Présidentielle au Gabon: interrogations autour de la gestion de la dette
Alors que les autorités de la transition assurent avoir remboursé plusieurs centaines de millions de dollars à leurs créanciers, la note du Gabon a quand même été dégradée par l’agence Fitch en janvier. À deux jours de la présidentielle du 12 avril 2025, l’opposition accuse Brice Clotaire Oligui Nguema et son gouvernement de ne pas dire toute la vérité.
L’État du Gabon s’est efforcé de rembourser sa dette. Cette dernière est passée de 71% de son PIB en 2023 à 67% en 2024, selon Fitch (la norme communautaire de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale étant de 70%). Plutôt 54%, disent les autorités qui refusent d’y inclure des arriérés comme les retraites et les soldes des fonctionnaires.
« Une manière de compter peu conventionnelle », souligne Cédric Jiongo, analyste économique chez Sikafinance. Charles Mba, ministre du Budget et de la dette, déclarait début février à la télévision gabonaise avoir concrètement pu rembourser 266 milliards de francs CFA (405 millions d’euros). Le pays s’est notamment acquitté en avance d’une échéance internationale importante, en levant de la dette sur les marchés régionaux. Une manœuvre qui n’a pas convaincu tous les économistes de la région, mais qui a donné un peu de marge aux finances publiques gabonaises.
Cependant, l’agence de notation Fitch projette un nouveau rebond de la dette en 2025 et 2026 : elle anticipe en particulier une baisse des revenus pétroliers et des déficits budgétaires plus importants.
« Beaucoup reste à faire »
Car si les autorités ont fait des efforts pour apurer des arriérés de paiement envers les grands créanciers tels que la Banque mondiale, « beaucoup reste à faire » concernant la « soutenabilité de la dette », souligne un économiste d’une grande institution qui a requis l’anonymat. Si la transition, en prenant le pouvoir en août 2023, a hérité des dettes du système Bongo, elle a aussi fait le choix d’une politique très ambitieuse : rachat de deux compagnies pétrolières, création d’une compagnie aérienne nationale, paiement d’arriérés de pensions, etc. « Il ne semble pas y avoir de réelles priorités », s’interroge encore cet expert.
Pendant sa campagne, l’opposant Alain-Claude Bilie-By-Nze n’a pas retenu ses coups contre la transition sur ce thème. Il y a encore quelques jours sur la chaîne Africa 24, il accusait le pouvoir de ne pas dire la vérité : « Il y a de la dette cachée, il y a de la dette intérieure non comptabilisée, de la dette extérieure vis-à-vis notamment de fonds vautour, non comptabilisée. Il y a des dettes contractées pour acquérir des parts dans des entreprises. »
Alain-Claude Bilie-By-Nze parle de 8 500 milliards de francs CFA de dettes, quand, selon les chiffres du gouvernement, elle vient de passer sous les 7 000 milliards. Ces attaques, de la part du dernier Premier ministre d’Ali Bongo, lui valent des réponses musclées des soutiens de la transition. « Ceux qui se plaignent aujourd’hui ont habitué les Gabonais à des postures fallacieuses, arrogantes. Quand on a un bilan comme le leur, comme lorsque nous arrivons en septembre 2023 avec le président Oligui Nguema, et qu’il y a des échéances de dettes qui ne sont pas remboursées… Le Gabon était au ban de la communauté internationale parce qu’il ne tenait plus ses engagements internationaux », répond la ministre de la Communication, Laurence Ndong et porte-parole du candidat Oligui Nguema. « La première chose qui a été faite a été de rembourser ces échéances de dette. On a trouvé un pays endetté à 7 500 milliards, une dette creuse pour laquelle on n’a vu aucune infrastructure [être réalisées, NDLR]. Donc, aujourd’hui, le Gabon tient ses engagements en matière de dette, tous nos bailleurs ont été remboursés », met-elle en avant.
Dans son budget 2025, l’État compte sur une hausse de 9 % de ses revenus
Pour financer ces projets de politique sociale et d’infrastructures ambitieuses sans creuser encore plus la dette, les autorités de transition ont réussi à présenter une loi de finances 2025 à l’équilibre. « C’est une manière de faire courante dans la Cemac. En début d’année, les États affichent des projections budgétaires très optimistes. Mais la loi de finance sous-estime souvent les montants réels à mobiliser et intègre les évolutions dans le projet de loi de finance rectificatif en cours d’année », souligne Cédric Jiongo. Dans son budget 2025, l’État gabonais compte ainsi sur une hausse de 9 % de ses revenus comparés à l’année passée, et notamment dans les domaines minier et pétrolier, dans un contexte qui n’est pourtant pas favorable, note-t-il par exemple. Des réductions de budgets dans certains secteurs ont été par ailleurs actées : – 60 milliards de FCFA dans la construction, les logements et équipements ; – 13 milliards concernant la gestion et le contrôle des ressources hydrauliques, énergétiques et pétrolières ; ou encore – 5,5 milliards de FCFA dans l’économie forestière et l’environnement.
Depuis le début de l’année déjà, deux nouveaux emprunts sont envisagés par les autorités : 200 millions d’euros auprès d’Afreximbank (un projet d’ordonnance du 20 février autorise l’État gabonais à cet emprunt), 98 milliards de FCFA auprès de Cargill Financial Services. Une dette qui viendra s’ajouter au stock existant…
Du côté des autorités, on se veut rassurant et on jure que tout est sous contrôle. Le FMI, dont le dernier programme n’a pu être mené à terme, soulignait il y a quelques mois « le caractère actuellement expansionniste de la politique budgétaire et la persistance de faiblesses structurelles et de gouvernance ». Une source au fait du dossier se dit « bien moins alarmiste qu’il y a 18 mois ». Depuis le 1ᵉʳ septembre 2023, le remboursement de la dette a absorbé 45,6% des ressources de l’État. Dans sa dernière publication, le FMI soulignait cependant « l’urgence d’une consolidation budgétaire » afin de garantir notamment la viabilité des finances publiques.
Tout n’est pas qu’une question de chiffres, assume une source institutionnelle. « Il s’agit de créer la confiance avec les institutions », souligne-t-elle. « Les grands bailleurs viendront et ils ne vont rien nous imposer », a acté solennellement à la télévision Brice Clotaire Oligui Nguema.