Politiques contre l’émigration irrégulière : une lutte chimérique !
Les vagues de migrants irréguliers se succèdent. Le phénomène s’éternise. Chaque année, quand les candidats au voyage incertain et leurs passeurs décident de prendre la mer ou la voie terrestre, via le Sahara, le Sénégal se contente d’un décompte macabre ou de rappeler des efforts qui ont été faits pour fixer les jeunes. Seulement, les différentes politiques mises en œuvre ont montré leur limite, au fil du temps. Le combat contre l’émigration irrégulière semble être perdu. Le Sénégal, à l’instar d’autres pays africains de départ de migrants et leurs partenaires européens et des pays des destinations, y compris des pays de transit, ne sont pas encore parvenus à développer des stratégies décourageantes.
Du «Plan REVA ou Retour Vers l’Agriculture», lancé en 2006, au Programme «Tekki Fii» («Réussir ici», en Wolof), initié depuis mai 2017, en passant par la Grande offensive pour la nourriture et l’abondance (GOANA, avril 2008) et la Délégation générale à l’entreprenariat rapide des femmes et des jeunes (DER-FJ) et les nombreux agences, projets et programmes d’emplois et de financement de jeunes déroulés par l’Etat, et l’approche sécuritaire avec l’appui du FRONTEX à la Marine et les efforts de la Gendarmeries et autres Forces de défense et de sécurité, rien ne semble arrêter les jeunes candidats à l’«aventure» périlleux vers l’«Eldorado» européen. Au contraire, l’émigration irrégulière est un phénomène qui continue, en dépit des réponses étatiques.
Depuis des années, une politique migratoire, qui peine toujours à être mise en œuvre, est engagée. Les jeunes continuent de mourir en mer ou dans le désert du Sahara ou frontières des Etats maghrébins de transit. Les différents accords de partenariat entre le Sénégal et les pays de l’Union européenne (UE) n’ont pu endiguer le phénomène. Les deux parties ont beaucoup misé sur l’approche sécuritaire et la surveillance, sans que celle-ci parvienne à en constituer un frein définitif.
L’AGENCE FRONTEX SUBMERGEE…
En effet, l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (FRONTEX), créée en 2004, pour aider les États membres de l’UE et les pays associés à l’espace Schengen à protéger les frontières extérieures de l’espace de libre circulation de l’UE se heurte à beaucoup de difficultés. En 2021, la Cour des comptes Européennes a produit un rapport montrant que le FRONTEX peine à réaliser les ambitions de l’UE. «D’une manière générale, nous avons constaté́ que le soutien apporté par FRONTEX aux États membres de l’UE/pays associés à l’espace Schengen dans la lutte contre l’immigration illégale et la criminalité́ transfrontalière n’était pas suffisamment efficace».
Début 2022, l’Union européenne a proposé à se déployer sur les côtes sénégalaises. La volonté collaborative du président Macky Sall s’est heurtée à l’opposition de la société civile. N’empêche, le Sénégal a déployé des Forces de sécurité qui n’ont autre objectif que de déjouer les velléités des candidatures à l’émigration irrégulière. L’appui de l’Europe est chanté lors de rencontre sur l’émigration.
En plus de la répression, le Sénégal mène la lutte à travers la création d’activités génératrices de revenus comme l’agriculture. Depuis le régime du président Abdoulaye Wade, on note la mise en place de politiques de stabilisation des jeunes à travers un retour vers les champs. C’est ainsi que, pour contrer le phénomène des pirogues utilisées pour regagner les côtes de l’Europe, appelé «Barça wala Barsakh», et compenser l’accord de rapatriement de migrants irréguliers conclu entre le Sénégal et l’Espagne, deux événements qui avaient suscité émotion, indignation et colère de plus d’un en 2005-2006, l’ancien président de la République, Me Abdoulaye Wade, avait lancé, en 2006, le «Plan REVA ou Retour Vers l’Agriculture». Pour fixer les jeunes dans les terroirs.
REVA, GOANA, FNPJ, ANEJ ET OFEJBAN NAUFRAGES
Il s’agissait d’un projet qui, s’inscrivant dans le cadre du développement durable, consistait à «créer une dynamique nationale de retour massif, durable et soutenu des populations, toutes catégories confondues, vers la terre afin de faire des métiers de l’agriculture le soubassement de l’économie nationale et de l’agriculture le moteur du développement du pays». Et dans sa conception, le «Plan REVA» s’articulait autour de la mise en œuvre des pôles d’émergence intégrés et de la promotion de l’initiative privée dans le secteur agro-industriel au sens large (agriculture, sylviculture, pisciculture, aquaculture, artisanat, etc.)
Mieux, cet outil dit flexible qui devrait s’adapter au contexte technique et socioéconomique du pays, verra la naissance d’un autre plus ambitieux, mais avec qui il cheminera ensemble : la Grande offensive pour la nourriture et l’abondance (GOANA). Lancée le 18 avril 2008, par le président de la République d’alors, la politique de la GOANA qui était une généralisation, une intégration et un approfondissement du REVA, avait pour objectif principal d’augmenter la production agricole pour les principales cultures consommées au Sénégal, afin d’assurer plus d’autonomie et une sécurité alimentaire, dans un contexte de cherté des prix des produits occasionnée par la flambée du prix du baril de pétrole…
Il s’y ajoute la création d’agences pour l’emploi des jeunes qui se sont multipliées. Ainsi, le Fonds national de promotion de la jeunesse (FNPJ), l’Agence nationale pour l’emploi des jeunes (ANEJ) et l’Office pour l’emploi des jeunes de la banlieue OFEJBAN… logées au ministère de la Jeunesse, verront le jour aux côtés de Directions dédiées à la même tâche dans des ministères. Le point commun de ces nombreuses agences est qu’elles ont disparu, avec beaucoup de controverses sur leurs «utilité et mérite» réels. Même si ce sont des programmes dont les mérites sont vantés par les autorités, force est de relever que ce sont des initiatives de l’Etat, devenant progressivement des gouffres à milliards, qui serviront plus à loger ou servir une clientèle politique.
