Liban: des victimes désabusées trois ans après l’explosion du port de Beyrouth
Le Liban commémore ce vendredi 4 août le troisième anniversaire de la double explosion au port de Beyrouth. Un rassemblement est organisé cet après-midi par les familles des victimes. Le 4 août 2020, une énorme déflagration soufflait sur le port et la partie orientale de la capitale. Plus de 200 morts, des milliers de blessés. Trois ans après, l’enquête est gelée par la politique. Un blocage qui paralyse les demandes de compensations des victimes et qui a longtemps retardé les indemnisations par les assurances.
De notre correspondante à Beyrouth
Hélène Ata est vêtue de noir. Elle tient à ses côtés le portrait de son frère Abdo, tué sous les décombres de l’immeuble familial, dans l’explosion au port de Beyrouth : « J’ai perdu mon frère jumeau durant l’explosion de Beyrouth. On a tout perdu. Notre famille, notre maison. Mon petit frère aussi a eu un handicap. On n’a rien eu jusqu’à maintenant. On loue une maison, on a dû recommencer de zéro. On s’est acheté des lits, des matelas… Tout. » Abdo a été déclaré « martyr de l’armée ». Hélène Ata n’a reçu « aucune autre aide des autorités, ni des ONG », dit-elle. Sur son téléphone, elle montre les ruines de l’immeuble familial. Il n’était pas assuré, comme la plupart des habitations endommagées à Beyrouth.
Dans la cour du bel hôtel Arthaus aménagé dans une demeure de famille, des clients prennent le café. La destruction de 2020 semble lointaine. Nabil Debs, le propriétaire, n’a été indemnisé qu’il y a six mois par son assureur : « Il a fallu être très patient. On pensait qu’on n’allait jamais être compensé vu comment l’enquête était traitée. On s’est dit, c’est quelque chose qui va être remise aux calendes grecques et qui ne sera jamais résolue. C’était une bonne surprise en fin de compte. Bizarrement, ça ne devrait pas l’être, mais c’était une bonne surprise d’être compensé. »
La plupart des assurés ont été indemnisés aujourd’hui, mais ils pourraient devoir rembourser si l’enquête devait conclure que l’explosion au port de Beyrouth a été un acte de guerre et non un accident. Une enquête toujours gelée, retardant la bataille des familles devant la justice. Pour Hélène Ata, « autre que la justice, le seul moyen qui fait mal aux politiciens ou aux gens responsables de l’explosion, c’est de toucher à leurs poches. On a droit à une compensation, bien que rien ne va être comme avant. Mais bien sûr, c’est notre droit qu’il soit responsable de ce qu’ils ont fait pour toutes les victimes. »
Dans le cas des dégâts matériels, les retards ou l’absence de dédommagement n’ont pas empêché la reconstruction. Mais celle-ci est restée partielle et partiale, regrette l’architecte Hala Younès, chez qui « les meubles portent toujours les traces de l’explosion » : « Les gens effectivement n’avaient rien à attendre. Ils savent que s’ils ne réparent pas eux-mêmes ou s’ils ne trouvent pas les grâces d’une ONG ou autre, rien ne se passera. Les gens sont dans une logique de survie. Ce n’est pas qu’ils croient en un État qui un jour va rendre la justice, ou va rendre l’argent, ou va réparer les maisons. Ils sont désabusés, ils n’attendent rien de personne. »
Cet après-midi, les noms des victimes de l’explosion seront lus près du port par les familles, qui bataillent aussi contre l’oubli.
Par :Laure Stephan
SOURCE RFI