Le Mma, nouveau tremplin pour les lutteurs sénégalais

Les arts martiaux mixtes, souvent désignés sous l’acronyme anglais Mma (Mixed martial arts), sont en pleine conquête planétaire, et le Sénégal n’y fait pas exception. Ce sport de combat, qui combine plusieurs autres disciplines, est en train de faire une percée dans l’arène sénégalaise, poussant de nombreux lutteurs à tenter une transition vers l’octogone (cage de huit côtés où se tiennent les combats). Grâce à leur détermination et à leur ténacité, des ambassadeurs comme Bombardier, Siteu, « Reug Reug » et Tafisr Bâ font briller le Sénégal sur la scène internationale.

Au Sénégal, la lutte demeure une tradition bien ancrée. Elle déchaîne les passions, fait battre les cœurs des hommes comme des femmes, des petits comme des grands. Discipline de référence, omniprésente dans le temps et dans l’espace, elle est considérée par des milliers de jeunes comme un tremplin pour un avenir meilleur. Chaque week-end et même pendant certains jours de la semaine, l’arène vibre au rythme des exploits des lutteurs de tout ordre ; l’honneur suprême étant d’être couronné «Roi des arènes».

Mais ces dernières années, le Mixed martial arts ou Mma, anciennement appelé « Free fight », a gagné en popularité, tant aux niveaux amateur que professionnel. Cette discipline, qui combine différents types d’arts martiaux comme le jiu-jitsu, la boxe anglaise ou thaïe, attire aujourd’hui de nombreux lutteurs désireux de se faire un nom. Et des gains. Avec de dignes représentants, le Sénégal brille dans le monde du Mma qui ne fait pourtant pas partie de sa tradition sportive. Aujourd’hui, le pays peut aussi se targuer d’avoir un fils pionnier de ce sport aussi exigeant que passionnant en France, dont il est l’un des acteurs principaux de la légalisation du Mma en 2020. Né au Sénégal d’un père béninois, Bertrand Amoussou a été multiple champion de France de judo et quatre fois champion du monde de ju-jitsu fighting.

Président de la commission française de Mma (Cfmma), il a aussi été à la tête de la Fédération internationale d’arts martiaux mixtes (Immaf) de 2013 à 2015. La naissance du Mma professionnel au Sénégal est actée le samedi 5 mai 2018, avec le combat ayant opposé deux fils du pays, Bombardier et Rocky Balboa, à l’Arena de Genève (Suisse). Le duel a duré quelques secondes. Le B52 de Mbour a malmené son adversaire avant de le mettre K.O. Bien après lui, Siteu a, lui aussi, pris d’assaut le monde du Mma pour combler ses saisons blanches dans l’arène. Son agent américain, Legacy, l’avait testé face à Santos Holmes, le 4 juin 2019, en Californie (États-Unis). À cette occasion, « Yalmine » avait, sans difficulté, plié son adversaire. Après ce premier test réussi, Siteu a confirmé, le 28 septembre 2019, face à Carl Culpepper lors d’un choc organisé par Soboba Sports Complex, dans le cadre du World Heavyweight Championship. Cependant, le phénomène de Lansar a raté, en janvier 2022, son troisième combat face à Jakori Savage. Depuis ce revers, l’enfant de Diamaguène semble avoir tourné le dos au Mma. ;

TAFSIR BA, « REUG REUG», TAPHA TINE… DES VALEURS SÛRES DU MMA SÉNÉGALAIS

Dans l’univers impitoyable du Mma, décrocher un titre est loin d’être une mince affaire. Il faut faire ses preuves, et le chemin qui y mène est parfois parsemé d’embûches. Les débuts de « Reug Reug », Oumar Kane de son vrai nom, à la One Championship, remontent au 22 janvier 2021 à Singapour. Il y a hissé très haut le drapeau national. Trois années plus tard, en novembre 2024, à Bangkok, en Thaïlande, l’enfant de Thiaroye-sur-Mer a réalisé un grand exploit en dominant le Russe Anatoly Malykhin, champion invaincu aux 10 victoires par K.O. et classé dixième meilleur combattant de Mma poids lourds, toutes organisations confondues. Un succès qui a permis au combattant sénégalais de remporter le titre mondial des poids lourds One heavyweight. L’exploit lui a valu d’être élevé par le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, le 24 décembre 2024, en même temps que Mouhamed Tafsir Bâ, au rang de Chevalier de l’Ordre du mérite. Ce titre, qui est la marque indélébile de sa bravoure et de sa maîtrise de cet art de combat, lui ouvre de nombreuses portes, aussi bien en termes de notoriété que d’opportunités de carrière. Certains observateurs sont même convaincus que « Reug Reug » pourrait bientôt intégrer les grandes ligues comme l’Ultimate fighting championship (Ufc), la Professional fighting league (Pfl). Ce qui devrait augmenter sa valeur marchande et lui permettre de brasser des montants colossaux.

