Remaniement ministériel : Pap Ndiaye, le pari raté de la disruption voulue par Emmanuel Macron

Quittant la rue de Grenelle avec un bilan transparent, cet intellectuel de renom n’a pas réussi à imprimer sa marque en dépit des espoirs placés en lui. C’est Gabriel Attal qui le remplace au ministère de l’Éducation nationale.

L’annonce, en mai 2022, provoque un phénomène de blast. Pap Ndiaye, intellectuel reconnu, spécialiste de l’immigration, est nommé ministre de l’Éducation nationale. Un effet de souffle perceptible par le torrent de réactions outrancières déversées par l’extrême droite. Marine Le Pen dénonce un « indigéniste assumé », et Jordan Bardella un « militant racialiste et anti-flics », dont l’action allait conduire à « la dislocation de la Nation ». Rien que ça.

Sur le plan politique, ce coup disruptif signé Emmanuel Macron est perçu comme un virage à 180 degrés après le passage de Jean-Michel Blanquer, et de sa croisade contre le « wokisme », rue de Grenelle. La démonstration que le chef de l’État conserve sa capacité à surprendre, en allant piocher dans la société civile des profils à haute valeur ajoutée capables d’adhérer à sa volonté de dépassement, ADN du macronisme.

Une méthode qui pouvait séduire sur le papier, mais qui s’est heurtée de plein fouet à la réalité brutale du monde politique. Ce jeudi 20 juillet, c’est par un communiqué que le ministre de l’Éducation nationale a été remercié, comme son collègue de la Santé François Braun, lui aussi issu de la société civile. Il est remplacé par Gabriel Attal, un profil autrement politique et technicien.

Bilan transparent

Pap Ndiaye lâche ainsi son portefeuille avec un bilan transparent. Plan mixité réduit à peau de chagrin (car non contraignant), hausse des salaires des professeurs annoncée par Emmanuel Macron (mais rejetée par les enseignants car sous conditions), tollé dans l’enseignement professionnel avec la suppression de 80 filières, pénurie de profs toujours pas résolue… La liste des rendez-vous manqués de Pap Ndiaye est particulièrement longue.

Pas tant par manque de volonté que par l’incapacité à peser dans une équipe gouvernementale où il faut jouer des coudes pour gagner des arbitrages et où l’annonce des bonnes nouvelles est souvent réservée au chef de l’État. Sur le plan médiatique, le ministre n’a pas non plus réussi à imprimer. Pire, en bon élève respectant les principes de la solidarité gouvernementale, le chercheur de profession a été pris en flagrant délit de contradiction.

Sur France inter au mois d’avril, Pap Ndiaye refuse d’employer l’expression « violences policières », honnie par le tout-puissant ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Problème, ce même Pap Ndiaye, sur cette même antenne, déplorait deux ans plus tôt cette « attitude de déni en ce qui concerne les violences policières en France ». Un reniement manifeste que la presse n’a pas manqué de souligner. Quelques semaines plus tard, Pap Ndiaye va encore donner l’impression de passer à côté de son sujet.

À Vendin-le-Vieil, dans le Pas-de-Calais, Lindsay, une adolescente de 13 ans victime de harcèlement scolaire se suicide. Le ministre dénonce un « échec collectif », donne l’impression d’être distant alors que l’affaire émeut un pays indigné par ce fléau qui n’en finit plus de faire des victimes. Le 5 juin, Pap Ndiaye reçoit les parents. À la sortie du rendez-vous, ils fustigent publiquement ce ministre qu’ils n’ont « pas trouvé sincère », et le décrivent comme impuissant dans la lutte contre ce phénomène.

« On ne sait pas ce qu’il pense »

Le camouflet est tel que c’est Brigitte Macron (qui n’a aucune attribution exécutive) qui récupère le dossier deux jours plus tard, et qui va recevoir la famille à son tour. Devant plusieurs journalistes, dont Le HuffPost, un poids lourd du gouvernement tape alors littéralement du poing sur la table. « Mais pourquoi on ne l’a pas vu faire un 20 heures et promettre aux Français que les responsables seront punis et que cela ne devra plus jamais se reproduire ? On ne sait pas ce qu’il pense, ce qu’il a dit, personne ne retient rien. Il faut être ferme et politique. Se dédoubler. Savoir intégrer la colère des gens, et agir intelligemment dans l’action. La pondération c’est bien, mais dans l’action. Résultat, sur le harcèlement scolaire, on entend plus Brigitte que le ministre de l’Éducation. C’est lunaire », s’emportait ce pilier de la Macronie.

Le sort du ministre apparaît alors scellé. Dans les déjeuners politiques, les pronostics entre le café et le dessert concernent quasi exclusivement le portefeuille de l’Éducation nationale. Et beaucoup s’amusent alors de l’intérêt soudain (et peu subtil) observé par certains députés et ministres ambitieux sur le sujet. Alors que l’été vient d’arriver, le ministre semble plus démonétisé que jamais.

Bras de fer

Samedi 1er juillet, alors que les émeutes après la mort de Nahel à Nanterre secouent le pays, l’Élysée et Matignon débranchent Pap Ndiaye, qui était programmé le lendemain sur France inter. C’est Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, qui est envoyé in extremis compte tenu de la sensibilité de la situation, selon des informations de L’Express. La semaine suivante, samedi 8 juillet dans la soirée, le président de la région Sud Renaud Muselier, pourtant membre de la majorité, se lâche sur Twitter.

« J’apprends avec effarement le déplacement de Pap Ndiaye dans un lycée de la Région Sud. Sans aucune préparation en commun, sans échange préalable, comme une injonction parisienne imposée aux provinciaux. Cette tendance — heureusement très minoritaire — doit cesser ! », écrit-il. Le tweet est effacé dans la foulée, mais le mal est fait. Et le ton en dit long sur la considération qu’il inspire en interne. Arrive alors son bras de fer avec la galaxie médiatique de Vincent Bolloré.

Une fois n’est pas coutume, Pap Ndiaye a offert une sortie très politique dimanche 9 juillet, en qualifiant sur Radio J la chaîne CNews comme « clairement d’extrême droite ». Le ministre essuie alors un lynchage continu sur les antennes bolloréennes et ce, dans l’indifférence quasi générale du gouvernement. « Qui, parmi eux, a la moindre idée de ce qu’est le racisme ?  », s’interroge-t-il dans Le Monde.

« En politique, on ne va jamais se prendre une balle pour un homme mort », décrypte, sans fard, au HuffPost, un conseiller ministériel, avant que le chef de l’État en personne monte au créneau pour prendre la défense de son ministre. Un soutien bienvenu, mais qui n’aura pas suffi à survivre aux « ajustements » demandés par Emmanuel Macron à Élisabeth Borne.

Il faut dire qu’après tant d’épreuves ayant transformé son passage rue de Grenelle en chemin de croix, une autre issue semblait impossible. Y compris pour l’intéressé, absent remarqué mercredi soir de la soirée donnée au ministère des Relations avec le Parlement en compagnie d’Emmanuel Macron et des parlementaires de la majorité. En fin de semaine, un communicant macroniste imaginait volontiers l’amertume du ministre : « Lui-même est-il déterminé à repartir au combat ? On peut en douter ».

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