Terrorisme en France: ce qu’est réellement «la fiche S»

Par : François-Damien Bourgery -RFI

À chaque attaque terroriste en France ressurgit le débat autour de la fiche S et de son efficacité. Celle du samedi 2 décembre qui a fait un mort et deux blessés près de la Tour Eiffel à Paris ne déroge pas à la règle. Sitôt connu le parcours de l’assaillant, une partie de la classe politique a dénoncé à mots plus ou moins couverts un supposé laxisme et de prétendus manquements de l’appareil d’État, pointant en particulier la fiche S dont Armand Rajabpour-Miyandoab faisait l’objet pour islamisme radical.

Contrairement à ce que son nom pourrait laisser supposer, la fiche S ne constitue pas un fichier, mais une catégorie de mesures de recherche au sein du Fichier des personnes recherchées (FPR) qui en compte 21. Instauré en 1969, le FPR vise les personnes faisant l’objet d’une recherche administrative ou judiciaire. Il concerne ainsi tout aussi bien les mineurs fugueurs (M), les déserteurs (D) que les évadés (V) ou les personnes interdites d’entrée de territoire (IT)… Selon un rapport du Sénat, 580 000 personnes étaient ainsi enregistrées au FPR en décembre 2018, pour plus de 640 000 fiches, une même personne pouvant faire l’objet de plusieurs fiches.

Le rôle du FPR : faciliter les recherches, les surveillances et les contrôles par les services de police, de gendarmerie, des douanes ou de Tracfin, le service de renseignement chargé notamment de la lutte contre le blanchiment d’argent et d’évasion fiscale. Il est intégré au Système d’information Schengen (SIS) utilisé au niveau européen. Depuis 1995 et la suppression des frontières au sein de l’UE, les autorités policières, judiciaires et douanières des pays européens et de ceux associés à l’espace Schengen peuvent ajouter et consulter des signalements dans cette vaste base de données. 

« Ce Fichier des personnes recherchées, c’est celui que vont consulter les policiers ou les gendarmes lors d’un contrôle routier, par exemple, expliquait récemment sur RFI le journaliste d’investigation indépendant Vincent Nouzille. En scannant votre identité sur leur tablette, ils verront si elle coïncide avec une de ces catégories et sauront quelle conduite adopter. » Cela peut aller d’un simple signalement jusqu’à la retenue de l’individu concerné pendant au maximum quatre heures.

Environ 30 000 fichés S

La fiche S, pour « Sûreté de l’État », concerne pour sa part des personnes que la France soupçonne de projet terroriste ou d’atteinte à la sûreté de l’État et à la sécurité publique, en raison de leur activité individuelle ou collective, sans qu’elles aient pour autant commis de crimes ou de délits. Outre celles fichées pour islamisme radical, peuvent donc être fichés S les militants d’ultra-droite, les black blocs, les zadistes, les hooligans… Elles peuvent être françaises comme étrangères et être présentes sur le territoire national ou non. 

Si leur nombre actuel est opaque, le rapport sénatorial de décembre 2018 recensait environ 30 000 personnes fichées S, plus de la moitié d’entre elles étant suivies pour islamisme radical. Elles seraient 3 000 pour appartenance à l’ultra-gauche, selon un décompte communiqué en octobre dernier par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, et 1 300 de l’ultra-droite. 

La fiche S ne constitue cependant pas un indicateur de dangerosité. Elle peut en effet s’appliquer à toute personne en relation directe avec un individu déjà suivi, tel qu’un membre de sa famille ou un camarade de classe. « Des individus non dangereux peuvent faire l’objet d’une fiche S, de même que des individus dangereux peuvent ne pas être inscrits au FPR, notamment lorsque leur surveillance s’opère par d’autres moyens », avertit un rapport parlementaire de 2018

Elle n’est pas non plus une preuve de culpabilité. Seules les informations recueillies concernant une personne fichée peuvent entraîner l’ouverture d’une enquête par le procureur puis éventuellement d’une information judiciaire, souligne le site internet du gouvernement stop-djihadisme.gouv.fr. Par conséquent, elle ne peut justifier aucune interpellation immédiate, contrairement aux fiches « J » et « PJ » qui visent les personnes recherchées par la justice et la police.

Recueillir des informations

Le plus souvent émise par la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), la fiche S est un outil d’alerte utilisé à des fins de renseignement. Elle comprend des informations telles que l’état civil, le signalement, les photographies ou les motifs de recherche, et est elle-même subdivisée en seize catégories, correspondant à des types de profils ou des conduites à tenir en cas de découverte. Celles-ci consistent généralement à recueillir des informations – documents d’identité, provenance et destination, véhicule utilisé, accompagnateurs éventuels, contenu des bagages… — Le plus discrètement possible afin de ne pas éveiller les soupçons de la personne concernée.

Dès qu’une personne visée par cette fiche fait l’objet d’un contrôle des forces de l’ordre accompagné d’une consultation du Fichier des personnes recherchées ou du Système d’information Schengen, le service émetteur est averti. Cela peut lui permettre de déclencher une surveillance active de l’individu (mise sur écoute, filature…) ou simplement de retracer ses déplacements, y compris au niveau européen. 

« Cela ne permet pas un suivi régulier ni même une surveillance des personnes. L’objectif de ces fiches n’est pas d’empêcher un attentat, mais de collecter des informations », insistait en octobre sur RFI la juriste Nathalie Cettina, spécialiste des questions de lutte contre le terrorisme. La fiche S a une durée de vie d’un an et peut être renouvelée si le maintien du suivi s’impose.

Ce dispositif est complété depuis 2015 par le Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation terroriste (FSPRT) dédié aux personnes signalées pour radicalisation. Celles-ci sont classées en six catégories, définies selon le degré de radicalisation et le niveau de suivi qui leur est attribué. Selon le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, quelque 20 120 personnes étaient répertoriées au FSPRT en octobre dernier. Parmi elles, 5 100 faisaient l’objet d’un suivi actif.

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