Impact des pluies sur la plateforme de Mbeubeuss, baisse des rotations de camions de collecte d’ordures

Menace sur la salubrité dans Dakar et l’avenir de milliers de récupérateurs

Située entre les deux communes de Malika et Keur Massar, la décharge de Mbeubeuss sort progressivement de sa surface initiale et avance vers Tivaouane Peulh. A l’origine, la plateforme était trop petite pour contenir les quantités importantes d’ordures ménagères collectées dans la région de Dakar. Seulement, en cette période d’hivernage, à cause de la dégradation de la piste due aux pluies, des camions de collecte d’ordures rencontrent d’énormes difficultés à accéder à la plateforme. Immersion dans un milieu hostile, pas comme les autres, où pourtant des milliers de personnes, notamment les récupérateurs, s’activent autour de  la récupération et du recyclage des déchets solides au quotidien, pour «gagner dignement» leur vie.

La décharge de Mbeubeuss, estimée à 144 ha est l’unique site d’évacuation des ordures de Dakar. En attendant l’effectivité et les résultats des nombreux programmes, dont sa délocalisation qui semble avoir avorté et ceux de restructuration du site, le point de chute de milliers de tonnes de déchets solides collectés dans la capitale sénégalaises, situé entre les deux communes de Malika et Keur Massar, ne cesse de déborder, progressant vers Tivaouane Peulh.

Sur place, l’odeur âcre et nauséabonde coupe le souffle aux visiteurs. Les détritus constitués de cadavres d’animaux, d’aliments pourris, mélangés à d’autres déchets et l’humidité ambiante polluent l’atmosphère. Des abris de fortune ont été érigés partout, par ceux qui s’activent sur le site, notamment les récupérateurs appelés «bujuman» et autres, pour se protéger des rayons ardents du soleil, surtout en cette période de canicule.

Cependant, l’hivernage ne facilite pas leur travail. Pis, la saison des pluies cause des désagréments aux conducteurs de camions de collecte, qui éprouvent de la peine, dans l’évacuation des déchets,  à accéder à cette principale de décharge de la capitale sénégalaise. En outre, les récupérateurs établis sur le lieu dénoncent le «laxisme des autorités». Ils estiment être lésés, avec la création de la Société nationale de gestion intégrée des déchets (Sonaged)  et le Projet de promotion de la gestion intégrée des déchets solides au Sénégal (Promoged). Car, ils ne bénéficient d’aucune assurance quant à la survie de leur métier, malgré les risques auxquels ils sont exposés.

ENTRE ACCIDENTS ET LA MORT PROGRAMMEE DE LA PROFESSION DE RECUPERATEURS

A cela s’ajoute «la mort programmée» de leur profession. En ce sens que les employés des structures qui gèrent la salubrité dans la capitale se sont substitués à eux, «bujuman», pour effectuer le travail de récupération, en amont, à leur détriment. Des milliers de personnes travaillent tous les jours, sans répit, jusqu’à des heures tardives de la soirée, à la décharge.

Ces travailleurs, habillés en loques, pour la plupart, côtoient le danger quotidiennement. Leur empressement et les bousculades, dès qu’un camion débarque pour déverser son contenu, sont à l’origine d’altercations entre récupérateurs. Mais aussi des accidents mortels. «Les bulldozers et les camions ne leur font plus peur. C’est pourquoi, des accidents sont fréquents sur ce sites», a révélé Rone Niasse, président du Groupement d’intérêt économique (Gie) «Bokk Jom» de Malika. Selon lui, son Gie compte 2000 membres.

La pollution sonore est une constante. Des engins qui s’activent au terrassement de l’aire et les balais incessants des gros-porteurs sont à l’origine du bruit assourdissant. Toutefois,  l’installation des lampadaires qui assurent l’éclairage du site ont contribué considérablement à réduire l’insécurité à Mbeubeuss. Un récupérateur témoigne : «nous travaillons ici de nuit comme de jour. Le manque d’éclairage public nous avait beaucoup porté préjudice. En dépit de la situation d’insécurité, c’est toute l’activité de récupération du matériel usé qui était compromise».

L’ACCES A MBEUBEUSS RELEVE DE LA CROIX ET LA BANNIERE, A CAUSE DE LA PISTE BOUEUSE ET IMPRATICABLE

L’accès à la plate-forme est un calvaire. A cause de la présence de boue partout sur la chaussée séparant le site de l’accès principal, sur la route des Niaye, à Malika Montagne, où ils passent par un pont bascule, un système de pesage pour déterminer le tonnage. Un chauffeur explique : «pendant l’hivernage, les camions accèdent difficilement à cette plateforme. Les enlisements des véhicules sont fréquents. A cela s’ajoutent l’inaccessibilité de certains quartiers de la ville. La saison des pluies est synonyme de descente aux enfers. Car,  le travail devient très délicat».

