Manifestants morts sans justice : coupables d’être victimes !
Le jeune homme de 22 ans, Mamadou Korka Ba, tué lundi 20 mars 2023 à Bignona, remet sur la table la suite accordée aux décès pendant les manifestations. Généralement, l’autorité se contente d’annonces ou de promesses d’enquêtes que ne seront jamais réalisées par la suite. La mort reste de ce fait impunie.
Mamadou Korka Ba est la dernière victime connue à ce jour de la répression violente des manifestations au Sénégal. Il n’obtiendrait peut-être pas justice comme ces autres jeunes morts dans des circonstances similaires. Depuis quelques années, le Sénégal connait une tension politique assez âpre. La cause de celle-ci étant l’interdiction de manifester ou de rassemblements aux hommes politiques, une procédure judiciaire enclenchée contre un membre de l’opposition et un rejet d’une candidature à la présidentielle. Ceux qui bravent cet interdit mettent leur vie en danger. Les victimes de ces répressions ont presque toutes la même fin, aucune poursuite judiciaire contre les présumés auteurs. Les Sénégalais plus particulièrement les familles des victimes ont maintenant l’habitude de porter sous terre les leurs sans jamais être convaincue que la lumière sera faite. La répression des manifestations aurait ainsi fait une vingtaine de victimes depuis mars 2021. Une balle perdue dont l’auteur demeurera toujours un mystère, des sévices réfutés par les supposés responsables ou encore une grenade lacrymogène dont le danger est minimisé au point de ne pouvoir être nuisible à un individu, voilà assez souvent le discours servi pour dissiper la forte tension médiatique qui a l’habitude de suivre la perte d’une vie. En pareilles situations, l’Etat a tendance à annoncer des enquêtes et promettre aux familles l’application sans failles de la justice pour apaiser leur douleur. Cependant, mise à part la somme d’argent glissée dans l’enveloppe apportée par un responsable politique aux familles, l’action de l’Etat ne se fera sentir qu’au prochain cas de mort violente.
Conséquence ; des jeunes meurent impunément. En majorité, ils sont à peine sortis de l’adolescence ou sont au-delà de la dizaine. De manière soudaine et fortuite, ils décèdent emportant avec eux rêves et ambitions laissant dernière des parents durement touchés. L’impunité au Sénégal, les organisations de défense des droits de l’homme comme Amnesty International, ont fini par la marquer de façon indélébile dans leurs publications. Le Sénégal est fréquemment condamné. En 2012, plusieurs personnes sont mortes suite à la tension politique. « Les forces de sécurité sénégalaises doivent cesser de réprimer de manière violente les voix dissidentes », a déclaré Amnesty International lundi 30 janvier après la mort de deux personnes lors d’une manifestation dans la ville de Podor. Il s’agissait de Mamadou Sy, âgé d’environ 20 ans et Bana Ndiaye, (60 ans). Ces deux décès et tant d’autres de la même période n’ont jamais connu une suite judiciaire. L’étudiant Mamadou Diop mort à la place de l’obélisque n’a pas obtenu également justice.
Mort de 14 manifestants en mars 2021, toujours pas de lumière
Ce spectre de 2012, le Sénégal est en train de le revivre. Le 3 mars 2022, plusieurs manifestations ont été notées après la convocation du leader du Pastef, Ousmane Sonko, dans l’affaire dite de Sweet beauty. 14 personnes ont perdu la vie suite aux manifestations violentes. Le ministre des Forces Armées, Sidiki Kaba, avait annoncé à l’époque exactement en avril de la même année, la création d’une commission d’enquête indépendante et impartiale. « C’est une commission ouverte et les membres de l’opposition et de la société civile pourront y être pour que cette commission puisse travailler en toute indépendance sur ce que les uns ou les autres ont eu à faire. » Environ deux ans après cette annonce, il n’en est rien ; aucune commission n’a vu le jour. Le rappel des organisations de défense de droits de l’homme en mars 2022 n’a rien changé. « Il n’y a plus de temps à perdre. La justice doit faire son travail en toute indépendance et rapidement pour établir les faits et les responsabilités et juger les éléments des forces de défense et de sécurité qui se sont rendus coupables d’utilisation excessive de la force et d’homicides illégaux », avait déclaré le directeur de la Section Amnesty International au Sénégal, Seydi Gassama. De son côté, le secrétaire général de la Rencontre africaine des droits de l’homme (Raddho), Sadikh Niasse, avait estimé que « les autorités sénégalaises doivent être transparentes sur l’évolution de l’enquête en cours, faire suite aux plaintes déposées par certaines familles de victimes et permettre aux victimes et leurs familles de participer au processus judiciaire. L’impunité de l’usage excessif de la force au Sénégal, y compris l’usage illégal d’armes à feu doit cesser ». Alors que les Sénégalais sont en attente d’hypothétiques procès, la liste des victimes continue de s’allonger. La volonté de l’autorité de réprimer toute manifestation laisse présager un bilan plus sombre. En conseil des ministres du mercredi 22 mars 2022, le président de la République Macky Sall a demandé au gouvernement « de prendre toutes les mesures idoines pour assurer sur l’étendue du territoire national, la sécurisation absolue des personnes et des biens, au regard de certains troubles à l’ordre public observés ces derniers jours dans des localités du pays ». Face à l’injonction de l’autorité suprême, on retrouve des jeunes déterminés à soutenir leur leader politique au péril de leur vie. Pour dire que tout tangue vers un cocktail explosif.
FATOU NDIAYE
SUDQUOTIDIEN