Nigeria: dix ans après l’enlèvement des 276 lycéennes de Chibok, les kidnappings se sont multipliés

Dans la nuit du lundi 14 avril au mardi 15 avril 2014, 276 lycéennes étaient enlevées au sein de leur école du nord-est du Nigeria par des combattants de Boko Haram. Le drame de Chibok a suscité un émoi mondial mais une décennie plus tard, nombre d’entre elles sont toujours portées disparues et les kidnappings, dans les écoles, se sont multipliés.

C’est une nuit de cauchemar qui ne s’est jamais achevée. Le 14 avril 2014, des combattants jihadistes du groupe Boko Haram prennent d’assaut l’école secondaire de Chibok, dans le nord-est du Nigeria. À l’issue d’une attaque de plusieurs heures, lors de laquelle une partie de l’internat est incendiée, 276 jeunes filles présentes sur place sont poussées à bord de camions qui les emmènent, bientôt, dans la nuit.Ce kidnapping revendiqué par Boko Haram provoque l’effroi au Nigeria puis, bien au-delà. La campagne « Bring Back our Girls » trouve un écho mondial et le sort des filles de Chibok attire même l’attention de Michelle Obama, alors première dame des États-Unis. Mais en pleine insurrection jihadiste, dans la région du Borno, la menace sécuritaire était bien connue des autorités.« Tout le monde était sous le choc, bien évidemment, c’était la première fois qu’on voyait un kidnapping de cette ampleur, se remémore Isa Sanusi, aujourd’hui directeur d’Amnesty International Nigeria, mais dans une enquête que nous avons menée peu après ce drame, il est apparu que les forces de sécurité avaient été alertées qu’une attaque pouvait avoir lieu, poursuit-il, sauf que personne n’a rien fait. Il y a eu une sérieuse faille sécuritaire. »Juste après l’attaque, 57 lycéennes parviennent à s’échapper en sautant des véhicules dans lesquels elles ont été entassées. Entre 2016 et 2017, une centaine de jeunes filles seront relâchées contre la libération de prisonniers de Boko Haram et des transferts d’argent. D’autres sont parvenues à s’échapper et à retrouver leurs familles, au fil des années, mais, dix ans plus tard, 82 lycéennes de Chibok sont toujours portées disparues, selon le décompte le plus récent réalisé par Amnesty International.Bombardements de l’armée« Je les considère toutes comme si elles étaient mes propres filles et je me battrai toujours pour elles, même si elles ne sont pas de mon sang », jure Yakubu Nkeki dont plusieurs proches ont été kidnappéspar Boko Haram, à l’époque.Le quinquagénaire préside l’association des parents des lycéennes enlevées qui continuent d’attendre, jour après jours, que leur nièce, leur cousine ou leur sœur ne réapparaisse, sauf que la situation sur le terrain a bien évolué, ces dernières années. Le groupe Boko Haram s’est scindé en factions rivales et son chef historique, Abubakar Shekau, s’est donné la mort, en mai 2021, après une offensive des combattants du groupe État islamique en Afrique de l’Ouest (Iswap) contre son bastion de la forêt de Sambisa.« Il y a beaucoup d’indices qui nous font penser que les lycéennes de Chibok ont été dispersées dans plusieurs camps de Sambisa, mais d’autres ont sans doute été emmenées vers les monts Mandara, à la frontière camerounaise, et d’autres encore vers le lac Tchad », explique l’analyste nigérian, Kabir Adamu qui a lui-même endossé le rôle de négociateur dans des affaires de kidnapping.Celui-ci estime même que certaines prisonnières ont probablement perdu la vie, ces dernières années : « Il ne faut pas oublier que l’armée nigériane a mené de nombreux raids contre les camps jihadistes, avec des campagnes de bombardements intensives », souligne-t-il. Ces frappes indiscriminées ont coûté la vie à de nombreux otages parqués dans les camps de Boko Haram, ces dernières années.

Stigmatisation des communautés

Une fois libérées, les lycéennes de Chibok ont pu raconter la terreur et la souffrance ressenties au cours de leur détention.

« Ce sont des jeunes filles extrêmement courageuses. Elles avaient 16 ou 17 ans lorsqu’elles ont été enlevées et beaucoup d’entre elles ont été forcées de se marier. Elles ont été abusées physiquement et sexuellement, et elles ont souvent frôlé la mort sous les bombes de l’armée », décrit l’artiste germano-nigérian Ade Bantu qui a rencontré de nombreuses survivantes de Chibok.

« Leur réintégration dans la société est très difficile car elles font face à énormément de stigmatisation, explique-t-il. Les gens n’arrêtent pas de les questionner, de demander pourquoi elles se sont mariées, pourquoi elles se sont converties à l’islam… et c’est difficile aussi pour celles qui ont eu des enfants, des enfants « de Boko Haram ». Les familles ont honte de cela », décrit-il. Epuisés par l’attente ou usés par la tristesse, une quarantaine de proches sont également morts, sans avoir revu celle dont ils espéraient la libération.

« Encore aujourd’hui, beaucoup de parents sont rongés par la culpabilité, soupire Ade Bantu. Ils continuent de se demander s’ils auraient vraiment dû envoyer leurs enfants à l’école. Ils pensaient leur offrir une éducation mais ils finissent par se dire qu’ils auraient juste dû les garder avec eux, à la ferme. Cela leur aurait évité le pire. »

Manquements des autorités

Un sentiment d’abandon persistant rend le retour à la vie encore plus difficile. Alors qu’une partie des jeunes filles libérées ont pu être prises en charge dans des établissements scolaires, d’autres n’ont jamais repris leurs études. La plupart n’ont pas non plus bénéficié d’un suivi psychologique adapté, malgré des années de détention traumatisantes. 

Dans la ville de Yola où RFI les a rencontrées, Amina et Jummai, deux survivantes de Chibok, évoquent les promesses non tenues du gouvernement nigérian.

« Les filles qui sont toujours en captivité doivent être libérées », implore Amina qui joue avec son bébé. « Si les autorités veulent faire quelque chose pour les filles de Chibok, il faut qu’elles soient toutes envoyées à l’école ! Et leurs enfants aussi ! Certaines en ont deux ou trois et elles peinent à les nourrir »lance-t-elle.

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