Les phénomènes météorologiques extrêmes sont là pour de bon, comment y faire face?
Image satellite prise le 6 juin 2023 à 18h40 montrant les feux de forêts et des nuages de fumée dans les provinces canadiennes de Québec, à droite, et de l’Ontario, à gauche.
Inondations, pluies torrentielles, orages violents, tornades, feux de forêt, sécheresses… Les phénomènes météorologiques extrêmes font maintenant partie de notre réalité et risquent même de devenir plus fréquents au cours des prochaines années. Sommes-nous prêts? Sinon, comment pouvons-nous mieux nous préparer pour faire face à cette réalité? Trois experts répondent aux questions de Radio-Canada.
En matière de phénomènes météorologiques extrêmes, sommes-nous suffisamment conscients de ce qui nous attend? Il y a une certaine planification qui a été faite, reconnaît Philippe Gachon, professeur d’hydroclimatologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), en entrevue à ICI RDI. Toutefois, on sous-estime l’ampleur du réchauffement climatique et, surtout, le nombre de phénomènes, qui se multiplient dans le monde entier. On doit se rendre compte que la rapidité avec laquelle le changement climatique se produit fait augmenter la probabilité d’avoir des feux de forêt, des inondations majeures, des vagues de forte chaleur, etc. Donc, il faut être capable de prévenir plutôt que d’attendre que la crise se produise, et cela se fait notamment par l’éducation.
« Les Canadiens sont moins informés en général par rapport [aux citoyens] d’autres pays du G7. La majorité des Canadiens sont conscients du changement climatique mais sous-estiment les risques à la fois pour leur personne, pour leurs biens et pour leur entourage. »
Une citation de Philippe Gachon, professeur d’hydroclimatologie à l’Université du Québec à Montréal
Les évaluations de risque devraient d’ailleurs être mieux communiquées à la population, estime Daniel Dancause, spécialiste en mesures d’urgence. L’éducation du public est nécessaire au même titre que les cours de premiers soins et les avertisseurs de fumée.
Dans ce contexte, avons-nous les effectifs et les ressources matérielles nécessaires pour faire face à toute éventualité?
On a des épisodes de plus en plus fréquents, des intensités plus grandes, avec aussi des intervalles plus rapprochés, et on voit les conséquences dans les services d’urgence, répond Daniel Dancause. On voit un certain essoufflement. On le voit du côté des militaires, qui ont moins de ressources, et on parle de plus en plus de regroupements de services, parce que la force de frappe, tant chez les policiers, les pompiers [et] les [techniciens] paramédic[aux], est remise en question. Il va falloir s’adapter beaucoup plus rapidement que ce qu’on avait anticipé. C’est ça, la réalité aujourd’hui, depuis un an et demi, deux ans.
On voit d’ailleurs avec les feux de forêt à quel point on est vulnérables, ajoute M. Gachon. Il faut augmenter notre capacité d’intervenir. Les effectifs sont épuisés et la répétition avec laquelle les phénomènes se produisent fait en sorte qu’on sollicite énormément nos mesures d’urgence, nos intervenants. Les effectifs et les ressources matérielles qu’on avait il y a une vingtaine d’années ne sont plus adaptés. Et les phénomènes ont augmenté par rapport à il y a 20 ans. Donc, il faut aussi augmenter notre capacité à y faire face.
« La réalité est en train de nous rattraper, la maison brûle. Non seulement il faut s’adapter, mais il faut être capable d’anticiper. »
Philippe Gachon, professeur d’hydroclimatologie à l’Université du Québec à Montréal
Quels sont les coûts de ces épisodes météorologiques extrêmes pour la société?
Ce sont des coûts dont on ne se rend pas compte, explique Julien Bourque, analyste politique principal à l’Institut climatique du Canada. Ce qu’on a regardé, c’est simplement [l’effet de] l’augmentation des températures graduelles et [du] changement dans les précipitations sur, par exemple, la maintenance des routes, la maintenance des systèmes électriques. Seulement ces coûts-là sont énormes. Si on inclut là-dedans les événements extrêmes, pour l’économie entière, d’ici 2025, c’est 25 milliards de dollars sur l’économie en matière de PIB.
