Performances des pays africains, Sénégal: Les jalons d’un décollage industriel

La Banque africaine de développement a publié un tableau des performances des pays africains selon leur niveau d’industrialisation et leur potentiel dans ce sens. Le Sénégal fait des progrès en gagnant cinq places en moins de dix ans. L’Afrique du Nord domine toujours ce classement.

Dossier réalisé par Samboudian KAMARA

Ambition de souveraineté alimentaire et donc de transformation des produits agricoles, relance du chemin de fer, énergie à profusion et à coût maîtrisé, développement de pôles territoriaux… Les préalables à l’industrialisation sont posés et cela est l’un des objectifs du Pap 3, la variante ajustée du Plan Sénégal émergent, en attendant les investissements lourds nécessaires au secteur extractif (nouvelle raffinerie pour le pétrole et l’or, fabrication d’engrais à partir du gaz, assemblage d’ordinateurs et de véhicules). Un premier indice de cet état de fait est le classement publié au mois de février dernier et relatif à l’indice d’industrialisation des pays africains. Le panorama global de l’industrie sénégalaise en 2023 peut sembler raisonnablement optimiste, mais il dépend aussi de la reprise économique après deux ans d’une crise sanitaire aux effets encore perceptibles. D’après la Banque africaine de développement (Bad), les progrès les plus importants en termes d’industrialisation sur le continent ont été enregistrés au Bénin, en Éthiopie, en Érythrée, au Gabon, en Guinée, en Mauritanie, au Mozambique, au Sénégal et aux Seychelles, qui ont tous gagné au moins cinq places au cours de la période 2010-2019. L’institution financière se base sur des données collectées depuis 2010 dans 52 pays du continent à l’exception du Soudan du Sud et de la Somalie.

Le Sénégal devant le Nigeria et le Kenya 

Selon le rapport, la plupart des pays africains progressent dans leur développement industriel, bien que cela se déroule plus ou moins lentement. Avec un score de 0,84 sur 1 en 2021, l’Afrique du Sud reste le pays africain le plus industrialisé, suivi par le Maroc (0,83) et l’Egypte (0,78), tandis que le top 3 des économies les moins industrialisées du continent est composé de la Gambie (0,3455), du Burundi (0,3483) et de la Guinée-Bissau (0,3663).

Dans le Top10, le Sénégal tient une meilleure place (7ème) devant, fait notable, le Nigeria et le Kenya. La Côte d’Ivoire figure dans le lot des pays dont le niveau d’industrialisation est jugé moyen avec un indice en dessous de 0,6/1. L’analyse des performances par région fait ressortir une dominance de l’Afrique du Nord, dont trois des six pays font partie du top 10 continental. Elle est suivie par l’Afrique australe, l’Afrique centrale, puis par l’Afrique de l’Ouest et de l’Est.

L’Indice de développement industriel de la Bad se base sur trois dimensions pour classer les économies. Il s’agit de la performance, c’est-à-dire la capacité des pays africains à générer une production manufacturière et des exportations ; les déterminants directs, c’est-à-dire la manière dont les pays orientent leurs ressources (capital et main-d’œuvre) vers le développement industriel ; et les déterminants indirects, c’est-à-dire la manière dont ils créent un environnement favorable à l’industrialisation, notamment à travers la stabilité macroéconomique, la solidité des institutions et l’équipement en infrastructures.

STRATÉGIE NATIONALE D’INDUSTRIALISATION
Les concertations démarrent aujourd’hui
Un Comité régional de développement (Crd) réunit, aujourd’hui, à la Chambre de commerce de Dakar, divers acteurs institutionnels, les acteurs territoriaux et le secteur privé autour du programme-pilote de vulgarisation de la Politique et Stratégie d’industrialisation du Sénégal (2021-2035). La rencontre a lieu à l’initiative du Ministère du Développement industriel et des Petites et moyennes industries, en collaboration avec le Partenariat pour l’action en faveur de l’économie verte (Page, acronyme en anglais) de l’Onudi. Le Gouvernement cherche ainsi à susciter auprès des acteurs concernés l’appropriation de ses orientations. Selon le Ministère, cette stratégie a pris en compte « les priorités du Plan d’actions prioritaires ajusté et accéléré, ainsi que la politique de territorialisation du développement économique, traduite dans le Plan national d’aménagement et de développement du territoire (Pnadt) ».
Ce plan a organisé le territoire national en pôles de développement économique basés sur la valorisation des potentialités territoriales. Lors de ce Crd inaugural (d’autres seront organisés dans les régions), les éléments clés de la politique et stratégie d’industrialisation seront présentés, « notamment les principes, les orientations stratégiques, les projets prioritaires et les services d’appui du Ministère aux acteurs industriels ».

Dr OMAR THIAM, ÉCONOMISTE

« Le déficit de la balance commerciale du Sénégal est lié à un retard industriel » 

Docteur Omar Thiam est Directeur de l’Ecole de management et de la recherche du groupe Ism. Au cours sa carrière, il a également été consultant et a notamment travaillé sur le plan d’action de la politique industrielle du Sénégal. Dans une tribune, il a théorisé « le Big Fast Results » industriel du Sénégal. 

