Les conclusions des Assises Nationales et les recommandations de la CNRI, enjeux majeurs de la présidentielle de 2024

« S’attaquer à un mal pour le guérir, ce n’est pas simplement le décrire pour le dénoncer et traiter ses symptômes, c’est plutôt en faire l’analyse diagnostique pour rechercher les causes et y appliquer le traitement adéquat » – Interview de Mamadou Ndoye, coordinateur de Sursaut citoyen, expert en Éducation, ancien ministre

Sud Quotidien et SenePlus : A quelques encablures de la présidentielle de février 2024, il se déploie des initiatives citoyennes visant à repositionner les conclusions des Assises nationales (AN) et les recommandations de la Commission nationale de réforme des institutions (CNRI) au cœur du débat public. Quelle pertinence, voire quelle urgence y a-t-il à cela ?

Mamadou Ndoye : Personnellement, je dois d’abord préciser que je n’ai pas participé aux Assises Nationales, ni aux travaux de la CNRI. Je n’y ai apporté aucune contribution. Toutefois, vous comprendrez au cours de cet entretien pourquoi j’y suis si fortement attaché.

Parlons de la pertinence, elle se situe à deux niveaux. D’abord, elles répondent incontestablement à des besoins posés par le contexte actuel. Car les conclusions des AN étaient essentiellement orientées vers la sauvegarde et la promotion de l’Etat de droit (séparation et équilibre des pouvoirs, primauté des décisions de justice…), des droits et libertés  des citoyens renforcés par une démocratie participative et la bonne gouvernance basée sur les principes de transparence, de concertation avec les concernés, d’égalité et de traitement équitable des citoyens et d’obligation de rendre compte des délégataires de pouvoir… Il se trouve précisément que notre pays est confronté  présentement à des défis majeurs qui appellent de telles réponses, à l’instar des graves événements mettant en cause les libertés individuelles et collectives ainsi que les acquis démocratiques conquis par le peuple sénégalais : interdictions systématiques et répressions brutales de rassemblements publics mobiles ou fixes, tirs à balles réelles sur des manifestants provoquant de nombreux morts et blessés, arrestations massives pour délits d’opinion ou participation à des manifestations, entraves de toutes sortes à l’exercice par les partis politiques d’opposition et par des organisations de la société civile de leurs droits légaux, attaques injustifiables contre la presse indépendante, refus par l’exécutif d’exécuter les décisions de justice réparatrices de l’arbitraire…  Nous sommes ici confrontés à des atteintes à l’Etat de droit et aux droits et libertés des citoyens avec leurs interconnexions dues à la mauvaise gouvernance (vie chère, pénuries de toutes sortes, controverses électorales…). Dans un tel contexte, l’utilité actuelle des conclusions des AN comme réponses à de telles atteintes ne fait pas de doute.

Le second niveau de pertinence va au-delà de la démonstration de l’utilité actuelle de ces conclusions pour poser la question des utilisations possibles dans le présent, pour répondre à l’actuel et dans le futur.

Il nous faut certes lutter immédiatement contre les atteintes à l’Etat de droit, à la démocratie et à la bonne gouvernance avec l’urgence que requièrent les graves événements soulignés ci-dessus. Toutefois, pour éviter la récurrence, surmonter d’une certaine manière le statu quo et rechercher une solution durable à la crise, il nous faut apprendre des AN et de la CNRI pour, en pointillé :

– savoir que s’attaquer à un mal pour le guérir, ce n’est pas simplement le décrire pour le dénoncer et traiter ses symptômes, c’est plutôt en faire l’analyse diagnostique pour rechercher les causes et y appliquer le traitement adéquat ;

– savoir que l’analyse critique approfondie du système politique actuel appelle une véritable révolution copernicienne permettant de passer d’un système politique où tout tourne autour du service au leadership politique au plus haut niveau vers un système politique où tout tourne au service du citoyen ;

– savoir que pour y arriver, il faut construire un nouveau contrat social ou Pacte national et que cette construction ne peut être l’œuvre d’une élite mais doit s’opérer à travers un débat national inclusif et refondateur ;

– savoir que pour asseoir ainsi une forte légitimité du Pacte sur l’inclusivité de la participation au débat  et la fidélité à l’expression des citoyens, il faut une méthodologie de consultations, de synthèse et de prise de décision basés à la fois sur des éclairages scientifiques et sur la connaissance des réalités locales ainsi que sur des règles d’établissement solide du consensus.

