Domaine national de Rufisque est, reprise des titres: Lendeng, une zone agro-écologique sous hypothèque

Située en plein cœur de la commune de Rufisque Est, Lendeng, une zone agro-écologique d’une superficie de 56 hectares, qui approvisionne une bonne partie du marché dakarois en produits horticoles, est en passe de céder à la pression de l’habitat. Cet espace subdivisé en domaine national, en titres privés et en titres d’Etat se voit de jour en jour occupé par les propriétaires. D’où la menace réelle de pertes d’emplois mais également d’arrêt de production horticole. Sud Quotidien y a fait incursion pour comprendre les menaces à cette frange d’exploitants ainsi que les freins à l’autosuffisance alimentaire

Il est 10 h 30, mais le soleil déploie déjà ses rayons ardents dans un ciel dégagé. Sur les terres de Lendeng, commune de Rufisque Est, champs de maraîchage et maisons se jouxtent et s’entremêlent par endroits. Cette situation en dit long sur la pression foncière dans la zone. Cette cuvette propice à la production de légumes, de salade, des choux, de la carotte, du persil chinois, du navet et de l’aubergine entre autres, est fortement menacée de disparition. Ce, à cause de l’occupation des titres privés et titres d’Etat. Dans les périmètres de culture, on aperçoit des pompes d’irrigation. Des hommes et des femmes s’affairent à arracher  les mauvaises herbes à la main, à déposer un paillage pour éviter la formation d’adventices. D’autres procèdent au traitement des plantes ou récoltent les produits prêts pour la consommation et la  commercialisation.

Mamadou Ka, président de l’Association des maraîchers de Lendeng , entouré des siens, partage un thé sous un arbre. Sur les lieux, non loin de la sortie 10 de l’autoroute à péage, de visu, cette cuvette semble inhabitable, mais les  concessions y occupent une grande partie, rétrécissant du coup l’espace agricole. Une « agression » qui ne laisse pas indifférent Mamadou Ka. Entouré des siens, partageant un thé sous un arbre, il dénonce avec véhémence cette situation, non sans demander une nouvelle fois aux autorités de quantifier les menaces réelles à l’autosuffisance alimentaire prônée urbi et orbi par les pouvoirs publics. M. Ka s’inquiète aussi et surtout des nombreuses pertes d’emplois que cette dépossession ou réaffectation des terres de Lendeng pourrait causer comme dommages.

Confortant son propos, il brandit l’arrêté du sous-préfet de l’arrondissement de ladite localité, datant du 14 avril 2022, et portant interdiction de travaux sur une partie du lotissement dénommé «Extension série G de Rufisque Est». Fort de tout ceci, le responsable des maraîchers de Lendeng pense qu’avec une volonté ferme des pouvoirs publics, il est tout à fait possible d’arrêter cette pression foncière. « L’Etat a suffisamment de moyens de renseignement pour y mettre fin », estime-t-il. Il poursuit : « en tant que président de l’Association des maraîchers de Lendeng, j’ai demandé à tous les membres de notre groupement de ne plus céder la moindre parcelle pour quoi que ce soit ». Pour M. Ka, « le prix de cession ne vaut pas la peine.  Ce que nous gagnons ici est de loin bien meilleur ce que gagne un ouvrier de la Sococim ».

Même en termes de qualité, le président des maraîchers de Lendeng,  affirme que leur production « est bien meilleure que les produits importés ». Mieux, il ajoute que leurs activités dans cette zone cadrent parfaitement avec « les orientations stratégiques de souveraineté alimentaire de l’Etat du Sénégal ».

Désespéré de constater, jour après jour, le périmètre foncier de leur zone horticole se réduire, soit par l’extension de la Sococim soit par la forte pression du foncier urbain. Il se défend ainsi : « Ici quelques 148 maraichers travaillent toute l’année (... ) Et je peux vous assurer que le potentiel emploi agricole de Lendeng dépasse de loin celui que crée la Sococim ». D’ailleurs, « personne n’est prêt à céder son champ à la Sococim », fait-il savoirParce que dit-il: « ce que nous gagnons de l’exploitation horticole dans cette zone est de loin incomparable à ce que l’industrielle pourrait payer à un ouvrier ». Donc, «nous demandons au chef de l’Etat de mettre fin à cette spoliation foncière».

