Succession du pape François: les «papabili» le sont-ils vraiment?

Qui sera le 267e pape catholique ? Alors que le conclave s’ouvre ce mercredi 7 mai, les pronostics vont bon train sur les papabili, autrement dit les potentiels papes. Si les voix du conclave restent impénétrables, les profils les plus en vue dessinent les grandes lignes de l’Église actuelle.

Par :Aurore Lartigue – « Qui entre pape au conclave en ressort cardinal ». Le proverbe romain l’a rappelé à l’envi en ces temps de spéculations sur le nom du futur pape : l’élection pontificale déjoue souvent les pronostics. Ainsi, ni Jean-Paul II ni François ne figuraient parmi les papabili, ces listes non officielles de « papables » potentiels.

De fait, les voix de l’Esprit Saint, censé guider les cardinaux dans leur choix, sont impénétrables, et les mécanismes internes du huis clos qui s’ouvre ce mercredi 7 mai peuvent faire émerger des « papes surprises », surtout si les premiers tours de scrutin n’aboutissent pas. En tout cas, si en théorie, tout homme baptisé de plus de 18 ans peut devenir pape à condition qu’il obtienne au moins les deux tiers des voix des cardinaux électeurs, dans la pratique, c’est toujours un cardinal du conclave qui est désigné. Mais qui parmi les 133 cardinaux sera choisi pour devenir le nouveau chef de l’Église catholique ? Bien malin celui qui pourrait le prédire. 

D’autant que, selon certains, ce conclave s’annonce encore plus imprévisible que les précédents. Le nombre d’électeurs a augmenté – ils n’étaient que 117 cardinaux lors de l’élection de François. Par ailleurs, durant son pontificat, ce dernier a largement modifié la physionomie du Collège des cardinaux. Si les Européens restent majoritaires, les représentants des pays d’Afrique et d’Asie sont de plus en plus présents. Et la plupart de ces cardinaux, éloignés, ne se connaissent pas. Ce qui rend les prévisions encore plus hasardeuses.

Il n’empêche, ces précautions étant prises, que les profils qui reviennent le plus chez les vaticanistes ou sur les réseaux sociaux dessinent les dynamiques de l’Église actuelle, une plus grande ouverture aux périphéries par exemple, et les lignes de fracture qui la traversent avec des courants progressistes qui aspirent à des évolutions et des factions conservatrices qui entendent freiner les réformes.

Rassembleurs

Parmi les noms les plus cités, celui de l’Italien Pietro Parolin, 70 ans, secrétaire d’État du Saint-Siège pendant la majeure partie du pontificat de François, souvent qualifié de « numéro 2 » du Vatican. Les parieurs de la plateforme de pari en ligne Polymarket lui donnaient, avant l’ouverture du conclave, 30% de chances de l’emporter. Diplomate expérimenté, fin connaisseur des rouages du pouvoir au Vatican, son profil modéré est jugé rassurant et rassembleur dans un contexte géopolitique tendu et après le pontificat clivant de François. 

Plus charismatique, l’autre grand favori des observateurs, c’est Luis Antonio Tagle, 67 ans et 19% de chances d’être désigné par ses pairs, selon Polymarket. Le Philippin, pro-préfet du dicastère pour l’Évangélisation, faisait déjà partie de la liste des papabili en 2013 après le départ de Benoît XVI. Avec son style accessible, ses vidéos de karaoké sur les réseaux sociaux, celui qu’on surnomme le « François asiatique », s’est forgé une grande popularité. Proche des plus démunis, engagé contre le réchauffement climatique, critique sur les positions du clergé envers les homosexuels ou les divorcés, il incarne une Église ouverte. Sa popularité illustre aussi le dynamisme du catholicisme en Asie. 

Mais lors d’une conférence de presse à Rome de Bishop Accountability, vendredi 2 mai, l’ONG spécialisée dans les violences sexuelles dans l’Église a épinglé les deux hommes pour leur gestion des affaires d’abus sexuels. Sa directrice, Anne Barrett Doyle, a notamment déclaré, en parlant du cardinal Parolin, qu’aucun autre « responsable de l’Église dans le monde n’a retenu autant de documents sur les abus vis-à-vis des autorités civiles ».