PSE, ANPEJ, «TEKKI FII», DER/FJ… À RUDE ÉPREUVE
Après le régime libéral, le président de la République, Macky Sall, avec son Plan Sénégal émergent (PSE), est arrivé au pouvoir, poursuivant et multipliant les approches. La donne ne change toujours. D’ailleurs, dans une étude publiée en 2020 sur : «Les migrations au Sénégal : besoin d’une vision sociétale et d’humaniser la question plutôt que d’une criminalisation et d’une rhétorique de la peur», la Fondation Heinrich Böll trouve que le PSE, contient de nombreux projets pour l’éducation des jeunes et la création d’emplois. Cependant, «une multitude d’agences et de programmes gouvernementaux, tous ayant pour mandat de créer des emplois pour les jeunes, sont généralement lancés peu avant les élections afin d’obtenir des votes mais, en fin de compte, la situation de la majorité des jeunes ne change pas».
Des projets et programmes d’emploi et de financement de jeunes se suivent, le phénomène empire. Et, entre autres trouvailles de ce régime : «Tekki Fii», un programme pour booster l’entrepreneuriat au Sénégal, développé pour contrer les vagues de départs irréguliers. Avec comme objectif de «développer l’emploi au Sénégal», «Tekki Fii» («Réussir ici» en Wolof), est un programme lancé en mai 2017 qui vise à «promouvoir l’emploi et l’insertion professionnelle des jeunes dans les zones de départ de migrants». Mais la mayonnaise du «Tekki Fii» peine toujours à prendre. Tout comme l’initiative d’accompagnement et de financement des migrants de retours. Pis, ces derniers, pour l’essentiel, n’ont qu’un seul rêve : tenter à nouveau l’aventure pour entrer en Europe. Et tous les moyens sont bons, disent certains d’entre eux, pour cela.
Auparavant, dès son accession au pouvoir, au nom de la rationalisation des dépenses, le président Macky Sall dissoudra de nombreuses agences et sociétés. Le FNPJ, l’ANEJ et l’OFEJBAN passeront à la trappe et deviendront une entité : l’Agence nationale de promotion de l’emploi des jeunes (ANPEJ) qui également sera mise à rude épreuve.
FONGIP, 3FPT ET «XËYU NDAW ÑI», DES SECOURS… LOIN D’ETRE LA SOLUTION
Aussi Macky Sall créera la Délégation générale à l’Entreprenariat Rapide des Femmes et des Jeunes (DER/FJ), par décret n°2017-2123 du 15 novembre 2017. Et pour un meilleur suivi de sa politique, cette structure est rattachée au Secrétariat général de la Présidence de la République du Sénégal, avec comme missions : «la définition et la mise en œuvre de stratégies de promotion de l’auto-emploi des jeunes et des femmes ; la mobilisation des ressources et le financement de projets de création d’entreprise et d’activités génératrices de revenus ; le renforcement des capacités techniques et managériales des bénéficiaires ; l’encadrement et le suivi-évaluation des projets et activités financés».
Bref, pour plus d’efficacité et palier les problèmes d’hypothèque et de financement rencontrés auprès des banques, le Fonds de garantie d’investissement prioritaire (FONGIP) est actionné, à travers des partenariats. De même le Fonds de Financement de la Formation professionnelle et technique (3FPT) viendra en appoint, pour remédier au souci de qualification déploré.
Seulement, force est de constater que ces politiques étatiques ne sont jamais parvenues à fixer les candidats au départ. Au contraire, après les accalmies en hiver, le phénomène reprend du poil de la bête en période estivale. Et ce malgré les nombreux drames, avec des centaines de morts et disparitions, rapportés dans les médias et l’autosatisfaction des autorités avec le Programme d’urgence pour l’insertion socioéconomique et l’emploi des jeunes, «Xëyu ndaw ñi». Cette initiative du président Macky Sall, mise en œuvre depuis avril 2021, est financée à hauteur de 450 milliards de francs CFA pour la période 2021-2023 ; soit 150 milliards de francs CFA par an. Son objectif était de créer 65.000 emplois.
ABSENCE D’UNE BONNE POLITIQUE MIGRATOIRE AU SÉNÉGAL
La réussite se mesure parfois aux investissements de jeunes établis à l’étranger ce qui contribue à motiver les départs. En Analysant parfois le profil des migrants, les experts continuent à dire que le Sénégal n’a pas une bonne politique migratoire. Les motivations économiques restent les principales causes avancées pour justifier l’émigration irrégulière. Ainsi, toute la réponse semble accentuée sur la répression des départs, par les contrôles, et la création de retombées économiques.
Or, il est à signaler que la question migratoire dépasse souvent la recherche de profits. Mirage ou pas, les jeunes sont de plus en plus attirés par la qualité de vie qu’offriraient les pays occidentaux. Pour une vie aux standards élevés, ils sont prêts à tout ; même à braver l’Atlantique ou encore emprunter les routes terrestres très incertaines du Sahara, du fait notamment de la traite et des pratiques esclavagistes dans des pays tels que la Lybie.
Fatou NDIAYE & ID
SUDQUOTIDIEN