Les activités agricoles de Lendeng contribuent au développement d’activités connexes comme l’artisanat, le transport, le commerce. Lesquelles activités constituent un réseau d’acteurs interdépendants pour les commerçants ambulants. Ces activités fournissent aux maraîchers une bonne partie des intrants (pesticides, semences, engrais). Les petits artisans auprès de qui les maraîchers achètent et font réparer leur petit matériel agricole ; des transporteurs (véhicules, clandos, charretiers) ; pour assurer la livraison des engrais aux exploitants mais aussi des produits agricoles aux commerçants des grands marchés de Dakar ou de l’intérieur du pays.

Quant aux restauratrices, l’opportunité de vendre leurs services leur est offerte, ainsi qu’aux éleveurs de bovins de la zone péri-urbaine qui passent des contrats avec les maraîchers pour échanger des résidus de récolte contre du fumier. Les éleveurs de chevaux de la zone péri-urbaine qui vendent d’énormes quantités de fumier aux maraîchers.

Toutes ces activités directes et indirectes concourent à la vitalité économique de la zone. Se voulant convaincant, le président Mamadou Ka dit ceci: «beaucoup de saisonniers nous viennent des environs, de l’intérieur du pays mais également des pays riverains du Sénégal, comme la Gambie, la Guinée Bissau, le Mali pour gagner leur vie». Astou Aw, exploitante agricole dans la zone, appelle l’Etat à ne pas les jeter en pâture. « Nous demandons aux gouvernants de nous laisser cultiver cette terre. Car, nous n’avons que ça pour survivre. Toute action contraire ne ferait qu’augmenter la pauvreté. Or, ce même Etat est en train de lutter contre la politique ».

Les exploitants illégaux en ligne de mire 4

La partie du lotissement administratif autorisé par arrêté n°724/MRUHCV/DUA/FSN du 29 Mai 2017 par le sous-préfet de l’arrondissement de Rufisque Est, est interdite à tous travaux de terrassement, de bornage ou autre.

D’une superficie de 56 ha, cet espace composé du domaine national, de titres privés et de titres d’Etat devant être érigé en zone agro-écologique par décret et exclusivement réservé au maraîchage appelé «Lendeng» fait l’objet d’un contentieux.

D’ailleurs, ce litige foncier avait amené en 2017, le ministre du Renouveau urbain, de l’habitat et du cadre, Diène Farba Sarr à prendre un arrêté portant autorisation de lotir un Terrain non immatriculé (Tni) dénommé «Extension A de la série G de Rufisque Est» sis à Rufisque, d’une superficie de 15 hectares 95 ares 32 centiares pour le compte de la commune de Rufisque Est.

Cet arrêté, ministériel, en son article premier stipule que la commune de Rufisque est autorisée, sous réserve des droits des tiers et de l’administration, à procéder au lotissement d’un Terrain non immatriculé dénommé « extension A série G » d’une contenance de 15 hectares 95 ares 32 centiares sis à Rufisque. Dans l’article 2, le lotissement qui comprend quatre cent trente-quatre (434) parcelles de terrain numérotées de 1 à 434 d’une contenance variant entre 150 et 209 m2 ainsi six espaces verts, une chapelle, un équipement scolaire, un complexe sportif, un poste de police, un marché, une place publique, une case des tout-petits, et un institut islamique doit être réalisé conformément aux plans revêtus de la mention d’approbation.

