dont elles vont être regardées parce que ce qui restera aussi de ce débat, c’est tout le discours qui l’a accompagné, de stigmatisation, de rejet des personnes migrantes, des personnes étrangères. Et ça, c’est extrêmement dangereux », regrette-t-elle.

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Fanélie Carrey-Conte, secrétaire générale de la CimadeLucile Gimberg

De la même façon, Pierre Baudouin, président de la Ligue des droits de l’homme (LDH), déplore une « journée de honte » pour la France, et s’insurge de l’image que cette loi renvoie du pays. « Il n’y avait pas besoin d’un texte sur l’immigration. Il y a déjà tout un arsenal législatif utilisable. Ça fait des mois et des mois que notre pays est enlisé dans cette discussion absolument délétère qui pointe sans cesse l’étranger comme étant celui dont il faut se méfier. Cette loi se situe dans un contexte largement xénophobe. C’est un triste jour et un jour honteux pour la France. Ici, je m’exprime sur RFI. Par rapport à nos amis en dehors du territoire français, au Maghreb, en Afrique, sur d’autres continents… Quelle image est-on en train de donner de la France ? Ce qui vient de se passer est absolument détestable, délétère. C’est une journée de honte », martèle-t-il.

(Et avec AFP)

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