Sahel: La sécurité entre souveraineté, mutualité et complémentarité
La lutte face au djihadisme en Afrique de l’Ouest et au Sahel est à un tournant décisif avec le retrait progressif et évolutif des forces armées occidentales et les résultats tangibles de certaines armées nationales, comme la reconquête de Kidal par les Forces armées maliennes (Fama).
Cette dynamique qui semble être irréversible a sans doute encouragé les autorités maliennes à d’abord mettre en place l’Alliance des États du Sahel et à sortir de la Force conjointe G5 Sahel. La manœuvre semble manquer de logique : créer une structure commune (une de plus) et quitter une autre.
En matière de défense et de sécurité, chercher à avoir l’autonomie stratégique est quelque chose de bien comme il est meilleur de mutualiser les efforts en faisant partie d’une alliance stratégique. La sortie du Burkina et du Niger du G5 Sahel, qui ont suivi le Mali qui avait quitté l’année dernière, va pousser cette Force conjointe vers une « mort cérébrale ».
Même si le Mali, le Burkina et le Niger ont raison d’évoquer les carences et latences de cette force, créée en 2014, n’a pas su faire la différence face à la situation que traverse le Sahel depuis une décennie, il n’en demeure pas moins que sa disparition n’est pas la solution optimale. Avec ses tares congénitales remontant à sa mise en place et aussi sa dépendance financière vis-à-vis des donateurs extérieurs, le G5 Sahel devrait suivre une réorientation stratégique pour réussir son ambition de faire de cette zone « un espace de sécurité et de développement ».
Beaucoup de ses membres fondateurs, à l’exception de la Mauritanie et du Tchad, trainent des déficits structurels et opérationnels de leurs systèmes de sécurité depuis des années. Avec des forces de défense et de sécurité aguerries et rompues à la tâche, dans un pays où le métier des armes est d’une grande permanence, le Tchad était celui qui avait plus d’expérience dans cette alliance. Mais, avec les contingences internes et ses divergences domestiques qui faisaient que son appareil sécuritaire est, des fois, sous situation d’urgence, ce pays ne pouvait pas être la locomotive de cette alliance.
Il était donc difficile au G5 Sahel, à travers ces contraintes, d’arriver à être une réponse conjoncturelle devant le terrorisme djihadiste qui est présent dans cette zone, d’autant plus que les solutions structurelles pour venir à bout de cette menace combinent, à la fois, des réformes des systèmes de sécurité à la mise en place de politiques publiques capables de répondre à toutes les aspirations et ambitions des populations locales ainsi qu’à une inclusion territoriale et sociale assez poussée.
Les échappées solitaires, comme il est le cas dans les courses cyclistes, sont rarement gagnantes et opérantes. Il serait donc judicieux pour tous les pays d’Afrique de l’Ouest et du Sahel de renforcer l’existant en alliances militaires, sécuritaires et stratégiques. Il faudra ainsi capitaliser les expériences réussies ou non dans cette zone et en tirer les meilleures leçons qui, à l’avenir, permettront de rectifier le tir et d’atteindre les objectifs fixés.
Aussi, faire en sorte d’avoir un ou des États pivots capables de mener le leadership de ces alliances comme pour les États-Unis avec l’Otan. Des pays comme le Nigeria, avec la loi du nombre, et aussi le Sénégal ou le Tchad, qui ont eu à avoir beaucoup d’expériences soit en interne ou en Opérations extérieures (Opex), peuvent jouer ce rôle en attendant de travailler sur les défis de l’interopérabilité, c’est-à-dire l’aptitude des armées alliées à agir ensemble, de manière cohérente, efficace et efficiente.
Plus grande coalition militaire au monde, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan), modèle réussi et abouti d’alliance stratégique, a aussi connu des moments troubles jusqu’à ce que le Président français Emmanuel Macron parle de « mort cérébrale ». Aujourd’hui, cette alliance est redynamisée et est en train de se positionner pour devenir indispensable et incontournable dans la sécurité collective de beaucoup de pays. Face à l’immensité des défis, surtout par l’apparition de la guerre de haute intensité en Europe avec le conflit russo-ukrainien et l’hybridité des conflits à venir, l’Otan a « ressuscité » et se place comme étant la réponse idéale et vitale pour ses membres. Il doit être de même pour les pays ouest africains et aussi du Sahel qui doivent renforcer les alliances stratégiques existantes tout en insistant sur les solutions endogènes et les expériences réussies.
Il est vrai que la sécurité est un domaine de souveraineté, mais il est indispensable de nouer des partenariats afin d’avoir une bonne complémentarité et mutualité pour bien l’assurer.
Par Oumar NDIAYE – LESOLEIL