Les trieurs  travaillent sous la pluie. Les tentes de fortunes sont balayées par le vent et les pluies de forte intensité. Ils sont contraints à l’arrêt de travail. «Vous savez, ce boulot, les ‘’boys Dakar’’ ne peuvent pas le faire. Beaucoup de personnes viennent de l’intérieur du pays ou de la sous-région. Nous exerçons ce métier, c’est parce qu’on n’a pas le choix. Nous sommes bien conscients de la gravité des maladies que nous pouvons contracter. Nous sommes en train de nous consumer, comme des bougies. Car, nous inhalons des particules de métaux dangereuses pour notre santé», a indiqué un employé de Baye Boury Ndiaye, président du Groupement d’intérêt économique (Gie) des ferrailleurs.

Entre autres gaz et métaux qui se dégagent de Mbeubeuss, il y a le méthane qui brule tout le temps et en toute saison sur le site, qu’il pleuve ou pas. Dégageant une épaisse fumée noire et âcre qui pollue tout l’environnement, surtout à certaines heures de la nuit où ces désagréments sont vécus dans plusieurs quartiers pourtant lointains de Keur Massar et Malika. Et ce n’est pas pour rien que ces dernières années, les acteurs de la lutte contre la tuberculose ont déploré une prévalence importante de cette maladie pulmonaire dans la zone, liant cette recrudescence aux effets et activités de Mbeubeuss.

Pour une alternative au travail de récupérateur, leur recyclage et pour pallier au chômage des jeunes, des projets et été annoncés et certains en phase d’exécution. Seulement, l’agriculture, un des secteurs sur lequel l’Etat compte s’appuyer pour cela, tarde à être soutenue. En plus, elle se caractérise par la faiblesse des exploitations et son archaïsme, regrettent ces «ouvriers» de la décharge. Selon eux, ce qui attire dans ce métier de récupérateur, «c’est qu’on est payé cash. Alors que dans l’agriculture, le paysan doit attendre des mois pour espérer gagner de l’argent. En fait, l’activité n’est pas très rentable», ont-ils déploré.

«NOUS NE SOMMES PAS DES MARGINAUX… ‘’BUJUMAN’’, EST UN MOT A CONATION PEJORATIVE» A BANIR DU LANGAGE DES POPUATIONS

En somme, environ 3000 tonnes d’ordures sont acheminées à Mbeubeuss, constitués de matières plastiques, de ferraille, des restes de repas, etc. Le site est assimilable à un pâturage. Les bergers de la localité y conduisent leur troupeau  pour les nourrir. La cherté de l’aliment bétail oblige ces éleveurs à recourir à cette solution. Ce sont des centaines de vaches qui envahissent les lieux. Ce spectacle est quotidien. «Ces animaux ne sont pas en divagation. Il y a un berger. L’aliment de bétail coûte cher. Un univers interlope ? Non !», disent ces ouvriers de l’insalubrité.

Avant de préciser : «Nous travaillons du matin au soir, sans répit. Nous trimons dur pour gagner notre vie. Seuls ceux qui travaillent la nuit bénéficient de la fraicheur. Nous ne sommes pas des marginaux. Les populations nous doivent un minimum de considération. «Bujuman», est un mot à conation péjorative ; en langue locale, ce terme signifie fouineur de poubelles. Donc, un travail dévalorisant, ce terme doit être banni du lexique des Sénégalais», ont déclaré des jeunes assis sous une tente, autour d’une théière. Tous membres de l’association Bokk Jom, créée en 1994 par les jeunes de Malika.

Très remontés contre les autorités, ils disent être victimes d’une marginalisation. Pour avoir été écartés du processus de modernisation de la décharge de Mbeubeuss, leurs préoccupations n’ont pas été prises en compte. Auparavant, «c’était une honte de déclarer aux gens qu’on travaille à  Mbeubeuss ! Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Car les emplois dans le secteur de la propreté de nos villes sont très prisés, avec la création de nouvelles structures : la défunte Unité de coordination de la gestion des déchets (Ucg) et la Sonaged ainsi que le Projet de promotion de la gestion intégrée et de l’économie des déchets solides au Sénégal (Promoged)» ont-ils fait remarquer. Et de regretter : «Notre coopérative peine à trouver un financement de 250 millions FCFA. Ce montant, permettra d’améliorer considérablement les conditions de travail et la situation sociale de ces milliers de jeunes», ont-ils poursuivi

«CETTE PAGAILLE DEVAIT NOUS INCITER A NOUS ORGANISER AFIN DE DEFENDRE NOS INTERETS»

Les camions de collecte des ordures, à leur arrivée à la plateforme de Mbeubeuss, sont pris d’assaut par une foule compacte. Habillés en loques, le visiteur qui débarque pour la première fois ne peut qu’être gagné par la frayeur. Ils (les récupérateurs) portent sur leurs têtes des baluchons. «Ici, les gens se livrent à des duels pour être les premiers sur les amas d’ordures, afin d’amasser le maximum  d’objets qui puissent être recyclés. Sinon, vous allez vous contenter de la pourriture. Personne ne vous aidera. Il faut se battre, sinon la journée sera infructueuse», a déclaré Amadou D.

