Pr Ameth Ndiaye: «Cette nouvelle loi, qui sera mise en place pour les lanceurs d’alerte, devra être forcément conciliée au droit positif existant »

Lors de son discours à la Nation, le président de la République Bassirou Diomaye Faye avait fait l’annonce de mettre en place une nouvelle loi pour la protection des lanceurs d’alerte. Et à l’occasion du Conseil des ministres de ce mercredi 17 avril 2024, le Chef de l’Etat a ordonné au ministre de la Justice, garde des Sceaux, Me Ousmane Diagne, de finaliser avant le 15 mai 2024, un projet de loi sur la protection des lanceurs d’alerte. Ces personnes ou groupes, lanceurs d’alerte doivent avec honnêteté jouer un rôle de vigile, de sentinelle, de garde-fou lorsque ces personnes, ces groupes ou ces institutions sont en présence ou relèvent des pratiques illégales, immorales, illégitimes. Des pratiques qui remettent en cause l’intérêt général, la prévarication, la prédation des deniers publics.


Pour éclairer la lanterne des Sénégalais, Dakaractu a eu un entretien avec le constitutionnaliste Ameth Ndiaye. Ainsi, le Professeur à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar estime que cette nouvelle loi, qui sera mise en place pour les lanceurs d’alerte, devra être forcément conciliée au droit positif existant.

Dakaractu 1- Quelle définition pouvez-vous donner aux lanceurs d’alerte et comment les identifier ?

Professeur Ameth Ndiaye / Les lanceurs d’alerte par définition sont toute personne, tout groupe ou toute institution qui révèle des informations concernant des menaces ou un préjudice pour l’intérêt général dans le contexte de sa relation de travail, dans le secteur public ou privé.

C’est la définition retenue par le Conseil de l’Europe. D’abord, il faut commencer par relier tout cela par le discours du président de la République Bassirou Diomaye Faye lors de son adresse à la nation le 03 avril 2024. C’est à partir de là que le Chef de l’Etat va de façon expresse et claire nous entretenir de la notion de lanceur d’alerte. Et peut-être historiquement faire comprendre que cette notion est née aux États-Unis en 1863. C’est d’abord une pratique anglo-américaine qui s’est développée par la suite en France. Déjà en 1990, on a mis en place le terme de lanceur d’alerte qui rejoignait la notion anglo-américaine de dénonciateur.

Donc historiquement voilà comment les choses ont voyagé dans le temps et dans l’espace.

2- Comment devient-on lanceur d’alerte ?

Dans ce cas, il faut faire une typologie entre deux catégories. La première catégorie est ceux qui ont décidé d’être dans la durée et de façon pérenne des lanceurs d’alerte. Ceux qui en font un travail de tous les jours, un travail quotidien. Et ceux qui sont lanceurs d’alerte occasionnellement par le truchement d’une affaire frauduleuse. Ils se parent des habits, mais une fois l’affaire clause, ils retrouvent une vie plus ou moins normale.

Donc il y a ceux qui le sont et qui ont décidé de l’être définitivement et durablement. Et il y a ceux qui le deviennent accidentellement et occasionnellement lorsqu’ils se retrouvent en phase à une situation frauduleuse illégale telle que prescrite et décrite par les textes législatifs et réglementaires en vigueur dans un pays.

3- Quel est le rôle d’un lanceur d’alerte ?

En réalité par ce mécanisme-là, nos sociétés essayent de mettre en place des îlots d’honnêteté et de permettre à des personnes, à des groupes et à des institutions de pouvoir jouer un rôle de vigile, de sentinelle, de garde-fou lorsque ces personnes, ces groupes ou ces institutions sont en présence ou relèvent des pratiques illégales, immorales, illégitimes.

Des pratiques qui remettent en cause l’intérêt général, la prévarication, la prédation des deniers publics. Il faut aussi savoir que les lanceurs d’alerte ne sont pas seulement confinés dans le domaine de la dénonciation de la corruption. Les lanceurs d’alerte sont diversifiés. Cela peut concerner des questions pharmaceutiques, médicales, mais il peut concerner des questions environnementales. Cependant, la conception stricte serait de confiner le lanceur d’alerte au signalement des faits de corruption.

Nous verrons avec la loi ce qu’il en sera. Mais je pense que ce serait un peu réducteur au regard du droit comparé, de bonne pratique que l’on constate ici et là à travers le monde. Aujourd’hui, au moins une soixantaine de pays ont mis en place une législation dédiée aux lanceurs d’alerte pour en indiquer clairement, mais tout simplement toutes les dimensions en termes de personnes protégées, de groupes protégés et d’institutions protégées.

