UE: l’externalisation des demandes d’asile au cœur d’un sommet axé sur l’immigration
Les 27 chefs d’État et de gouvernements de l’Union européenne sont réunis depuis mercredi 16 octobre à Bruxelles. Ils enchaînent jeudi 17 octobre avec un sommet européen à 27 où ils recevront aussi le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Mais ce sommet sera avant tout consacré aux politiques migratoires au sein de l’UE, à l’heure où de nombreux pays réclament un nouveau tour de vis face à l’immigration.
L’agence Frontex de garde-côtes et de gardes-frontières de l’Union européenne (UE) a noté en 2024 une baisse de 42 % des arrivées de migrants clandestins en Europe. Malgré cette réduction conséquente des arrivées, de nombreuses capitales de l’UE mettent en place ou réclament des politiques migratoires plus strictes, explique notre correspondante à Bruxelles, Pierre Benazet.
Certains estiment que la mise en place d’ici à 2026 du nouveau pacte asile et migration adopté au printemps sera suffisant pour gérer l’arrivée des migrants, mais d’autres préconisent d’aller plus loin. La présidente de la commission européenne elle-même propose aux 27 de réformer un texte de 2008 nommé « directive retour » sur le rapatriement des migrants vers leurs pays d’origine. Cela alors que seuls 20 % des ordres de quitter l’UE sont exécutés.
Ces propositions résonnent dans beaucoup de capitales. L’Allemagne a instauré des contrôles à toutes ses frontières, et la Pologne veut suspendre le droit d’asile pour lutter contre les migrations en provenance de Biélorussie.
L’Italie de Giorgia Meloni prise en exemple
L’exemple de l’Italie concerne un des points les plus emblématiques du débat, justement : la mise en place d’accords avec des pays hors de l’Union européenne pour accueillir des migrants qui à l’origine désiraient se rendre en Europe.
Car l’Italie, elle, a décidé d’ouvrir deux centres de migrants délocalisés en Albanie, en attendant l’étude de leur dossier. L’accord entre l’Albanie et l’Italie fait école. Plusieurs pays réclament la création de centre pour retenir les demandeurs d’asile hors de l’UE. Et si par le passé les Européens ont largement critiqué la volonté britannique d’envoyer des migrants vers le Rwanda, les temps ont changé. Car les Pays-Bas envisagent maintenant un projet similaire, avec l’Ouganda cette fois, où ils projettent d’envoyer les demandeurs d’asile déboutés.
Sa recette pour contenir les flux migratoires, Giorgia Meloni veut bien la partager, rapporte notre correspondante à Rome, Blandine Hugonnet. La Première ministre italienne d’extrême-droite espère même la voir rapidement copiée par ses voisins européens, allemands, français, hongrois, suédois. Elle a encore été louée cette semaine, pour son rôle de précurseur sur cette externalisation, une mesure jugée dissuasive.
Il s’agit d’un premier test sur le continent, clé de voûte de la politique de l’extrême-droite italienne, qui va jusqu’à inspirer la Commission européenne. La cheffe de celle-ci, Ursula von der Leyen, cite l’Italie en exemple pour que les 27 externalisent des centres de retours dans des pays tiers.
Rome a été saluée, même en dehors de l’Union européenne, par le Premier ministre britannique Keir Starmer, pourtant travailliste. Celui-ci est venu, il y a un mois, suivre la leçon de Giorgia Meloni, félicitée pour ses « progrès remarquables ». Fruit de la mesure la plus efficace, selon Rome, en échange d’accords économiques, les pays de transit ou de départ, Libye, Tunisie, interceptent et rapatrient les migrants avant leur traversée vers la Botte. Selon l’executif italien, ils seraient 60 000 à avoir été bloqués au départ cette année.
Résultat : après deux ans de tours de vis à répétition, y compris pour sanctionner les navires humanitaires des ONG, l’exécutif italien brandit la preuve de sa réussite face à Bruxelles. Au total, 64 % de débarquements en moins sur les côtes italiennes cette année, selon les chiffres de Frontex, après une explosion d’arrivées l’an dernier.
Le Hongrois Viktor Orban veut créer un groupe de pays qui « défendent les frontières extérieures »
Le très conservateur Premier ministre hongrois est également un partisan de cette mesure. Pour Viktor Orban, l’Europe doit créer des « hot spots » à l’extérieur de ses frontières pour traiter les demandes d’asile. Alors que son pays assure actuellement la présidence de l’Union européenne, l’homme d’extrême-droite est connu pour son hostilité aux migrants et aux demandeurs d’asile. Son gouvernement a détricoté le droit d’asile, estime que l’Europe doit se barricader, rapporte notre correspondante à Bruxelles, Florence La Bruyère.
À l’instar du gouvernement néerlandais, le Hongrois a demandé une dérogation pour ne pas appliquer le Pacte européen sur la migration et l’asile, au cas où les traités seraient renégociés. Ce pacte prévoit une solidarité entre États-membres, pour se répartir les réfugiés.