Je ne peux épuiser les riches et instructives leçons que nous devons apprendre des AN et de la CNRI pour faire face aux défis actuels. C’est une tâche collective indispensable que nous devons entreprendre si nous voulons réussir les initiatives lancées et, surtout, sortir le pays du cercle vicieux de la crise démocratique. A cette fin, SenePlus, Demain Sénégal et Sursaut citoyen, ont initié un processus ouvert à tous les citoyens et à leurs organisations.

Comment comptez-vous vous y prendre pour que les conclusions des Assises nationales qui se sont tenues il y a plus de 10 ans ne soient pas l’affaire de la seule classe politique et puissent notamment interpeller la jeunesse des villes et des campagnes qui constitue la majorité de la population et dont la plupart n’avait pas atteint la majorité civile à cette époque ?

Il faut noter que la plupart des initiatives qui se déploient actuellement sur le terrain autour de la question des AN, dont la nôtre, ont pour origine le mouvement citoyen et non les partis politiques. Les partis politiques y sont plutôt invités pour les impliquer plus et, surtout, les amener à intégrer les orientations des AN et de la CNRI dans le débat électoral et dans leurs projets et programmes de transformation du pays. Cette appropriation par le mouvement citoyen est à renforcer et nous nous y attelons.

Concernant les jeunes, certains participent déjà à nos initiatives en tant que membres et les orientent vers les besoins et réalités spécifiques de cette couche majoritaire de notre population. Nous comptons également les faire participer à travers nos différentes cibles dont ils sont aussi membres : organisations de la société civile, syndicats, associations religieuses, organisations du monde rural, associations professionnelles, etc.

De manière plus spécifique, nous misons sur les jeunes pour prendre en main le débat sur les transformations à opérer afin de dessiner un avenir qui est leur. A cette fin, des actions ciblant les jeunes seront développées, telles que fora de jeunes sur le Pacte national. Le travail dans la durée avec les jeunes doit ouvrir des perspectives plus prometteuses : faire émerger dans le pays une citoyenneté démocratique forte, active et exigeante dans l’exercice aussi bien des libertés et droits que des devoirs et responsabilités. Les jeunes ont le potentiel pour y arriver au regard de la force de leur engagement social actuel qu’il nous faut accompagner et renforcer.

Quels sont les grands axes qui méritent d’être revisités aux plans institutionnel, économique, social, culturel ?

Capitaliser sur les acquis des AN et de la CNRI, c’est surtout en tirer des connaissances partageables et s’appuyer sur les leçons apprises pour se confronter avantageusement aux défis actuels. A cet égard, les orientations, c’est-à-dire les finalités, principes et valeurs qui fondent le contrat social ainsi que les critères, normes et dispositifs qui en découlent pour l’action publique représentent nos priorités. Autrement dit, nous nous focalisons sur la construction d’un consensus national sur l’essentiel qui doit s’imposer à tous :

– les réformes transformationnelles permettant d’asseoir durablement l’instauration et le respect de l’Etat de droit, le plein exercice par les citoyens de leurs libertés et droits, une éthique de gouvernance du bien public obéissant rigoureusement aux normes établies ;

– les règles consensuelles d’un jeu électoral apaisé parce qu’équitable ;

– les innovations en matière de dispositifs institutionnels pour garantir l’effectivité de ces principes et normes à travers des moyens de mise en œuvre et, au besoin, de recours, d’arbitrage et de sanction ;

– les mesures incitatives et les processus de conscientisation pour faire émerger et renforcer une citoyenneté démocratique active comme rempart contre les dérives des pouvoirs.

