Les lanceurs d’alerte sont peu protégés en Afrique
Article de Cai Nebe, Saleh Mwanamilongo
Les lanceurs d’alerte sont des personnes qui exposent les activités illégales, contraires à l’éthique ou inappropriées d’un individu, d’un gouvernement ou d’une organisation. Ils le font souvent au risque d’être blessés, ou même tués, par ceux qui sont menacés par la divulgation des informations du dénonciateur.
Mais en Afrique, les lanceurs d’alerte ne bénéficient pas d’une protection suffisante lorsqu’ils rendent publics des actes de corruption ou bien des activités illégales.
Le plus souvent, les dénonciateurs potentiels doivent penser à leur avenir, à leurs proches et à leur sécurité.
Des lanceurs d’alerte ont payé de leur vie
Une personne qui connait bien le problème est le journaliste d’investigation ghanéen Manasseh Azure Awuni, connu pour ses reportages sur des affaires de corruption dans ce pays d’Afrique de l’Ouest.
Ces dernières années, Manasseh Azure Awuni a dû se déplacer sous escorte policière armée fournie par le gouvernement. En 2020, il a dû aussi fuir le Ghana pour l’Afrique du Sud après avoir reçu des menaces de mort.
« Tout cela a entraîné de graves problèmes de santé mentale », explique Manasseh Azure Awuni.
Le Journaliste ghanéen Azure Awuni© Manasseh Azure Awuni/DW
Celui-ci fait notamment référence au meurtre du journaliste infiltré Ahmed Suale, abattu devant son domicile en 2019. Ahmed Suale avait fait un reportage sur la corruption dans le football ghanéen et le député ghanéen Kennedy Agyapong, qui n’aimait pas le reportage, avait révélé l’adresse et le visage du journaliste et offert de l’argent à ceux qui lui feraient du mal.
Il s’agit du premier cas connu au Ghana d’un journaliste assassiné en raison de son travail. Cinq ans plus tard, le meurtre d’Ahmed Suale n’a toujours pas été élucidé.
« Cela montre à quel point il est dangereux de travailler dans un environnement où l’on peut être menacé. Vous pouvez être tué. Et personne ne souffre ou ne perd le sommeil à cause de ce meurtre », déplore Manasseh Azure Awuni.
Peu de protections pour les lanceurs d’alerte africains
Pourquoi le journaliste Anas se cache-t-il derrière un masque ?© Michael Oti/DW
Cette situation n’est pas unique au Ghana, mais ce pays est en fait l’un des rares à avoir mis en place des protections juridiques pour les lanceurs d’alerte sur le continent.
Si tous les pays africains, à l’exception de l’Erythrée, font partie de la Convention des Nations unies contre la corruption (CNUCC), neuf pays – la République centrafricaine, le Cap-Vert, Djibouti, la République démocratique du Congo, le Maroc, la Mauritanie, la Somalie, le Sud-Soudan et l’Eswatini – ne l’ont pas ratifiée.
Les seuls pays disposant de lois spécifiques sur la protection des lanceurs d’alerte sont l’Ouganda, la Tanzanie, l’Afrique du Sud, la Namibie, le Ghana, l’Ethiopie et le Botswana.
Mais même dans les pays où les lanceurs d’alerte bénéficient d’une protection, des meurtres et des actes d’intimidation sont encore perpétrés.
Alors que l’affaire Ahmed Suale a secoué le Ghana, les Sud-Africains ont été choqués par le meurtre, en 2021, de Babita Deokaran, un témoin clé dans une enquête sur l’achat surévalué de vêtements de protection contre la Covid-19, dans le cadre d’un scandale portant sur environ 20 millions d’euros.
Que font les pays pour protéger les lanceurs d’alerte ?
Des Ougandais photographiés lors d’une manifestation contre la corruption à Londres© Steve Taylor/SOPA/Zuma/picture alliance
« Le motif du lanceur d’alerte n’a pas d’importance si les problèmes cruciaux qu’il signale sont d’intérêt national », ajoute Manasseh Azure Awuni.
Mais Elijah Kandie Rottok, haut responsable des droits de l’Homme à la Commission nationale des droits de l’Homme du Kenya, affirme qu' »il est dans notre intérêt, en tant qu’Africains, en tant que gouvernement, en tant qu’organisation, d’encourager les lanceurs d’alerte à éviter tout préjudice ou à prévenir les dommages, ou à améliorer le service public et à renforcer notre responsabilité organisationnelle ou publique ».
Elijah Kandie Rottok ajoute qu’une « approche fondée sur les droits de l’Homme » est nécessaire et que les législateurs de tous les pays doivent revoir « les lois et les politiques susceptibles d’entraver les pratiques de dénonciation », telles que les procédures de confidentialité, ou les lois qui favorisent le secret, au lieu de le mettre en balance avec l’intérêt public.
Sur le terrain, les choses sont difficiles pour Mathias Shibata, responsable de l’organisation de défense des droits de l’Homme Haki Africa, basée au Kenya.
« Au Kenya, au cours des dix dernières années, plus de 300 personnes ont disparu ou ont été tuées de manière extrajudiciaire », estime-t-il.
Mathias Shipeta affirme ainsi que, lors des récentes manifestations antigouvernementales au Kenya, « plus de 60 personnes ont effectivement disparu dans le pays ».Lanceur d’alerte en Afrique une activité à risque© picture-alliance/dpa/K. Ludbrook
Qu’est-ce qui motive les lanceurs d’alerte ?
Pour Manasseh Azure Awuni, mettre en lumière les activités illégales des personnes en position de pouvoir est une mission personnelle.
« Je trouve que c’est ma façon de contribuer à la construction de la démocratie ghanéenne et au développement de mon pays, et il y a des occasions où je trouve scandaleuses certaines des choses qui arrivent à des personnes sans défense ».
« Je ne pense pas que nous soyons suffisamment indignés », ajoute-t-il. « Lorsque vous avez des problèmes, vous êtes la plupart du temps livré à vous-même. »
Auteur: Cai Nebe, Saleh Mwanamilongo
SOURCE MSN.COM