« La transformation économique passant par l’industrialisation est une stratégie fondamentale pour la croissance et la réduction de la pauvreté dans la région. Aucun pays au monde ne s’est développé sans une véritable politique industrielle au sens large », écrit Omar Thiam, Directeur de l’Ecole de management et de la recherche du groupe Ism, dans une réflexion publiée en début d’année par le journal marocain « La Tribune ». Pour lui, l’effectivité prochaine de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) devrait contribuer à promouvoir cette industrialisation « car offrant différentes opportunités d’échanges, de complémentarités et de protection aux Etats membres ; donc une source de croissance et de développement ».


Il reprécise dans son adresse le concept de « développement industriel endogène ». Cela consiste, « par l’impulsion d’une dynamique interne de valorisation optimale des ressources nationales, à corriger la faible intégration de l’industrie locale par la remontée des filières et à promouvoir des activités industrielles viables, orientées aussi bien vers les marchés nationaux que mondiaux ». Il vise notamment une mise à niveau des entreprises, un développement industriel à travers des agropoles, des plateformes multifonctionnelles et de valorisation des ressources locales ainsi qu’un renforcement de l’intégration de l’industrie locale par une restructuration des filières.


Sur les raisons du « retard au décollage » du Sénégal, le Dr Thiam soutient que « la faible intégration de l’industrie sénégalaise est à l’origine de la forte tendance à l’importation des biens intermédiaires qui ne cesse de croître. Le déficit de la balance commerciale de notre pays est essentiellement lié à un retard industriel et non à une question monétaire comme évoqué souvent par les pourfendeurs du franc Cfa ». Il est donc devenu nécessaire d’opérer une rupture, selon lui, « par la mise en œuvre d’une stratégie de développement industriel endogène ». Cette option, suppose la densification du tissu industriel national, grâce à une implantation géographique équilibrée et à une articulation plus étroite entre les secteurs économiques. « Elle doit impulser dans ce cadre, la création d’un réseau intégré et varié de micros, petites, moyennes et grandes entreprises capables de constituer une plateforme conquérante du marché intérieur et des marchés extérieurs », souligne le chercheur.


Se voulant optimiste, il pense que le développement d’industrie à forte valeur ajoutée autour des produits « blancs », l’automobile et aussi de la sidérurgie, « permettra de positionner le Sénégal dans une nouvelle dimension économique, davantage renforcée par l’exploitation du gaz et du pétrole avec les premiers barils exportables à partir de 2023-2024 ». Le « Big Fast Results » industriel du Sénégal, dépendra, selon lui, de « la qualité du cadre institutionnel, du pilotage stratégique, de la coordination des actions, de la mobilisation des ressources humaines et financières nécessaires à la réalisation des actions prévues et d’un dispositif de suivi-évaluation de la progression des activités ».

ADAMA LAM PRÉSIDENT DE LA CNES

« C’est l’industrie qui peut nous sortir de nos difficultés » 

« L’industrie est une donnée incontournable pour donner du travail à nos jeunes. Ce qui a été fait dans les projets et programmes du Pse est important. C’est bien. Mais les emplois de masse ne peuvent être obtenus que par l’industrialisation ». Ces mots sont de Adama Lam, le président de la Confédération nationale des employeurs du Sénégal (Cnes). Il s’exprimait il y a quelques jours lors de la Revue de la mise en œuvre du Plan Sénégal émergent. Selon le patron, « il faut que le secteur privé national prenne une part importante dans une économie qui privilégie l’industrie », convaincu qu’il est que « c’est elle qui va nous sortir des difficultés ». Dans son argumentaire, il a rappelé que plus de 200.000 jeunes arrivent chaque année sur le marché du travail, une main-d’œuvre que « l’État ne peut pas absorber ».


À l’instar de la plupart des acteurs économiques, le président Lam croit que la solution au chômage passe par « des réalisations individuelles, sous forme d’entrepreneuriat », mais surtout par « la mise en place d’industries dans l’agriculture et les autres secteurs où nous avons des potentialités de substitution des importations ».


Le pétrole et le gaz, dont l’exploitation va démarrer cette année au Sénégal, ne sortiront pas l’économie sénégalaise de ses difficultés, a-t-il soutenu, en plaidant une nouvelle fois pour une dynamique d’ensemble qui ne laissera aucun secteur en rade. Sa conviction est que « nous avons tous de l’espoir en raison du pétrole mais il ne résoudra pas nos problèmes ». Selon M. Lam, « une économie ne marche que lorsque tous ses secteurs vont ensemble ».

