La population arménienne dans la crainte d’une nouvelle guerre avec l’Azerbaïdjan

L’Arménie continue de faire face à l’afflux des réfugiés du Haut-Karabakh : selon les derniers chiffres donnés par Erevan, plus de 100 000 habitants ont fui désormais le territoire pour se réfugier de l’autre côté de la frontière. À cette crise humanitaire majeure vient s’ajouter la crainte d’un nouveau conflit avec l’Azerbaïdjan. Car la population arménienne en est convaincue : Bakou va lancer une nouvelle offensive militaire pour s’emparer de territoires situés dans le Sud-Est du pays. 

De notre envoyé spécial à Taegh,

Il faut cheminer sur une route poussiéreuse qui serpente entre de vieilles maisons de pierre. Puis, c’est le sommet de la colline, et, juste en face, les positions militaires tenues par l’Azerbaïdjan.

« Vous voyez cet arbre là-bas ? Là-bas sur la colline, juste en face ? Et bien c’est là qu’est mon terrain, se lamente Larissa Avagyan, une habitante du petit village frontalier de Taegh, dans le Sud-Est de l’Arménie. Les soldats sont arrivés, ils ont creusé des tranchées, et ils se sont installés… comme ça, en plein sur ma terre. C’est très douloureux pour moi de venir ici : ce terrain, ça fait 30 ans que je l’ai ! Je pouvais y amener mes vaches, faire pousser du blé… Maintenant, je n’ai plus rien. Alors, comment je vais faire pour m’en sortir ? » 

En première ligne

Avant la guerre de 2020, perdue par l’Arménie, le village de Taegh était protégé par le glacis de territoires contrôlés jusqu’alors par les Arméniens, qui s’en étaient emparés dans les années 1990. Soudainement, le village s’est retrouvé en première ligne. Et, en avril dernier, des combats ont éclaté entre soldats azerbaïdjanais et garde-frontière arméniens.

« Les soldats russes d’interposition se sont retirés sans prévenir le chef du village, raconte Norvard Grigorian, assise sur une pierre bancale devant sa maison. Et ensuite, les Azerbaïdjanais ont avancé et nos soldats les ont bloqués. Ça a duré cinq ou six heures, il y avait des tirs dans tous les sens. Depuis ce jour, nous savons qu’ils peuvent attaquer à tout moment… dès qu’il y a un bruit, j’imagine que ce sont eux. C’est vraiment terrifiant. »

La terreur est un mot qui revient presque systématiquement lorsqu’on discute avec les habitants des villages frontaliers. « Les soldats peuvent venir une nuit, entrer dans nos maisons, nous tuer, nous capturer, affirme Larissa Avagyan. Dans le Haut-Karabakh, pendant la guerre, il y a eu beaucoup de crimes : ils ont décapité des soldats, ils ont violé des femmes. Croyez-moi, ils sont capables de toutes les atrocités. Non seulement, ils ne punissent pas les auteurs de ces crimes, mais ils sont décorés à leur retour. »

Prochain objectif: la région du Siunik

Les habitants de Taegh en sont convaincus : Ilham Aliev le président de l’Azerbaïdjan, ne se contentera pas du Haut-Karabakh. Son prochain objectif sera de s’emparer d’une partie du territoire arménien, cette région du Siunik qui sépare l’Azerbaïdjan de son enclave du Nakitchevan. « Aliev a toujours dit qu’il voulait prendre notre région, il a toujours dit  »le Siunik est à nous »​, s’inquiète Zaruhi Babayan. Il s’est emparé du Haut-Karabakh, et maintenant ça va être notre tour ! S’il a pu déplacer 120 000 personnes… il peut bien recommencer avec nous ! »

Face à l’Azerbaïdjan, il faudra se battre, nous disent les habitants de Taegh. Mais avec quels moyens ? La guerre de 2020 l’a démontré cruellement : depuis les années 1990, le rapport de force entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan s’est inversé. « Nous avons de bons combattants en Arménie, de bons soldats, souligne Norvard Grigorian avec gravité. Mais, en face, ils ont le soutien de la Turquie, ils ont des drones ! Et nous, en Arménie, on manque d’équipement… on en manque terriblement. »

L’odeur du sang

Un rapport de force inégal du point de vue de l’armement, mais aussi des soutiens diplomatiques. « L’Azerbaïdjan a la Turquie et nous n’avons aucun allié digne de ce nom. Surtout pas la Russie qui nous a abandonné », souffle Samvel Galstyan, un habitant du village venu contempler, sur les hauteurs, le long défilé de voitures, de tracteurs brinquebalants et de bus hors d’âge venus de la frontière.

« Personne ne va vous aider, c’est une certitude ! Nikol Pachinian, notre Premier ministre, peut se détourner de la Russie pour s’allier aux Occidentaux, ça ne changera rien ! Les Américains et les Européens, ils sont parfaits pour faire des discours, mais derrière, ils ne font rien. Alors que, face à nous, il y a un loup qui a senti l’odeur du sang. Le loup a planté ses crocs dans notre chair et maintenant, il va nous dévorer », conclut-il.

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