Le groupe Wagner et les satellites chinois, que savait Pékin?
Selon une enquête de l’Agence France Presse (AFP) via des « sources sécuritaires européennes », le groupe paramilitaire Wagner aurait signé un contrat avec une société chinoise pour acquérir deux satellites d’observation et commander fin mai dernier, des images de la frontière ukrainienne jusqu’à Moscou, soit le trajet emprunté par Wagner lors de sa mutinerie. Question ce matin, que savait Pékin de ce contrat ?
Avec notre correspondant à Pékin, Stéphane Lagarde
Comme souvent en pareil cas, la Chine botte en touche. La diplomatie chinoise a répondu à l’AFP « ne pas être au courant » du dossier et, faute d’éléments de langage, aucune allusion n’est faite à cette longue enquête ce matin dans les médias d’État ici. Que savait Pékin ? Certains observateurs estiment qu’un deal aussi sensible est forcément remonté au sommet du parti.
Observation à très haute résolution
D’après le contrat – rédigé en anglais et en russe – signé le 15 novembre 2022 et consulté par l’AFP, Beijing Yunze Technology a vendu pour 31 millions de dollars à Nika-Frut, une société de la galaxie Prigojine, deux satellites d’observation très haute résolution appartenant à Chang Guang Satellite Technology. Or, ce géant du spatial, première société commerciale de satellites de télédétections en Chine fondée en 2014, travaille en collaboration avec les autorités, notamment l’Académie chinoise des sciences et le gouvernement de la province chinoise de Jilin. Quant à Beijing Yunze Technology, elle figure dans la liste américaine établit en février dernier, des cinq entreprises chinoises soupçonnées d’avoir offert leur soutien à l’armée russe dans sa guerre contre l’Ukraine, ce qui a été démenti par la Chine.
Mais d’autres experts sont plus circonspects et estiment comme Paul Charon que l’on sous-estime les divisions en interne au sein de l’appareil chinois et qu’au contraire « on surestime le niveau de centralisation de la Chine. Toute opération peut-être en proie entre dirigeants, entre administrations, entre unités de la même administration. Cela produit de l’opacité, de la rétention voire du sabotage », a expliqué à l’AFP ce spécialiste de la Chine à l’Institut de recherche stratégique de l’école militaire (IRSEM) à Paris.
« Neutralité »
De son côté le pouvoir chinois continue de défendre sa « neutralité » dans le conflit en Ukraine, de manière à éviter de nouvelles sanctions américaines : « La Chine a toujours fait preuve de responsabilité pour ses exportations et a adopté des mesures prudentes, a affirmé le porte-parole de la diplomatie chinoise dans des propos rapportés là encore par l’Agence France Presse. Elle applique rigoureusement les lois et réglementations nationales et respecte ses obligations internationales ».
Enfin, d’autres observateurs notent que les « sources sécuritaires européennes » sont moins habituées à ce genre de bombe informationnelle que les renseignements des États-Unis et de ses alliés anglo-saxons. Ces révélations interviennent dans un contexte de tensions renouvelées entre l’UE et Pékin, du rapprochement sino-russe et de la proximité du sommet des « routes de la soie », auquel doit assister Vladimir Poutine.
Or, tous les dirigeants européens qui ont rencontré les dirigeants chinois ces dernières semaines, ont, a chaque fois rappelé que les relations entre l’Europe et la Chine dépendaient aussi des relations entre Pékin et Moscou, avec comme « ligne rouge » un soutien militaire des entreprises chinoise à la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine.