Le ministre britannique des Finances Kwasi Kwarteng démis de ses fonctions après… 38 jours
À peine plus d’un mois après son entrée en fonctions, Kwasi Kwarteng quitte le Trésor Britannique: cet ultralibéral de 47 ans, fait les frais d’un “plan de croissance” massif et mal financé qui a semé la panique sur les marchés.
M. Kwarteng, qui se disait sûr jeudi d’être encore en fonctions dans un mois, était arrivé la tête du Trésor britannique début septembre avec la lourde tâche de sortir le Royaume-Uni d’une grave crise du coût de la vie sans faire plonger les finances publiques, une pression énorme sur les épaules de cet apôtre d’impôts faibles et de l’économie de marché.
“Je crois que votre vision est la bonne”
Le ministre britannique des Finances Kwasi Kwarteng a confirmé vendredi son limogeage par la Première ministre Liz Truss, en pleine tempête économique et politique provoquée par son ensemble de mesures fiscales controversées.
“Vous m’avez demandé de démissionner en tant que Chancelier” de l’Echiquier, “j’ai accepté”, a écrit Kwasi Kwarteng dans une lettre à la cheffe du gouvernement publié sur son compte Twitter, après à peine plus d’un mois à la tête du Trésor.
Dans cette lettre, Kwasi Kwarteng explique qu’il avait accepté le poste “sachant parfaitement que la situation à laquelle nous faisons face était incroyablement difficile, avec la hausse des taux d’intérêt dans le monde et les prix de l’énergie”.
“Votre vision d’optimisme, de croissance et de changement était la bonne”, a-t-il poursuivi, répétant que “le statu quo n’est pas une option”. “L’environnement économique a changé rapidement depuis que nous avons présenté notre plan de croissance le 23 septembre”, a-t-il ajouté.
“Il est important à présent que nous allions de l’avant pour souligner l’engagement de votre gouvernement envers la discipline budgétaire”, a-t-il ajouté, mettant en avant l’importance du projet du gouvernement à moyen terme. “Nous avons été collègues et amis depuis de nombreuses années”, poursuit-il, louant le “dévouement” et la “détermination” de Liz Truss, qui doit s’exprimer lors d’une conférence de presse en début d’après-midi. “Je crois que votre vision est la bonne”, “cela a été un honneur de servir en étant votre premier Chancelier”, conclut-il.
“Bouc émissaire”
Il “est le bouc émissaire des erreurs du gouvernement” résume à l’AFP Tony Travers, professeur à la London School of Economics (LSE). Son plan budgétaire fait de baisses d’impôts et d’aides énergétiques a fait plonger fin septembre la livre sterling à son plus bas historique et fait flamber les taux d’emprunt de l’Etat britannique. Les marchés s’étaient quelque peu repris après des interventions successives de la Banque d’Angleterre, mais restaient très nerveux.
Kwasi Kwarteng est pourtant un ami de longue date de Liz Truss. Tous deux sont voisins à Greenwich, au sud-est de Londres. Et ils partagent la même vision de l’économie. Le ministre des Finances avait cosigné en 2012, avec d’autres conservateurs, dont Liz Truss, le livre “Britannia Unchained”, qui prônait notamment un État au périmètre réduit et qualifiait les travailleurs britanniques de “pires fainéants du monde”.
Vu son parcours, M. Kwarteng “ressemble à bien des égards à une sorte de Thatchérien militant”, selon Tony Travers, en référence à l’ancienne Première ministre ultralibérale Margaret Thatcher. M. Kwarteng s’était pourtant employé à rassurer les marchés, assurant qu’une fois le choc énergétique actuel passé, le gouvernement s’efforcerait de réduire la dette, sans convaincre.
“Ce en quoi ils croient”
Avec leur très décrié “plan de croissance” et les baisses d’impôts associées, lui et Liz Truss ont fait “ce en quoi ils croient”, mais ils n’ont tout simplement pas préparé le terrain pour l’introduction de ce “paquet radical” de mesures, prenant par surprise “les marchés, le parti conservateur et le public”, analyse M. Travers.
Fils d’immigrés du Ghana arrivés au Royaume-Uni dans les années 60, celui qui était avant son arrivé au Trésor et depuis janvier 2021 ministre des entreprises, de l’industrie et de l’énergie, était le premier Chancelier de l’Echiquier noir du pays.
Comme ministre de l’Énergie, il s’était attiré les critiques de l’opposition et des ONG en dévoilant une nouvelle stratégie mettant l’accent sur le nucléaire, les renouvelables, mais aussi les énergies fossiles en mer du Nord, la sécurité énergétique reprenant le dessus sur l’urgence climatique depuis la guerre en Ukraine.
Polyglotte et érudit
M. Kwarteng, décrit comme brillant, très sûr de lui et affable, est né à Waltham Forest (nord-est de Londres) et il a vécu dans la capitale britannique la plus grande partie de sa vie. Il est marié à une avocate, Harriet Edwards, avec qui il a eu une fille l’an dernier.
Polyglotte et érudit – il se piquerait d’écrire de la poésie en latin – passionné d’histoire et de musique, le Chancelier est aussi fan de cricket. “Si vous pouvez lui expliquer les choses par une analogie avec [ce sport], vous attirerez toujours son attention”, a assuré au quotidien The Times le député Mark Fletcher, qui a travaillé avec lui.
Fils d’un économiste et d’une avocate, il a eu un parcours typique de l’élite britannique: études secondaires à Eton grâce à une bourse, doctorat en histoire économique à l’université de Cambridge, après un passage à Harvard. Il a travaillé comme analyste financier, chroniqueur dans la presse, avant d’être élu député de Spelthorne, au sud-ouest de Londres, en 2010.