Plus loin avec… Pr Amsatou Sow Sidibé sur le dialogue national

: «Si on ne s’occupe que du 3ème mandat, on ne va pas se concentrer sur l’essentiel»

Le dialogue national est lancé, mais pour Amsatou Sow Sidibé, professeure de Droit et agrégée des Universités, il ne peut y avoir de concentration possible tant que cette affaire de 3ème mandat n’est pas réglée. La présidente de «Car Leneen», qui a magnifié ce dialogue prôné par le chef de l’Etat, Macky Sall, invite ce dernier à se concentrer sur les préoccupations des Sénégalais. L’ambassadrice de la paix, Amsatou Sow Sidibé, souhaite un dialogue franc et sincère, mais aussi plaide pour que la composition change. De plus, elle a demandé la réglementation ou la suppression définitive du parrainage dans le système juridique électoral sénégalais.

Le chef de l’Etat a convié à un dialogue national réunissant tous les partis politiques et les différents acteurs du pays, quelle est votre opinion sur le sujet ?
Je suis venue parce que je suis une mère, et j’ai beaucoup œuvré pour la prévention et la résolution des conflits, la consolidation de la paix. Je suis une femme de paix. J’œuvre pour la paix partout, dans mon pays comme à l’extérieur. Et voilà pourquoi en 2005, j’ai été nominée parmi 1000 femmes pour le Prix Nobel de la Paix. Je suis ambassadrice de la paix. J’ai enseigné la paix à l’université. Donc, je sais ce qu’est le dialogue. Et c’est ce que nous enseignons. Tous les conflits prennent fin autour d’une table de négociation. Alors, au lieu de laisser les choses empirer, autant commencer par cette négociation-là. Raison pour laquelle je suis là.

Le dialogue est lancé, mais les termes de référence ne sont pas encore définis. Concrètement, qu’attendez-vous de ce dialogue ?
Je voudrais que la composition des membres de la table de négociation soit plus étoffée que ça, parce que j’ai l’impression que c’est unipolaire. Il n’y a qu’un seul pôle qui dit à peu près la même chose. Or, dans les négociations, il doit y avoir plusieurs parties qui sont en contradiction et qui discutent jusqu’à ce qu’on arrive à un consensus. S’il n’y a qu’une seule partie qui dit la même chose, ça ne s’appelle pas consensus. Donc, je souhaite que cela soit modifié, que les autres viennent. S’ils ne viennent pas, je ne peux pas qualifier cela de dialogue. Et je veux que le président de la Ré­publique se concentre sur les préoccupations des Sénégalais, qui sont des défis sécuritaires, défis pour la jeunesse, pour le panier de la ménagère… Donc, je veux qu’il y ait plus d’écoute et qu’il regarde et voie mieux. Comment ? Il ne peut le faire que s’il est concentré sur les problèmes des Sénégalais. Or, il n’y a pas de concentration possible tant que cette affaire de troisième mandat n’est pas réglée. Ni oui ni non, il faut qu’il dise maintenant non. Alors, c’est dans ces conditions-là que cette concentration sera possible. Et il pourra mieux s’occuper à organiser les élections pour 2024 et puis régler les défis, car il y a des défis sécuritaires graves. Aujourd’­hui, quand il y a violence, on dit que c’est le 3ème mandat, alors qu’il y a d’autres questions graves qui peuvent être à l’origine d’une déstabilisation du pays.

Je veux qu’il se concentre là-dessus. Il est le principal responsable de la sécurité du pays. Il en a la responsabilité régalienne. Or, si on ne s’occupe que des détails du 3ème mandat, on ne va pas se concentrer sur le plus important. Donc, je veux que le parrainage soit mieux réglementé ou disparaisse carrément de notre système juridique électoral.

Donc, vous êtes de ceux qui réclament la suppression du parrainage ?
Mais on ne sait pas ce qu’est ce parrainage, avec ce problème de doublon. Les Sénégalais n’ont pas la culture de parrainer une seule personne. Est-ce qu’il faut changer pour dire qu’un Sénégalais peut parrainer 2 ou 3 candidats en même temps ? Je ne sais pas. Est-ce qu’il faut diminuer le nombre de parrainages exigé ? Il faut qu’on discute de ce parrainage. Comme je l’ai toujours dit, le parrainage, tel qu’il existe aujourd’hui, est inhumain et dégradant, et il viole le secret du vote.

A l’avance, on sait qui va voter pour qui, avec ce parrainage. Donc, je crois qu’il y a des questions essentielles, mais il faut absolument que la composition du dialogue change. Le dialogue ne peut pas être d’un seul côté.

On va parler et tout le monde va applaudir : il est le plus beau, le plus gentil… On n’a pas besoin de ça. Chacun vient avec ses problèmes, on se regarde les yeux dans les yeux, on voit ce qui est possible et ce qui ne l’est pas, et puis on évalue.

Le pays est sous tension depuis quelques mois. Pensez-vous aujourd’hui que ce dialogue peut mettre fin aux querelles politiques afin que le Sénégal retrouve enfin la sérénité, gage d’une vie paisible ?
Pour moi, à propos de ce dialogue, si la composition ne change pas, et bien, je n’ai pas tellement d’espoir. Tel que je le vois là, où on dit vient dire : «bonjour, tu es gentil, tu es beau», ce n’est pas ça un dialogue. Un dialogue, ça doit être franc. On doit se dire la vérité. On ne doit pas se caresser dans le sens du poil. Or, c’est ce que j’ai ressenti aujourd’hui. Et il faut vraiment, si on veut que ce dialogue réussisse, changer de fusil d’épaule. Pendant le dernier dialogue, j’avais suggéré l’organigramme avec ses commissions, mais je n’ai assisté qu’à une réunion et à la deuxième, j’ai quitté la table parce que je savais que ce n’était pas sincère. Je ne veux pas que ça se reproduise aujourd’hui.

Professeure d’université et ambassadrice de la paix. Quel appel voulez-vous lancer aux Sénégalais ?
Les tensions, il faut que ça cesse. Ça n’arrange personne. Et ce n’est bien pour personne. Toute personne qui fait de la violence est en train de détruire le tissu social sénégalais et de se détruire lui-même, de détruire sa propre famille, de détruire ses amis, de détruire le Peuple. Ça, c’est éminemment négatif. Mais je dis qu’il faut que la composition change. Si c’est encore pour venir et dire les mêmes choses, on s’arrange entre nous, on fait des deals, ça ne peut pas passer et ça va nous faire perdre du temps. Des deals positifs pour la société, on peut, mais des deals contre le Peuple, on dit non. Les deals contre le Peuple, je le dis, je le répète : «On dit non aux deals contre le Peuple.»
Propos recueillis par Ousmane SOW

LEQUOTIDIEN

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