Ce sont les gens qui vont payer davantage, ajoute M. Bourque, soit par les coûts directs, quand ils sont directement frappés, soit les assurances qui augmentent, soit par les municipalités, qui se retournent vers les provinces qui, elles, se retournent vers le fédéral… Donc, c’est tous les Canadiens qui finissent par payer ce coût-là, finalement. On parle d’environ 700 $ par personne au Canada par année, des coûts insidieux, qu’on ne voit pas nécessairement.
Financièrement, investissons-nous assez?
La Stratégie nationale d’adaptation qui est sortie la semaine dernière est un bon pas, mais j’ai été déçu de voir qu’il n’y avait pas de nouvel argent planifié, répond Julien Bourque.
Et le gouvernement fédéral ne peut pas financer à lui seul toute l’adaptation, ajoute-t-il. Les gouvernements provinciaux ont beaucoup à faire aussi, [ils] doivent mettre beaucoup plus d’argent. On a vu le plan d’économie verte du Québec. L’adaptation c’était peut-être 5 % du plan total; il faut faire beaucoup plus que ça.
« Et les municipalités, qui sont les premières au front, n’ont absolument pas les fonds non seulement pour entretenir l’infrastructure pour que ce soit adéquat mais aussi pour s’adapter. »
Julien Bourque, analyste politique principal à l’Institut climatique du Canada
Certaines villes sont assez bien préparées [et] libèrent des budgets, précise Daniel Dancause, alors que d’autres – et surtout, sur le territoire du Québec, on a beaucoup de petites municipalités – ont encore de la difficulté à s’adapter, à libérer des budgets. Il faudra régionaliser des services et mettre en commun des ressources. Individuellement, on sera toujours en retard.
Quels coûts cette adaptation et cette préparation représentent-elles?
C’est énorme, admet M. Bourque. Mais on parle souvent de combien ça coûte de s’adapter, de diminuer nos [émissions de] gaz à effet de serre, par exemple, mais on parle rarement de combien ça coûte de ne pas le faire, de combien on sauve en s’adaptant. Ce que je sais, par exemple pour les routes, c’est que si on est en mesure de simplement mettre des bitumes adaptés à la chaleur plus élevée, on peut sauver jusqu’à 85 % des coûts de maintenance d’ici 2050.
C’est des petites solutions simples, au niveau municipal souvent, ça représente un coût supplémentaire à court terme et les villes ne savent pas nécessairement que ça va leur en faire sauver davantage à long terme.
Comment les Canadiens peuvent-ils se préparer à la maison?
Il faut se préparer en fonction de notre vulnérabilité exposée, explique M. Dancause. Allez voir le site de la Croix-Rouge, allez voir Urgence Québec : il y a différents sites qui existent et aident le citoyen. Posez-vous la question : est-ce que je suis prêt aujourd’hui à faire face aux risques auxquels je suis exposé?
« Est-ce que j’habite près d’une voie ferrée? Suis-je exposé à une zone d’inondation? Ma maison est-elle près d’une forêt et exposée à un risque de feu? Puis-je être isolé en matière de télécommunications ou d’énergie électrique? Est-ce que j’ai des enfants en bas âge? C’est à tout ça que le citoyen doit penser. »
Daniel Dancause, spécialiste en mesures d’urgence
Le citoyen doit également se responsabiliser et savoir ce dont il a besoin dans sa trousse pour être autonome pendant 72 heures en cas de phénomène météorologique extrême.
Il faut aussi améliorer l’éducation à cet égard, ajoute Philippe Gachon. J’ai été amené dans le passé à donner des cours dans les écoles en matière de météorologie. Ça devrait être obligatoire, expliquer c’est quoi un phénomène météorologique extrême, comment on se protège, par exemple d’une précipitation abondante, éviter de rester justement à proximité d’une rivière parce que l’eau peut monter extrêmement rapidement. Un certain nombre de choses comme ça permettent de systématiser cette prévention.
Tirons-nous des leçons des phénomènes que nous traversons?
Oui, mais on a la mémoire courte, déplore M. Dancause. Et c’est notre grand défi. Les organisations changent, les gouvernements changent, on est en perte d’expertise.
Mais il y a de l’espoir, et c’est ensemble, tant les scientifiques, tant les intervenants d’urgence, les villes, les citoyens, qu’on va se mobiliser et être en mesure d’être mieux préparés à faire face à ce qui nous attend et à préparer le terrain pour nos enfants et nos petits-enfants.