Outre « Reug Reug », Tafsir Bâ qui pratique la boxe anglaise, la boxe sanda (en amateur), le Mma et le kickboxing, est aussi en train de tracer sa voie. Athlète pétri de qualités, il fait partie des meilleurs dans les arts martiaux. En septembre dernier, il a été sacré champion du monde en kickboxing dans la catégorie des moins de 91 kg, après sa victoire sur l’Ouzbek, Murodbek Azimov. En Mma, il a signé, le samedi 30 novembre 2024, à Abidjan (Côte d’Ivoire), son deuxième succès en autant de combats, face au Nigérian Amao Sodik. Pour leurs grands débuts dans le Mixed martial art (Mma), quatre espoirs de la lutte ont été engagés par Éric Favre Nation Mma, le 30 novembre 2024, en Côte d’Ivoire. Serigne Ndiaye II avait dompté le Camerounais Fofé Thioffo Pierre-Eric dit Billy Black, tandis que Ada Fass avait pris le meilleur sur l’Ivoirien Dominique Dago.

Par contre, Alboury et Petit Lô avaient, malheureusement, échoué face respectivement à Koné Kassoum et Israël Mano. Quant à Malick Niang, Blindé, Thiatou Yoff, Call de Jap, motivés par Bombardier et surtout par « Reug Reug », ils restent des valeurs sûres du Mma et pourraient valoir au Sénégal beaucoup de satisfaction avec un bon encadrement. Le chef de file de l’écurie Baol Mbollo, Tapha Tine, a, lui aussi, de solides arguments pour réussir dans cette discipline. Seulement, le « Géant » du Baol, à presque 40 ans, pourrait éprouver des difficultés pour intégrer les prestigieuses ligues. Son baptême du feu est prévu le 1er février 2025, à Lomé (Togo), contre le Thaïlandais Benz. Depuis que le chemin a été défriché par Bombardier, beaucoup de lutteurs ont cédé aux sirènes du Mma qui offre de belles perspectives et s’accompagne parfois de revenus élevés. Son système de rémunération permet à certains combattants expérimentés d’amasser de rondelettes sommes au cours de leur carrière.

ENGOUEMENT DES LUTTEURS POUR LE MMA

Lorsqu’il croisait Balboa en 2018, le B52 était « Roi des arènes ». Son cachet était très loin de ce qu’il gagnait dans ce sport qu’il découvrait à peine. « Je dis souvent à mes frères lutteurs qu’on ne peut débuter une carrière de Mma et vouloir gagner tout de suite beaucoup de millions. Il faut faire ses preuves et intégrer les plus grandes ligues pour prétendre à de gros émoluments », relativise le lutteur à la retraite. L’engouement est réel ; même si la transition vers l’octogone n’est pas souvent aussi évidente. Pour Maître Dame Seck, expert sénégalais du Mma, l’appât du gain explique la ruée des lutteurs vers ce sport.

Pour espérer décrocher le jackpot, note-t-il, il faut trimer et gravir les échelons. « Comme dans le milieu de la lutte, il faut passer par les « mbapatt », faire ses preuves et réaliser des exploits avant de prétendre à de gros cachets », explique-t-il. Les lutteurs qui ont fait leur entrée dans le Mma, précise-t-il, sont déjà des professionnels. Ainsi, relève Maître Seck, « ils peuvent facilement avoir des gains importants, mais la route est très longue ». Pour sa part, Bertrand Amoussou est d’avis qu’il est très difficile de vivre du Mma si l’on ne figure pas dans le Top 10 ou 15 mondial. Il assure que l’Ufc (Ultimate fight championship) est la ligue qui peut garantir au combattant de vivre correctement du Mma, à condition qu’il soit parmi les meilleurs. « Il y a aussi la Professional fighting league (Pfl) qui permet à ses champions comme Francis Ngannou de tirer leur épingle du jeu », précise-t-il. Plus connu sous le surnom de Pape Sène, Lamine Sène, surnommé « Black Rock » (Roc Noir) dans le milieu du Mma, est d’avis que le succès du Mma dépend de l’organisation avec laquelle le combattant est lié.