DR MOR GASSAMA ÉCONOMISTE, ENSEIGNANT-CHERCHEUR

« Eviter de penser que l’exploitation du gaz et du pétrole est synonyme d’industrialisation » 

Maître de conférences titulaire, enseignant à l’Ucad, le Dr Mor Gassama a soutenu une thèse de doctorat ès sciences économiques à l’Université Paris-Dauphine portant sur la microfinance et le développement local. Il se penche aussi sur les questions liées au développement industriel. Il a commenté pour « Le Soleil » ce classement de la Bad.

Un classement de la Banque africaine de développement (Bad) vient de placer le Sénégal à la 7ème place. Pour établir ce classement, la Bad s’est basée sur trois indicateurs, Performances (production, exportation), Déterminants directs (capital, main-d’œuvre) et Déterminants indirects (environnement des affaires, stabilité macroéconomique, institutions, infrastructures). Selon vous, ces indicateurs sont-ils pertinents ?


Ces éléments sont pertinents à tout point de vue. Il y a des efforts fournis par les pouvoirs publics pour améliorer le climat des affaires. Au cours de ces deux décennies, des actes forts ont été posés en termes de réalisations d’infrastructures, de formation du capital humain, d’accompagnement du secteur privé national, de la production agricole… Tout cela participe à améliorer l’attractivité de l’économie sénégalaise. Certes, il y a des choses à rectifier ou à renforcer davantage mais les efforts fournis ne sont pas négligeables.

Comment expliquer que le Sénégal puisse être devant des pays comme le Nigeria et le Kenya dans ce classement ?
Le Sénégal a suivi sa logique de développer son industrie même si nous pouvons noter que les choses pouvaient encore aller mieux avec un peu plus de volonté politique. En facilitant les conditions de création d’entreprise avec l’Apix en 48h, les investisseurs ne perdent plus de temps. Si on y ajoute les différentes réformes engagées, les investissements et les grands travaux, tout cela participe à améliorer le climat des affaires.

L’Algérie ne figure pas dans le top 10 de ce classement, malgré son statut pétrolier avec un secteur des hydrocarbures qui pèse 95% de ses recettes d’exportation et 45% de ses ressources budgétaires. Cela veut-il dire que les ressources pétro-gazières ne riment pas forcément avec début d’industrialisation ?

Tout à fait. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle nous encourageons vivement les autorités gouvernementales à renforcer notre stratégie d’industrialisation indépendamment des ressources pétrolières et gazières. Il faudrait absolument qu’on évite de penser que l’exploitation de ces ressources est synonyme d’une industrialisation. Ce combat n’est pas gagné d’avance et cette étude faite par la Bad en est une parfaite illustration. L’industrialisation est une étape importante dans le processus de développement économique et social d’un pays. Elle facilite la transformation de notre production, participe à la résorption du chômage et permet de capter le maximum sur la chaîne de valeur. Cela nécessite impérativement une bonne articulation entre le secteur primaire et le secteur secondaire.

Dans ce rapport, la Bad estime que certaines conditions sont à présent réunies pour un décollage industriel de l’Afrique. Partagez-vous cet optimisme ?


On parle de décollage industriel lorsqu’il y a une industrie pivot qui tire l’économie. La réponse pourrait être affirmative si toutefois les efforts seraient améliorés dans le moyen et le long terme. En résumé, nous devons revoir nos ambitions à la hausse parce que, plus de 60 ans après les indépendances, on ne peut pas continuer à dépendre fortement de l’extérieur s’il y a des possibilités de réduire cette dépendance de manière significative.

Le Sénégal s’est engagé dans une politique de promotion de zones économiques intégrées où naissent des pôles industriels comme à Diamniadio et à Sandiara. S’y ajoute que le pays a fait des percées remarquables en matière d’accès à l’électricité, ce qui est un des prérequis. Comment appréciez-vous cette stratégie ?

C’est une stratégie à encourager et à apprécier à sa juste valeur. Pour ainsi dire, il faudrait continuer à attirer les investisseurs pour renforcer notre industrialisation. Nous devons être un hub industriel en Afrique de l’Ouest parce que notre position géographique et notre stabilité politique jouent en notre faveur. Toutefois, les pouvoirs publics doivent aussi apporter leur soutien au privé national afin que nous ayons des champions nationaux qui iront, avec le temps, à la conquête du marché africain dans le cadre de la Zlecaf, puis du marché mondial.

Quelles sont selon vous les réformes à adopter pour accélérer l’industrialisation du Sénégal ? 

La création d’entreprise étant facilitée par l’Apix, je pense qu’il faudrait mettre l’accent sur l’accès au financement qui constitue le nœud gordien des problèmes rencontrés par les entreprises. Cette difficulté les prive de saisir beaucoup d’opportunités, ce qui bloque, malheureusement, leur développement. Et pourtant, il y a bel et bien des initiatives prises par le Gouvernement allant dans ce sens comme la création du Fonds souverain d’investissements stratégiques (Fonsis) et le Fonds de garantie des investissements prioritaires (Fongip) ainsi que la Banque nationale pour le développement économique (Bnde). Mais le manque de communication d’une part et le manque d’informations d’autre part font partie des principaux facteurs bloquants.

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