Patriarche latin de Jérusalem, Pierbattista Pizzaballa vit en Terre sainte depuis 35 ans. Dans cette région marquée par la guerre, il prône sans relâche le dialogue et a fait ses preuves dans l’art de la diplomatie entre Israéliens et Palestiniens. Malgré son jeune âge, à 60 ans, ses appels à la paix lui ont donné une visibilité exceptionnelleLe 22 décembre dernier, il est l’un des rares à avoir pu entrer dans la bande de Gaza pour y célébrer une messe avant Noël. 

Les candidats dans la continuité de François

Un temps qualifié d’outsider, le Français Jean-Marc Aveline, 66 ans, archevêque de Marseille, fait désormais partie des noms les plus mentionnés. Spécialiste du dialogue interreligieux, notamment avec les musulmans, défenseur des migrants et des plus pauvres, ce natif d’Alger revendique sa filiation du pape François. On dit d’ailleurs que c’est le cardinal le plus « bergolien ». Très populaire dans la cité phocéenne où sa chaleur est appréciée, ce fin théologien a récemment été élu par ses pairs à la tête de la Conférence des évêques de France. Homme de consensus, il reste plus prudent sur les sujets clivants comme le célibat des prêtres. 

Matteo Zuppi, archevêque de Bologne et président de la Conférence épiscopale italienne, est une autre figure majeure. Issu de la communauté Sant’Egidio, engagée pour la paix, il a été envoyé par François en mission de médiation en Ukraine. Proche des pauvres, homme de terrain, il est vu comme un continuateur du style franciscain.

D’autres noms sont aussi mentionnés. Comme celui du MaltaisMario Grech, 68 ans, secrétaire général du Synode des évêques. À ce titre, il est un promoteur de cette réforme chère à François, qui vise à impliquer davantage les fidèles dans la gouvernance de l’Église. Parmi les figures incarnant la ligne la plus progressiste, on peut citer l’Américain Robert Francis Prevost, préfet du puissant dicastère pour les évêques, chargé de nommer les évêques du monde entier. Ancien missionnaire au Pérou, il est également président de la Commission pontificale pour l’Amérique latine.

Les figures de la frange conservatrice

Dans le clan conservateur, Peter Erdö, 72 ans, fait figure de favori. L’archevêque de Budapest a déjà fait partie des papabili lors des précédentes élections et s’est imposé ces dernières années comme un opposant à la ligne de François, notamment sur les questions de morale sexuelle. Mais son silence sur les décisions du gouvernement du Premier ministre populiste Viktor Orban, sur l’accueil des migrants en particulier, pourrait le desservir. 

Souvent cité, le cardinal Anders Arborelius, évêque de Stockholm, a pourtant un profil atypique. Il est en effet le premier cardinal suédois et l’un des rares issus d’un pays majoritairement protestant. Converti au catholicisme à l’âge adulte, il défend le célibat des prêtres, s’oppose à l’ordination des femmes et à la bénédiction des couples homosexuels. Moins connu à Rome, il est apprécié pour sa rigueur morale et son indépendance.

Illustration du dynamisme des pays du Sud, plusieurs noms de cardinaux africains reviennent dans les papabili. Ils représentent la branche conservatrice de l’Église. On retrouve le nom du Ghanéen Peter Turkson, considéré comme l’un des cardinaux les plus influents d’Afrique. « Défenseur convaincu de la non-violence », comme le désigne Victor Cariou, correspondant de RFI à Accra, c’est d’ailleurs lui que le pape François choisit d’envoyer dans un Soudan du Sud en proie à la guerre civile pour assurer une médiation. 

Parmi les personnalités en vue aussi, le cardinal congolais Fridolin Ambongo. À 65 ans, l’archevêque de Kinshasa, qui a osé s’opposer à la candidature de l’ex-président Kabila à un troisième mandat et critiqué dernièrement la gestion de la guerre dans l’est de la RDC par le président Tshisekedi, est une voix qui porte sur le continent. Membre du conseil des cardinaux qui entouraient le pape François, cela ne l’a pas empêché d’être à la tête de la fronde contre l’autorisation de la bénédiction des couples homosexuels voulue par François. Lui avait carrément qualifié cette doctrine d’« hérésie », rappelle Tangi Bihan, correspondant de RFI à Conakry. Le cardinal guinéen Robert Sarahtrès critique de François, a lui le vent en poupe dans la frange la plus traditionaliste des catholiques, en particulier sur le continent, où ses prises de position contre le relativisme culturel et les réformes liturgiques du pape ont rencontré un écho important.

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