Sorties anarchiques du kankourang : quand la liberté «favorise» la profanation d’un patrimoine culturel
Des actes de profanation et de banalisation multiples menacent de plus en plus des éléments du patrimoine culturel mandingue, au risque de les vider de leur sens. La mystique du Kankourang, profondément enracinée dans les traditions mandingues, fascine et interroge. À l’heure où les libertés individuelles sont garanties par la Constitution sénégalaise, une question se pose : chacun peut-il, au nom de «sa» liberté, organiser la sortie du Kankourang ? Une interrogation légitime, à l’heure où le Kankourang est en proie à la mercantilisassions, la folklorisassions voire un banal objet de spectacle.
Certes, la Constitution du Sénégal, en son article 8, garantit la liberté d’expression, d’association, de culte, et notamment les libertés culturelles. Cela signifie que chacun a le droit de participer à la vie culturelle et de pratiquer sa tradition. Toutefois, cette liberté est-elle synonyme de «licence» illimitée ? Loin du folklore, le Kankourang est une figure importante de l’initiation mandingue. Le Kankourang, au-delà d’un masque mystique, est un rituel sacré et initiatique, transmis de génération en génération au sein de la communauté mandingue. Il obéit à des règles précises, connues uniquement des initiés.
Organiser la sortie du Kankourang ne relève donc pas d’un droit individuel automatique, mais d’un privilège rituel strictement encadré, au regard des préceptes de l’initiation mandingue. Au sein des sociétés traditionnelles, le Kankourang est lié à des processus d’initiation qui définissent les conditions de sa parution, ainsi que les objectifs qui la président. Il incarne un esprit de protection, souvent mobilisé lors des rites de passage ou en période de tension dans la communauté.
Organiser la parution du Kankourang, sans en avoir l’autorisation de ces gardiens de la tradition constitue une profanation du rituel, une violation grave du patrimoine culturel, une insulte à la mémoire collective. Ce qui peut conduire, à terme, à des troubles sociaux. C’est pourquoi, étant dans un État de droit, cette liberté doit rester encadrée par les règles, y compris traditionnelles. Un nécessaire équilibre entre le droit et la protection de l’identité culturelle*. Le respect de la tradition n’est pas contraire à la République ni aux valeurs républicaines.
Mais l’État se doit de veiller à la préservation de l’intégrité culturelle de la communauté des citoyens, en même temps que celle physique. Permettant dès lors que l’exercice des pratiques culturelles n’entrave pas les droits fondamentaux. Cela revient à dire que la parution du Kankourang ne peut se faire au détriment de la liberté de circulation, de l’intégrité physique ou de la sécurité publique. Les pratiques doivent être régulées, en collaboration avec les autorités coutumières. Le dialogue entre chefs traditionnels, collectivités locales et autorités administratives reste essentiel pour prévenir les dérives et garantir sa pérennité, le vivre-ensemble.
Pour rappel, la parution du Kankourang ne relève pas du folklore, ou du spectacle. Seuls les initiés, reconnus par la communauté et porteurs du savoir ancestral, peuvent en assumer la charge. Dans une société moderne, en quête d’équilibre entre tradition et progrès, il convient de respecter les règles communautaires tout en préservant l’esprit de tolérance et de diversité inscrit dans la Constitution. Le Kankourang, en tant que symbole vivant d’une culture, mérite d’être honoré, protégé… mais jamais galvaudé.
Samba Niébé BA
SUDQUOTIDIEN