Des États comme le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Suisse, le Canada, l’Afrique du Sud, la Tunisie, la Zambie, on fait des efforts salutaires et louables en la matière. C’est au moins peut être sûr qu’à travers le monde 7 pays sont doté de cette formidable législation qui permet d’encadrer convenablement, mais tout simplement cette posture républicaine qui coïnciderait à dénoncer des faits qui porteraient atteinte à l’économie, à l’environnement et à la santé, etc.

4- Comment les lanceurs d’alerte peuvent être protégés ?

Tout dépendra de la législation mise en place, mais immanquablement, il faut que la législation future puisse accorder une large protection contre toutes les formes de représailles et contre les mesures de rétorsion. Tout cela passe par les canaux de signalement internes réglementaires, et même externes qui seront utilisés par les lanceurs d’alerte.

Comment ils vont s’en ouvrir, vers qui ils vont aller ?

Est-ce qu’on va mettre en place un signalement anonyme ? Comment on va protéger la confidentialité ? Tout cela permet d’envisager des procédures internes de divulgation et surtout de mettre en place une législation des auteurs de représailles. Il faudra garantir tout cela par une structure dédiée par exemple une autorité de surveillance.

Cela peut être l’OFNAC. On verra comment la loi va être envisagée cependant, la protection n’exonère pas la responsabilité.

« Protéger les lanceurs d’alerte, c’est sécuriser l’économie de notre pays »

5- Quel est le statut juridique d’un lanceur d’alerte ?

Montrer que la nouvelle loi qui sera mise en place pour les lanceurs d’alerte devra être forcément conciliée au droit positif existant, c’est-à-dire aux règles officielles en vigueur dans notre pays. On peut penser sans prétendre à l’exhaustivité à l’article 14 du statut général des fonctionnaires.

On peut également si l’on revisite le code pénal retrouvé les dispositions de l’article 258 et de l’article 362 qui légifère relativement à l’illégalité de la dénonciation calomnieuse qui fait tout pour veiller à l’honneur des personnes à leur intégrité corporelle et à leur considération.

On peut également envisager des obligations de réserve de discrétion. Cela renvoie encore à l’article 14 du statut général des fonctionnaires. Il faut aussi évoquer le fait que certaines autorités en plus de cela vont prêter serment. Ce qui va renforcer les contraintes en la matière.

Et donc puisque le droit est une conciliation. Il nous faut concilier les nécessités d’un statut protecteur et promoteur des lanceurs d’alerte, mais dans le même sillage, rien n’envisageait l’articulation entre ce nouveau statut et les règles qui existent actuellement dans notre dispositif législatif et réglementaire.

6- Vous ne pensez pas qu’il n’y aura des risques de règlement de compte ?

Comme je l’ai dit tantôt, il faut un seuil de protection réaliste. Cela veut dire qu’il faut tout simplement faire de telle sorte qu’il n’ait aucune forme de protection pour les personnes malhonnêtes qui vont simplement utiliser les mécanismes pour régler un conflit personnel, des problème crypto-personnels, des règlements de comptes. Il faut éviter les intentions de nuire.

Et je pense que cela passe par un encadrement resserré de la loi envisagée. Pour que le mécanisme soit pertinent, il faut qu’il s’adosse sur les principes de bonne foi. Il faut qu’on soit dans des soupçons raisonnables pour qu’au moins lorsque les erreurs sont commises, qu’elles soient des erreurs honnêtes.

Voilà l’équilibre qu’il faut envisager à travers cette loi pour éviter que ce pertinent mécanisme ne soit galvaudé pour qu’il n’y est pas ce qu’on appelle un détournement de procédure c’est-à-dire utiliser cette procédure à des fins autres que celle pour lesquels on l’avait envisagé au départ. De ce point de vue, le législateur sera vigilant.

7- Quel appel lancez-vous aux autorités du pays afin que cette loi soit bien encadrée ?

Bien protéger les lanceurs d’alerte, c’est sécuriser l’économie de notre pays, car la corruption freine le développement. Et nous savons combien ce pays aujourd’hui au flot des informations tragiques en matière financière qui nous reviennent doit inévitablement faire face pour permettre à ce qu’on s’installe dans une gouvernance vertueuse qui prône l’éthique de responsabilité dans une gouvernance économique et financière sobre.

Pour cela, il faut lutter avec beaucoup de fermeté les détournements des derniers publics contre la corruption, la mal-gouvernance. Insister sur l’obligations de rendre compte et renforcer davantage la répression pénale par exemple contre la fraude fiscale. C’est le pari qu’il faut relever pour espérer sortir de notre place scandaleuse des 25 pays les plus pauvres.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *