Les tunnels du Hamas, une base militaire souterraine de grande envergure
L’armée israélienne a commencé son opération terrestre et elle vise en particulier le réseau souterrain du Hamas, une vraie ville sous la ville, un labyrinthe de tunnels quasi impénétrables. Ce sont des réseaux complémentaires qui sont utilisés et qui sont intégrés dans une stratégie des groupes terroristes depuis longtemps. Ils cherchent de plus en plus à les exploiter pour faire avancer leurs objectifs stratégiques. Un réseau qui aveugle les efforts d’Israël à glaner des informations. Entretien avec Daphné Richemond-Barak, spécialiste des conflits en milieu urbain, professeure à l’Institut international du contre-terrorisme à l’université Reichman à Tel-Aviv.
RFI : Vous êtes l’auteure de La guerre souterraine, vous avez pu vous rendre dans certains tunnels construits par le Hamas ?
Daphné Richemond-Barak : J’étais dans les tunnels qui sont à la frontière entre Gaza et Israël, du côté israélien, ceux qui sont passés sous la frontière. Et j’ai été aussi dans les tunnels qui ont été creusés par le Hezbollah. Donc encore une fois à la frontière sur le territoire israélien. Les tunnels du Hamas, ça fait 20 ans que le Hamas y travaille, donc ce n’est pas non plus une très grande surprise pour Israël et ça ne devrait pas non plus être une surprise pour le monde entier, car c’est un travail de longue haleine que le Hamas a mené pour construire un réseau souterrain extrêmement complexe, extrêmement sophistiqué, qui rend en fait le Hamas quasiment impénétrable.
Par ailleurs, ils permettent au Hamas d’opérer loin des yeux technologiques de l’État d’Israël et de l’armée israélienne qui est pourtant une des armées les plus performantes du monde. Le but principal de ces tunnels, c’est justement de réduire cet avantage stratégique qu’a Israël par rapport à un groupe terroriste comme le Hamas et de complètement neutraliser tout son avantage, tout ce qui peut y avoir d’asymétrique entre un État avec une armée performante et de l’autre côté un groupe terroriste.
À quoi ressemblent ces tunnels ?
Vous rentrez dans un tunnel du Hamas, il fait tout noir. Vous ne voyez rien, ça paraît infini. Vous ne savez pas s’il y a des artères qui partent à droite ou à gauche, s’il y a des échelles, s’il y a des escaliers, mais il y en a certainement. Vous ne les voyez pas. Il peut y avoir aussi des gens dans ces tunnels, mais vous ne les voyez pas non plus. Immédiatement, quand vous rentrez dans le tunnel, vous perdez tout sens de direction, vous n’avez plus la moindre idée de ce qu’il se passe. Est-ce que vous partez en direction de Gaza ? Est-ce que vous partez en direction de l’Égypte ? Vous perdez complètement vos points de repère. Vous perdez tout sens d’orientation, vous êtes désorienté. C’est claustrophobie. Cela fait extrêmement peur et c’est un peu comme un cauchemar : une fois qu’on rentre, on ne sait pas trop comment on va sortir.
Vous évoquez la différence entre les différents tunnels. Y a-t-il une typologie de tunnels qui ont été construits et développés par le Hamas ?
Très souvent, on fait une distinction entre des tunnels utilisés pour des raisons offensives et des raisons défensives. Je refuse cette « typologie ». Pourquoi ? Parce que pour moi, un tunnel est un tunnel. C’est-à-dire que du point de vue stratégique, un tunnel peut être utilisé pour toute une série de raisons. Il peut être utilisé pour commettre une attaque, pour faire une embuscade, pour kidnapper des civils ou des soldats, pour orchestrer du trafic. En revanche, tous les tunnels ne sont pas pareils et la façon de les combattre, la façon de les détecter, la façon de les éliminer n’est pas forcément la même non plus. Les tunnels dans Gaza, le réseau souterrain créé par le Hamas, fait aujourd’hui l’objet de l’offensive israélienne. Il y a les tunnels à la frontière entre Gaza et Israël dont on a beaucoup parlé, dont celui d’Ein Hashlosha en 2013, mais il y en a aussi qui ont été découverts pendant l’Opération bordure protectrice, par exemple en 2014. Il y a ceux qui sont sur le territoire sud-libanais, on les appelle les réserves naturelles. Ils sont là depuis très longtemps, donc encore une fois ce n’est pas quelque chose de nouveau dans cette région du Moyen-Orient, mais chaque réseau a ses spécificités. Enfin, il y a ceux qui sont construits par le Hamas aussi et qui vont en Égypte, ceux-là, ils sont entre la bande de Gaza et l’Égypte et ils ont été utilisés principalement pour faire passer des armes. L’Égypte a tenté de les éliminer, mais sans grand succès. Et aujourd’hui, la probabilité est que ces tunnels entre Gaza et l’Égypte, donc un autre type de tunnels, aient été utilisés pour approvisionner le Hamas en armes avant l’attaque du 7 octobre.
Quelle est l’ampleur de ce réseau ?
L’ampleur est immense. La bande de Gaza, c’est un territoire assez restreint. Mais ces tunnels ne sont pas construits de façon linéaire, ils sont en zigzag. Ils sont sur plusieurs niveaux. D’ailleurs, les otages qui ont été dans ces tunnels disent qu’ils ont marché des kilomètres, c’est parce qu’il y a des kilomètres de tunnels et ces tunnels ne datent pas d’hier, c’est-à-dire si vous comparez avec ce qui s’est passé avec Daech en Syrie et en Irak, ils étaient dans les tunnels, mais des tunnels utilisés pendant peut-être quelques semaines, quelques mois. Ce qui se passe à Gaza, c’est d’un tout autre niveau. C’est beaucoup plus sophistiqué, c’est moderne. Eh oui, ça ressemble en effet à ce qu’on montre sur ces films que l’armée israélienne a publiés.