Dans ledit arrêté en son article 3, il est indiqué que le lotisseur cède gratuitement à l’Etat ou aux  collectivités publiques les emprises nécessaires à la voirie et aux équipements publics correspondants au besoin du lotissement et rendus nécessaires par sa création, après l’achèvement des travaux. Il réalise également une étude d’impact environnemental. Au total, 8 articles dudit arrêté ministériel ont été pris pour valoir ce que de droit.

Mais cet arrêté du ministère n’a pas suffi à calmer la situation opposant d’une part les propriétaires fonciers et d’autre part  les exploitants dudit foncier. Face à cette situation, le sous-préfet de Rufisque Est, Abdou Aziz Diagne, a pris en avril 2022, un arrêté portant interdiction de travaux sur une partie du lotissement dénommé « Extension série G». Avec cet arrêté, l’autorité administrative a pris, entre autres mesures, dans l’attente de la finalisation de cette procédure, qu’aucune initiative, autre que le maraichage, ne soit prise sur cette zone. Sur ce site sont autorisés tous les travaux de terrassement et bornage en accord avec les occupants traditionnels sur la partie du lotissement en question. Il est interdit aux deux parties  d’intervenir d’une manière ou d’une autre dans une zone qui ne leur est pas réservée pour éviter tous risques de troubles à l’ordre public. Le présent arrêté s’applique uniquement à la zone couverte par le lotissement autorisé et relevant du domaine  national.

Cherté des factures de Sen’Eau, remontée de la nappe phréatique

Les maraîchers de Lendeng dans le dur ! (encadré)

La cherté des factures de Sen’Eau et la remontée de la nappe phréatique impactent négativement sur les revenus des exploitants agricoles de Lendeng.

Pathé Thiaw, contremaître de son état, et venant de la commune de Ndoffane (région de Kaolack), est tout heureux de travailler dans les champs de Lendeng puisqu’il y gagne son pain et ce, malgré la cherté des factures d’eau et la remontée de la nappe phréatique. Et de dire : « Je trouve mon compte dans ce champ qu’on m’a donné à cultiver. A chaque récolte les 30% de la vente me reviennent. Et je ne m’y plains pas trop. Sauf, quelques difficultés liées à la cherté des factures de Sen’Eau et à la remontée de la nappe phréatique m’angoisse ».

Surpris d’entendre que les exploitants de Lendeng utilisent l’eau de la Sen’Eau pour la culture, je marque mon étonnement. « Ah bon? Je n’ai jamais imaginé que les champs sont arrosés par la Sen’Eau ». Pathé Thiaw nous rassure : « C’est la même eau que tout le monde utilise. Le seul bémol, c’est la cherté des factures. Personnellement, je viens de payer ma facture mensuelle, il y a seulement 2 jours à plus de quatre cent cinquante mille francs CFA (+450 000 FCFA) ». Mais cette situation est loin de les décourager, encore moins de les amener à tenter l’immigration: « j’avoue que par moment, le découragement nous tente. Surtout lorsque la facture d’eau est très salée et que les moyens financiers ne sont pas disponibles ». Pour s’en convaincre il dit ceci : « la situation est difficile et j’en veux pour preuve, des exploitants qui ont été tout simplement privés (coupés) d’eau dans leurs champs, faute de n’avoir pas payé leur facture ». Convaincu qu’ils n’ont d’autres choix que de faire avec, il déclare : « Nous sommes des responsables de famille, nous n’avons d’autres choix que de nous contenter de ce qu’on y gagne ». Car, « nous ne pouvons pas voler encore moins quémander », fait-il savoir.

Autre difficulté notée dans cette zone agro-écologique, celui de la remontée de la nappe phréatique. Elle demeure une réalité, car une bonne partie de cet espace agricole n’est plus exploitable.  « Beaucoup d’eaux stagnent ici, nous empêchant d’exploiter plus d’espace. Et cela, depuis deux ans déjà que la remontée de la nappe phréatique nous pose de sérieuses difficultés. Cette eau salinise les terres, rendant ainsi inexploitable une bonne partie des terres».

Par Jean Pierre MALOU  

SUDQUOTIDIEN

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