Une fois cette base consensuelle du vivre ensemble assise, le reste relève des options et des opinions donc du champ de la diversité, voire des contradictions.

De nombreux candidats à la dernière élection présidentielle s’étaient engagés à appliquer les recommandations des AN, y compris Macky Sall qui en sera le vainqueur. Une fois au pouvoir, il n’a cessé de répéter qu’il avait « émis des réserves » et de facto il a rangé ses engagements dans un tiroir. Ne craignez-vous pas que le scénario de non-respect des engagements, comme observé avec le président Macky Sall, se reproduise après les élections du 25 février 2024 ?

Nous avons organisé un séminaire à destination des mouvements citoyens pour une compréhension approfondie et partagée des conclusions des AN et de la CNRI. Plusieurs organisations se sont engagées avec enthousiasme notamment : l’ONG 3D, Legs Africa, Forum Civil, AfrikaJom Center, Présence chrétienne, Africtivistes, Enda, Forum social, Mouvement citoyen, Conseil sénégalais des femmes (Cosef), Ligue sénégalaise des Droits de l’Homme, Raddho, Publiez ce que vous payez, Forum citoyen, Raja Sénégal, ainsi que des organisations professionnelles notamment de juristes mais aussi des universitaires, journalistes, société de presse et de médias, des syndicats sectoriels et des centrales syndicales. Ce n’est qu’un premier pas car notre objectif est que tout le mouvement citoyen s’en approprie et, à travers lui, les différents secteurs de la population. Tant que cette bataille de l’appropriation citoyenne et populaire n’est pas gagnée, le scénario que vous évoquez reste probable. Autrement dit, dans l’alternative, aucune force décisive ne peut être mobilisée pour obliger à l’application. Alors, seul le bon vouloir des tenants du pouvoir politique compte.    C’est pourquoi aussi nous ne limitons pas notre initiative à cette période préélectorale mais nous saisissons celle-ci comme un moment fort du débat politique pour l’inscrire à l’ordre du jour tout en considérant que le travail à faire se situe dans la durée.

Quel est l’objectif de la conférence publique que vous organisez ce samedi 2 décembre 2023 à L’Harmattan, une semaine après avoir organisé dans le même lieu un séminaire citoyen de mise à niveau avec pour l’essentiel des acteurs de la société civile ?

Le séminaire organisé le samedi 25 novembre devait préparer la conférence publique de ce samedi 2 décembre 2023 et plus largement le travail en profondeur précisé ci-dessus. La compréhension partagée des conclusions des AN et de la CNRI qui y était recherchée est censée constituer une base d’expression cohérente pour que les différentes organisations impliquées livrent un message public audible. Quant à l’objectif de la conférence publique, nous visons une appropriation active et profonde de ces conclusions qui ne peut être obtenue par la simple transmission mais par le questionnement, le débat et l’articulation avec les problématiques et défis du contexte actuel. La conférence sera animée par d’éminents acteurs des AN et de la CNRI : le Premier Ministre Mamadou Lamine Loum en tant que modérateur accompagné par des panélistes, le sociologue Moussa Mbaye et les professeur Jean-Louis Corréa et Abdoulaye Dièye. Dans ce premier débat public, nous souhaitons en relation avec les prochaines échéances électorales, après les messages du mouvement citoyen, donner la parole à des candidats à la candidature aux présidentielles de 2024 pour qu’ils puissent exprimer publiquement leur position et leur engagement vis-à-vis des conclusions des AN et de la CNRI. Ce type d’interpellation publique appelle aussi les candidats à s’engager devant l’opinion. Le mouvement citoyen aura la charge non seulement d’en assurer le suivi mais de prendre toutes les initiatives nécessaires pour l’effectivité des engagements pris. Nous comptons poursuivre ce débat public pour l’étendre aux différentes localités du pays et aux divers secteurs de la population.

EXCLUSIF SUD QUOTIDIEN ET SENEPLUS

Propos recueillis par Vieux Savané et René Lake

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