Comment l’UE pourrait riposter? Le président américain menace d’imposer des droits de douane de 25 % sur tous les produits en provenance de l’UE. Si celle-ci a promis de riposter à cette mesure, similaire à celle avancée par Trump en 2016, en a-t-elle encore les moyens? Les secteurs pharmaceutique et chimique – deux des plus importants de notre pays – pourraient-ils céder aux nouvelles conditions américaines plutôt que de se rebiffer? “L’Europe joue une tout autre partie qu’il y a huit ans”, résume Hylke Vandenbussche, directrice du département d’économie internationale de Louvain.
Marc Coppens, Matthias Bertrand Source: HLN
Trump menace d’imposer des droits de douane de 25 % sur tous nos produits. Que peut faire l’Europe pour lui répondre?
Hylke Vandenbussche: “Ce qui est en jeu en premier lieu, ce sont les taxes sur les voitures. L’Europe impose actuellement un droit de douane de 10 % sur les voitures américaines, alors que les États-Unis ne prélèvent que 2,5 % sur l’importation de véhicules européens. Il y a deux possibilités: soit on riposte en augmentant nous-mêmes les tarifs, par exemple en taxant davantage l’importation de voitures américaines, mais ce ne serait pas une bonne nouvelle pour le consommateur européen. Soit nous essayons de négocier un accord.
“Celui-ci pourrait porter sur trois domaines: “cars, guns and gas”, soit les voitures, les armes et le carburant. Concernant le premier point, ce sont surtout les véhicules électriques, comme les Tesla, dont les ventes ont récemment chuté. Ensuite, les Américains souhaitent que nous leur achetions plus d’énergie, notamment du gaz. Et enfin, il y a l’enjeu de la hausse des dépenses de défense pour les pays de l’OTAN. À court terme, les fabricants d’armes européens ne sont pas en mesure de produire beaucoup plus, tandis que les USA restent un fournisseur de premier plan.
Trump applique la loi du plus fort. S’il sent que la proie est affaiblie, il l’attaquera d’autant plus. L’Europe est fragilisée et n’arrive plus à serrer le poing comme en 2016Hylke Vandenbussche
Trump avait déjà menacé d’augmenter les droits de douane en 2016. À l’époque, l’Europe avait résisté et cela n’avait jamais été concrétisé. Quelle est la différence avec la situation actuelle?
“D’après mon analyse – sachant que demain, tout peut encore changer avec Trump –, sous son premier mandat, l’Europe ciblait surtout des produits symboliques, qui ne représentaient pas grand-chose en valeur marchande totale: les motos Harley-Davidson, le bourbon, les jeans Levi’s… Des produits relativement mineurs, mais ayant une forte valeur symbolique pour les États-Unis. C’était une manière pour l’Europe de montrer qu’elle pouvait aussi riposter. J’ai peur qu’aujourd’hui, la situation soit complètement différente, car l’Europe est affaiblie.”
Vous dites donc que l’Europe de 2016 n’existe plus?
“Pour Trump, c’est la loi du plus fort qui prévaut. Dès qu’il sent que sa proie est affaiblie, il la frappe d’autant plus. L’Europe est affaiblie et, comparée à 2016, elle ne peut plus tenir tête. À l’époque, il n’y avait pas encore la guerre en Ukraine, et nous étions encore relativement indépendants en matière d’approvisionnement énergétique. Tout cela a changé.”
“En outre, en 2016, l’IRA (Inflation Reduction Act) n’existait pas encore. Cette loi, adoptée sous Biden, visait à réduire l’inflation américaine et à stimuler l’économie verte en accordant des subventions et des tarifs énergétiques avantageux aux entreprises qui développaient leur activité aux États-Unis. L’objectif était de maîtriser l’inflation, mais en conséquence, de nombreuses entreprises européennes ont décidé de délocaliser tout ou partie de leur production aux États-Unis, attirées par ces avantages.”
Y a-t-il un risque que notre secteur chimique, très important, suive le même chemin?
“Le week-end dernier, j’ai donné une conférence à l’Université de Louvain sur le cœur économique de la Belgique, à savoir le commerce international. Beaucoup ont été surpris d’apprendre que nos principales exportations ne sont pas la bière et le chocolat, mais la chimie et la pharmacie. Le secteur chimique est essentiel, représentant 30 % de nos exportations, tandis que la bière et le chocolat ne comptent que pour 7 %. Ces produits alimentaires emblématiques sont bien moins stratégiques que la chimie, la pharmacie, la construction mécanique et les transports.”
Ces secteurs représentent donc des centaines de milliers d’emplois?
“Je ne peux pas donner de chiffre exact, mais il y a quelques années, la Banque nationale avait publié une étude montrant qu’un travailleur sur trois est lié, directement ou indirectement, au commerce. Cela représente un nombre énorme d’emplois!”
Sous l’impulsion de l’IRA, l’entreprise technologique IMEC a ouvert une filiale aux États-Unis. Pourquoi Janssen Pharmaceutica, un de nos fleurons industriels qui fait aujourd’hui partie de Johnson & Johnson, ne suivrait-elle pas le même chemin?
“Je ne pense pas que les grands groupes pharmaceutiques partiront immédiatement, car la demande en médicaments reste très élevée en Europe, et il est préférable de travailler avec des acteurs et des distributeurs locaux. Il y aura toujours une présence pharmaceutique en Europe, et sans doute aussi dans notre pays. Mais si les exportations sont mises sous pression, cela se fera ressentir. Le commerce intercontinental est d’ailleurs en léger recul, ce qui nous affaiblit. Entre les crises géopolitiques, notre dépendance à l’énergie et aux matières premières, et le risque de voir nos entreprises délocaliser, nous ne pouvons plus frapper du poing sur la table comme avant.”
Nous sommes moins dépendants des États-Unis que de nombreux autres pays européens: pour l’UE, ils représentent la première destination hors du continent, avec 20 % des exportations, contre 6 % pour notre pays
Les États-Unis sont-ils incontournables, en tant que partenaire commercial?
“Les États-Unis ne sont pas le principal partenaire pour la Belgique: nous exportons principalement vers l’Allemagne, la France et les Pays-Bas, qui sont nos trois plus grands marchés. Mais pour l’Europe, les États-Unis représentent la première destination hors du continent, avec 20 % des exportations, contre 6 % pour notre pays. Nous sommes donc moins dépendants des États-Unis que de nombreux autres pays européens. Attention toutefois, cela concerne le commerce direct. 17 % des exportations belges vont vers l’Allemagne, mais ce pays exporte lui-même énormément vers les États-Unis. Il faut donc aussi prendre en compte l’ensemble du paysage commercial européen.”