Cameroun: après John Fru Ndi, le temps des incertitudes pour le parti d’opposition SDF

Décédé le 12 juin dernier et inhumé samedi 29 juillet, le leader charismatique du Social Democratic Front (SDF), John Fru Ndi, laisse derrière lui une formation dont le poids politique a périclité au fil des élections, et qui est désormais en proie à des dissensions internes. Au point que son avenir semble incertain.

Le Social Democratic Front va-t-il survivre à John Fru Ndi ? À peine l’opposant historique enseveli dans sa terre natale à Baba 2, dans la région du Nord-Ouest anglophone, que la question du destin du parti dont il avait été président durant plus de trois décennies refait surface.

La situation est préoccupante et l’équation politique complexe. Et ce pour plusieurs raisons. D’abord, en raison de la stature du chairman du SDF. Car le parti d’opposition, fondé en mai 1990, a été dirigé sans discontinuer par John Fru Ndi jusqu’à son décès le 12 juin dernier. « Ce long leadership a fini par faire de cette formation politique une association fortement patrimonialisée, dans la mesure où pendant longtemps, le SDF s’est confondu à la figure de son leader historique », explique le professeur Aristide Menguele Menyengue, politologue à l’Université de Douala.

« Cet homme a été classé deuxième lors de la présidentielle du 11 octobre 1992 avec un score remarquable de 36% alors que le candidat du RDPC déclaré vainqueur par la Cour suprême a obtenu 39%, rappelle le professeur Michel Oyan, politologue à l’Université de Yaoundé 2-Soa. Ce résultat a été rendu possible grâce à sa capacité de rassemblement à travers l’Union pour le changement, une large coalition de plusieurs partis d’opposition, mais aussi d’organisations de la société civile, qu’il a portée lors de la compétition politico-présidentielle de 1992. » Qui pour le remplacer ? Telle est la question.

Guerre de succession

L’équation de l’après-John Fru Ndi se pose d’autant plus que le SDF est secoué depuis plusieurs mois par une guerre de succession. D’un côté, l’aile dite « modérée », adoubée par Fru Ndi et conduite par le député Josuah Osih. Le premier vice-président du parti, arrivé quatrième à la présidentielle d’octobre 2018, a joué un rôle majeur dans l’organisation des obsèques officielles de l’opposant historique, décidées par le président de la République Paul Biya. On le dit porté vers une logique de compromis avec le régime en place, à défaut de lui être assujetti. En face, une composante regroupant une trentaine de cadres « historiques » du parti, construite autour du député Jean-Michel Nintcheu, ouvertement critique de Fru Ndi et de ses poulains. Revendiquant une certaine posture radicale, elle se présente comme le « SDF originel ».

L’âpreté de ces batailles internes et la profondeur des lignes de divergence sont telles que le bureau exécutif national du SDF a dû décider il y a quelques mois d’exclure du parti les militants regroupés autour de Jean-Michel Nintcheu. Ceux-ci ont dû saisir la justice pour contester, entre autres, la régularité des mécanismes disciplinaires activés. La procédure est toujours en cours, mais la situation apparaît dommageable pour le parti. « L’enjeu de la survie du SDF va contribuer à sécréter des tendances qu’il faudra habilement gérer pour éviter que celles-ci compromettent irréversiblement la vie de cette formation politique », prévient Aristide Menguele.

Selon le politiste Stéphane Akoa, chercheur à la Fondation Paul Ango Ela, le SDF doit répondre à deux défis. Le premier : inverser sa « tendance baissière » dans le paysage politique camerounais. Le second : faire oublier John Fru Ndi en lui trouvant un remplaçant qui saura redonner au parti l’énergie nécessaire pour affronter les autres partis d’opposition et envisager de nouveaux face-à-face avec le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) du président Paul Biya. Tout en parvenant à réunifier le parti, déserté par certains de ses cadres et figures éminentes.

« Maturité politique »

Le retour du SDF en tant que principale force d’opposition est-il envisageable ? Certains esquissent ce scénario. C’est le cas de Michel Oyan. « Les militants et cadres du SDF actifs ou exclus doivent tous s’asseoir pour trouver une solution à leurs divergences afin de sauver ce grand parti politique d’opposition, considère le politologue. Le SDF survivra au chairman à condition que ces militants et héritiers fassent preuve de maturité politique. »

Une certitude : le Congrès, instance suprême de décision du parti, est programmé pour le mois de décembre 2023. L’échéance est-elle très attendue. L’on saura alors si le parti aura recollé ses morceaux, pour essayer de reconquérir sa place sur l’échiquier politique national, ou s’il aura définitivement volé en éclats, se condamnant peut-être à une disparition progressive, mais irréversible. À l’évidence, cette alternative ne peut laisser indifférent le pouvoir, qui a toujours eu besoin d’une opposition susceptible de crédibiliser la démocratie en construction.

SOURCE RFI

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