La France aurait-elle perdu la confiance des marchés sans la réforme des retraites ?
Le président a évoqué « les risques financiers, économiques, trop grands » pour justifier le passage en force de sa réforme. Ces propos alarmants ont étonné. D’abord parce qu’ils auraient pu mettre le feu au marché. Une petite phrase suffit parfois pour semer la panique parmi les investisseurs. On voit mal un président jouer au pyromane. S’il a pris cette liberté, c’est pour frapper l’opinion. Alors que les chiffres récents de la dette française démontrent qu’il n’y a pas de danger immédiat. Pendant le Covid-19, la France a dépensé sans compter en conservant la confiance des marchés et donc des taux d’intérêt très bas, très avantageux.
Les taux remontent depuis un an
Mais là encore cela n’est pas un indice de méfiance de la part des investisseurs. Les dépenses de crise du bouclier énergétique qui ont suivi le Covid-19 ne les ont pas détournés de la dette française, qu’ils continuent à acheter de bon gré. Si les taux remontent, c’est à cause de l’action de la BCE. En remontant son taux directeur pour lutter contre l’inflation, elle fait remonter le loyer de l’argent, c’est vrai pour tous les acteurs économiques, des ménages aux États, du nord comme du sud. Cet horizon dégagé ne signifie pas pour autant que le risque de crise financière est totalement écarté pour la France. C’est une échéance par nature difficile à prévoir. Il n’y a pas de seuils chiffrés, en termes de dettes, ou de déficit, ou de taux d’intérêts, qui permettent de prédire le moment où les marchés ne feront plus confiance à un État et refuseront de lui prêter de l’argent. Mais il y a un faisceau de données et de circonstances que les analystes des marchés obligataires suivent attentivement pour anticiper.
Le mécontentement populaire fait partie des facteurs susceptibles de déclencher une crise
L’agence Moody’s vient d’ailleurs de s’en inquiéter, dans une note publiée lundi elle redoute que le recours au 49-3 pour la retraite rende difficile l’adoption d’autres réformes pendant le mandat d’Emmanuel Macron. Il ne suffit donc pas d’une réforme qui rassure sur la trajectoire des finances publiques pour calmer les marchés comme le laisse entendre Emmanuel Macron, il faut surtout un environnement serein. En choisissant de forcer le passage, il a déclenché un vaste mouvement de rejet, c’est précisément la crise sociale, politique engendrée par cette méthode qui risque de mettre le feu aux poudres.
Sur le fond, la dette française est en hausse constante, c’est supportable pour les finances publiques ?
Dans quelques jours elle dépassera le seuil vertigineux des 3 000 milliards d’euros. En 2004 la dette française était de 1 000 milliards et représentait alors 60% du PIB. Aujourd’hui c’est quasiment deux fois plus. À court terme il n’y a pas péril en la demeure, comme l’indique l’écart stable entre les taux français et les taux allemands. Pour le moment les marchés ferment les yeux sur le dérapage des dépenses justifiées par les crises à répétition. À moyen terme la trajectoire de la dette française, un déficit à 5% avec une croissance rabougrie cette année, « ce n’est pas soutenable » a prévenu récemment la Cour des comptes. D’autant plus que les dépenses d’investissement sont à venir : dans la transition énergétique, la défense ou la formation. L’heure de vérité sera sans doute lors de la présentation du prochain budget. Avec un choix limité pour limiter le risque financier : le gouvernement devra dépenser moins, difficile en cette année de Jeux olympiques et sans doute de guerre en Ukraine, ou bien taxer davantage. Une option que le président a jusqu’à maintenant toujours écartée.