EN ATTENDANT LA LÉGALISATION

Avec un intérêt croissant des lutteurs pour le Mma, le Sénégal veut s’affirmer comme un carrefour du Mma. Cependant, en l’absence de fédération agréée, il est difficile de dire avec exactitude le nombre de pratiquants et de clubs qui existent au Sénégal. Maître Dame Seck informe qu’avant l’arrêt de leurs activités en 2020, la discipline était très dynamique au Sénégal. « J’ai beaucoup de clubs de taekwondo, ainsi que des clubs de Apkido qui sont tous dirigés par mes élèves partout dans le pays. Dans tous ces clubs, j’avais demandé qu’on crée une session Mma », explique l’expert sénégalais. C’est ce qui explique, à son avis, le foisonnement de clubs à Ziguinchor, Fatick, Kaolack, Saint-Louis… « Plus de 25 clubs de Mma, avec plus de 500 compétiteurs, pratiquaient le Mma dans toutes les catégories », précise-t-il. Malgré l’engouement suscité par la discipline qui est en train de conquérir le cœur des Sénégalais, sa légalisation se fait toujours attendre.

Le ministère des Sports tarde encore à autoriser sa pratique. « Nous avons de très grands combattants, malheureusement, on interdit la pratique de ce sport chez nous. Et le fait qu’on soit parti organiser un événement de Mma en Côte d’Ivoire en y amenant nos grands champions est une défaite pour notre pays », déplore Bombardier. Portée sur les fonts baptismaux en 2016, l’Association «Mma Sénégal» organisait régulièrement des combats amateurs, selon Maître Dame Seck, mentor de cette structure. « C’est en début 2020 que le ministère des Sports nous a demandé de surseoir à nos activités, le temps de voir la meilleure organisation à adopter pour le Mma, c’est-à-dire soit une fédération soit un Cnp », informe-t-il.

Le triomphe de « Reug Reug » en Thaïlande en novembre dernier, explique-t-il, a davantage mis en lumière ce sport de combat. « Nous avons relancé le ministère des Sports qui est actuellement dans les dispositions pour reconnaître le Mma. Il y a un cahier des charges qui nous a été remis et nous l’avons déjà rempli », rassure ce pionnier des arts martiaux au Sénégal. Maître Dame Seck demeure convaincu qu’en janvier 2025, « l’Association Mma Sénégal » sera enregistrée pour aboutir à la mise sur pied d’un Comité national provisoire (Cnp) de Mma. Pour sa part, Insa Diop, ancien pratiquant et actuel entraîneur de Mma, soutient que leur association a aussi déposé un dossier pour la pratique du Mma amateur. Du côté du Comité national de gestion (Cng) de la lutte, la Direction administrative et technique nous apprend qu’elle avait déposé un document au ministère des Sports pour faire en sorte que la lutte devienne une Fédération de lutte et disciplines associées où le Mma sera intégré. Cependant, le président de l’instance dirigeante de la lutte, Malick Ngom, reste prudent à ce sujet. Il affirme qu’ils vont continuer la réflexion par rapport à cette problématique du Mma au Sénégal.

LES AMBITIONS D’UNE NOUVELLE LIGUE 100% AFRICAINE

Si la lutte traditionnelle reste une préférence sportive locale, le Mma propose un défi physique supplémentaire. Ainsi, pour promouvoir les talents sportifs locaux et internationaux, le Français Éric Favre a lancé, en octobre 2024, à Dakar, la ligue Éric Favre Nation Mma. Cette nouvelle structure s’est assigné comme objectif d’offrir aux combattants une opportunité de mettre à l’épreuve leurs compétences en lutte, boxe, jiu-jitsu, entre autres arts martiaux. Éric Favre affirme que « cette organisation est la première Ligue de Mma 100% africaine ; une plateforme dédiée à la promotion des arts martiaux mixtes sur le continent africain ». En fusionnant passion, talent et diversité culturelle, affirme-t-il, cette ligue vise à propulser les athlètes africains sur la scène internationale tout en célébrant l’héritage sportif du continent. Et il invite tous les sportifs à les rejoindre dans cette aventure pour faire trembler rings et octogones d’Afrique et du monde entier.

Par Abdoulaye DEMBÉLÉ

LESOLEIL

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