Les acquéreurs de ses objets récupérés ne sont pas épargnés par les difficultés. Les prix des matières ont subi une baisse, le kg de fer est vendu à 500 FCFA. Alors qu’en temps normal le kilo coûte 1000 FCFA. Ce commerce, pour un début, nécessite un investissement de 1 millions FCFA à 1,4 millions de FCFA. Uniquement pour l’achat des objets triés. Sans compter les charges auxquelles ils doivent faire face.

Par ailleurs, les acteurs de la filière se livrent à une concurrence déloyale. C’est le «dumping»«Cette pagaille devait nous inciter à nous organiser afin de défendre nos intérêts. Les usines de recyclage des matières se font des bénéfices dans notre dos. Les déchets transformés sont réinjectés sur le marché. Puis vendus à des prix exorbitants aux populations», a révélé l’un des membres fondateur de l’association «Faj Gacce».

Pour sa part, Sidy Dieng, commerçant-récupérateur, «Quand l’hivernage s’installe, nos activités tournent au ralentie, avec son corolaire : la flambée des prix du transport. Alors que ceux des matières baissent. Nous sommes obligés de stocker nos produits pour attendre le moment favorable pour les commercialiser. Sans cela, nous n’allons pas nous en sortir».

DIAMALAYE 2 ETOUFFE : RAPPORTS TENDUS ENTRE RIVERAINS ET RECUPERATEURS

Les rapports entre riverains et récupérateurs sont tendus. Leur installation à proximité des habitations et le long de l’axe routier qui mène à la décharge n’est pas bien appréciée par les habitants de la localité, Diamalaye 2. A en croire les populations, le quartier étouffe. Car l’odeur des déchets envahit les maisons riveraines. Bilal Sougou, un habitant de Diamalaye 2, est d’avis que, «normalement, il devait y avoir un mur pour séparer la décharge du quartier. Ces matériels usés qui jonchent l’axe risquent de créer un encombrement du quartier.»  

De son côté, M. Dieng, le acheteur-vendeur d’objets récupérés rétorque que «les populations n’ont pas de conditions à nous poser. Ici, c’est un dépôt d’ordure. Ils doivent tout supporter. Ou déguerpir. Toutes ces maisons sont des constructions illégales. D’ailleurs, il y a des maisons qui vont être démolies ; toutes les maisons qui ont été impactées par la plateforme. Les propriétaires ont été dédommagés. Actuellement, rien ne justifie leur refus de libérer les lieux. Cette décharge a existé bien avant la construction de ces habitats».

Les Groupements d’intérêt économique (Gie) opèrent dans l’achat des PVC (tuyaux pour les toilettes), des sachets en  plastique, des casiers, de la ferraille… A côté, des entreprises fantômes font légion à Mbeubeuss. Leurs propriétaires, à part les déclarations, personne parmi elles, ne parvient à prouver formellement l’existence de son entreprise.

Alioune Bousso, membre fondateur de l’association «Faj Gacce» témoigne : «Les gens travaillent dans l’insécurité totale. Nous n’avons pas de tenues de travail, de chaussures de sécurité, de masques, entre autres. Nous sommes exposés à des maladies dangereuses : pulmonaires et cutanées. Le Projet de promotion de la gestion intégrée et de l’économie des déchets solides au Sénégal (Promoged) a promis de nous doter en matériel de protection. Jusqu’à nos jours, la promesse faite par les autorités tardent à se réaliser».

La plateforme de Mbeubeuss, avec ses 144 ha, est désormais très exiguë pour contenir tout ce que la région de Dakar produit comme déchet, par jour. L’espace est en proie aux eaux de ruissellement. Problème sérieux ! Les eaux pluviales déversées dans les deux cuvettes constituent un véritable danger pour les populations riveraines à ces lacs. Favorables à la prolifération des moustiques et des maladies cutanées. D’où l’urgence créer de nouveaux sites, à défaut de l’accélération de la restructuration annoncée à travers plusieurs projets mais qui tarde encore à être effective. «La décharge de Malika ne peut pas continuer à recevoir toutes les ordures», a laissé entendre un chauffeur.  Cet hivernage, certains quartiers de la ville de Dakar risquent de sombrer dans l’insalubrité, si la plateforme venait à céder, comme chaque hivernage, à cause des fortes pluies qui occasionnent la dégradation des axes routiers. Il s’agit des localités de Keur Massar, Pikine, Yeumbeul entre autres.

Lamine DIEDHIOU

SUDQUOTIDIEN

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