Dans ce contexte, le Premier ministre hongrois propose également de créer un nouvel organe sur le modèle de l’Eurogroupe, qui prend les décisions en matière de monnaie unique. « Nous ne sommes pas membres de l’Eurogroupe, mais nous sommes parfois invités à ses réunions. C’est un organe très efficace. La Hongrie propose de créer un organe similaire pour les pays membres de l’espace Schengen. Ces pays, qui défendent les frontières extérieures de l’Europe, se réuniraient au plus haut niveau, et ce sont eux qui prendraient les décisions », estime Viktor Orban.
Si un tel organe voyait le jour, la Commission européenne perdrait de son influence, ce qui ne serait pas pour déplaire à Viktor Orban. En tout cas, sur les ondes de la radio publique hongroise, le Premier ministre se félicite que l’Allemagne rétablisse le contrôle à ses frontières.
« On est à un tournant ! Je suis ravi que le chancelier [allemand] Olaf Scholz ait changé d’avis. Et regardez le nouveau ministre français de l’Intérieur : il est encore plus sévère que moi sur la question migratoire ! Quant aux Pays-Bas ? Ce sont les forces anti-migration qui ont gagné les élections », constate le Premier ministre hongrois. Il en est convaincu, les dirigeants européens finiront par se rallier à ses idées.
L’externalisation des demandes d’asile fait débat en France
Que la France fasse également appel un jour à un pays étranger pour traiter ses demandes d’asile, c’est un projet tout à fait compatible avec le programme du parti d’extrême droite Rassemblement national (RN). « On demande à ce qu’il y ait traitement des demandes d’asile depuis les pays de départ ou les pays limitrophes. Ça veut dire aussi qu’il faut qu’il y ait des infrastructures pour que cela puisse se faire. On va voir d’ailleurs comment fonctionne le modèle italien et cette expérimentation », explique Gaëtan Dussausaye, député RN, au micro de Victorien Willaume, du service politique de RFI.
Mais l’idée ne fait pas du tout l’unanimité. Sandrine Rousseau, député écologiste, craint que les droits des migrants ne soient pas respectés dans les pays tiers. « Il ne nous faut pas déléguer notre politique migratoire. Ces personnes, même si elles changent de pays, conservent leurs droits humains fondamentaux et on sait que ce sont des pays où l’on sait que les droits humains fondamentaux ne sont pas la priorité », juge-t-elle.
La désapprobation vient aussi de Pieyre-Alexandre Anglade, député Ensemble pour la république. « Il faut être plus rapide dans l’examen des demandes d’asile, dans le traitement des demandes. Mais je ne suis pas sûr qu’on règlera de manière efficace et humaine la question migratoire en externalisant à des pays tiers qui parfois ont des standards démocratiques plus que douteux », dit-il.
Malgré les contestations, l’expérience italienne pourrait inspirer la France. Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau prévoit de présenter une nouvelle loi immigration en début d’année prochaine.
Les reconductions aux frontières de l’UE, toujours régies par la « directive retour »
Ursula von der Leyen a adressé ce lundi 14 octobre un courrier aux 27 pays membres dans lequel elle plaide pour une nouvelle loi pour faciliter l’expulsion de migrants en situation irrégulière, sachant que l’Union européenne (UE) a déjà adopté en mai dernier un nouveau pacte sur les migrations et l’asile. Un texte qui doit entrer en vigueur mi-2026. À l’heure actuelle, les reconductions aux frontières de l’Union européenne sont toujours régies par la « directive retour », un texte qui date de 2008.
Il s’agit d’un texte qui a été adopté avant la crise migratoire des années 2010, et qui selon de nombreux dirigeants européens ne correspond plus à la situation actuelle. Ce paquet législatif répondait à l’idée qu’il fallait harmoniser les conditions de rétention et d’expulsion des immigrés illégaux dans l’Union européenne, car jusqu’alors chaque pays disposait de sa propre législation en la matière.
Parmi les dispositions les plus controversées adoptées à l’époque, la directive retour a mis en place une procédure graduée jusqu’à l’expulsion contrainte. Un migrant clandestin peut être placé en rétention pour une durée de 18 mois maximum avant une expulsion, mais ce placement ne peut être décidé qu’en dernier recours. Une fois l’expulsion réalisée, la personne concernée ne peut plus entrer sur le territoire européen pendant 5 ans.
Ces mesures sont très critiquées par les défenseurs des droits humains à l’époque. Puis l’Union européenne a rajouté des textes, comme le règlement de Dublin qui stipule que le pays dans lequel a été formulée la demande d’asile est celui qui est chargé de son instruction et de la décision finale. Des mesures qui sont toujours en vigueur aujourd’hui, même si de nombreux pays s’en affranchissent en mettant notamment en place des contrôles aux frontières.