RDC : quels sont les enjeux de la réforme constitutionnelle voulue par le président Tshisekedi ?
RTNC / AFP – Moins d’un an après le début de son second mandat, le président congolais Félix Tshisekedi appelle à une révision de la Constitution de la RDC promulguée en 2006 au motif qu’elle présente des « failles ». L’opposition s’insurge contre cette initiative et dénonce une volonté du chef de l’État de briguer un troisième mandat que lui interdit la Loi fondamentale. Tour d’horizon des arguments des partisans et adversaires du projet.
« Il est peut-être temps d’engager une réflexion nationale sur une réforme constitutionnelle afin d’éliminer les failles qui ralentissent le fonctionnement de notre appareil étatique ». Par cette phrase énoncée à l’issue d’un discours sur l’état de la Nation de près de deux heures, le président Félix Tshisekedi réitère, le 11 décembre, devant les élus du Parlement rassemblés et retransmis en direct à la radio télévision nationale congolaise, son souhait de procéder à une réforme de la Loi fondamentale. La Constitution actuelle a été adoptée par référendum en 2006. Elle a été révisée en 2011.
Genèse d’une initiative controversée
C’est hors, de Kinshasa, lors de visites dans des villes de province, que le président Tshisekedi a annoncé le projet de réforme constitutionnelle. Les motifs avancés n’ont pas toujours été identiques.
- Lors de son discours sur l’état de la Nation, il a été succinct en mentionnant « le démarrage raté ou plutôt retardé » de son nouveau mandat « en raison du temps nécessaire pour la désignation de la Première ministre et la mise en place des institutions conformément au prescrit de notre Constitution ». Selon le chef de l’État, cela relève de « failles qui ralentissent le fonctionnement de notre appareil étatique ». Pour rappel, la Premier ministre Judith Tulunka Suminwa a été nommée le 1er avril 2024, trois mois après les législatives de fin décembre.
D’autres arguments ont été avancés par le président Tshisekedi et son camp sur la nécessité de réformer la Constitution.
- une Constitution « dépassée » : le 27 novembre, lors d’un déplacement à Kisangani, le président Tshisekedi avait état du caractère dépassé de la Loi fondamentale qui ne correspondrait pas aux réalités congolaises.
- une question de souveraineté : l’une des critiques les plus virulentes serait que la Constitution porterait préjudice à la souveraineté du pays. Et ce d’autant plus qu’elle aurait été « élaborée à l’étranger et par des étrangers » selon Tshisekedi. L’article 217 de la Constitution est mis en cause. Il stipule que la RDC « peut conclure des traités ou des accords d’association ou de communauté comportant un abandon partiel de souveraineté en vue de promouvoir l’unité africaine ».
L’opposition et des organisations de la société civile font barrage
Selon l’opposition congolaise, cette initiative présidentielle de Félix Tshisekedi pour une réforme constitutionnelle cacherait une volonté de se maintenir au pouvoir au-delà de la limite des deux mandats. L’opposition y voit aussi une manoeuvre pour détourner l’attention des vrais priorités selon elle, économiques avec l’inflation, et sécuritaires avec la guerre à l’est du pays. Sur ce dernier point, la Constitution actuelle interdit toute modification de la Loi Fondamentale en état de guerre, en état d’urgence ou en état de siège. A cet égard, le pouvoir a confié à la Première ministre l’évaluation du maintien ou non de l’état siège instauré depuis 2021 dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri.
L’opposant Martin Fayulu, de la coalition Lamuka, qui se présente comme le candidat élu en 2019 contre Félix Tshisekedi et Joseph Kabila, démonte les arguments avancés pour la modification de la Constitution. « Non, Monsieur Félix Tshisekedi, la Constitution de la République n’entrave en rien le bon fonctionnement des institutions. Le retard dans la nomination du Premier ministre n’a absolument aucune base constitutionnelle », écrit-il dans un message sur son compte X. Il en veut pour preuve que les législatives ont accordé plus de 450 députés sur 500 à sa coalition l’Union sacrée.
De même, un autre ténor de l’opposition, Moïse Katumbi, souligne que le fameux article 217 qui braderait la souveraineté de la RDC selon le président Tshisekedi. Et de lui répondre : « la souveraineté n’est pas à confondre avec le territoire », qu’il n’est pas question d’abandonner.
Force est de constater que le projet de réforme constitutionnelle a eu pour effet de mobiliser et souder l’opposition congolaise et des organisations de la société civile comme la Lucha contre lui.
Les conditions de l’adoption d’une réforme constitutionnelle
Selon la Constitution, le président est tout à fait en droit de prendre une initiative de modification constitutionnelle. Le président Tshisekedi a ainsi précisé lors d’un déplacement dans le pays la mise en place dès l’année 2025 d’une commission qui sera chargée d’élaborer une Constitution « adaptée aux réalités » congolaises.
Il y a deux manières pour adopter une réforme constitutionnelle. La première est la voie référendaire, au suffrage universel. L’autre voie est de faire adopter la réforme constitutionnelle par au moins 3/5e du parlement congolais, composé par les députés nationaux et les sénateurs. C’est cette voie qui avait été choisie en 2011 par la majorité du président Kabila.
Jusqu’à présent, le président Tshisekedi a plutôt laissé entendre qu’il privilégierait le référendum en déclarant notamment que le choix revient au peuple. Lors de son discours sur l’état de la Nation, il n’a pas dit le mode d’adoption qu’il envisagerait, mais seulement veut « inviter [nos] compatriotes à une réflexion sincère ».
Reste que la majorité présidentielle réunie au sein de l’Union sacrée dispose d’une écrasante majorité.
Révision ou changement de Constitution
En 2011, 5 ans après l’adoption de la Constitution, le régime du président Kabila fait passer une révision de la Constitution qui concerne 8 articles. Dans l’exposé des motifs, la Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 souligne que certaines dispositions se sont révélées « inadaptées et handicapantes ». Elles touchent aussi bien aux institutions centrales que provinciales. Mais cette révision ne « [remet] pas en cause les options fondamentales […] en matière d’organisation du pouvoir d’État et de l’espace territorial de la RDC ». Parmi les retouches, l’élection du président au scrutin universel à un tour au lieu de deux. Cela a eu pour effet d’assurer la réélection du président sortant face à une opposition morcelée entre plusieurs candidats.
En revanche en 2015, une nouvelle tentative de réforme constitutionnelle du président Kabila a avorté face à la levée de boucliers contre une modification qui viserait à permettre un 3e mandat au président sortant. Des manifestations ont Les violences engendrées ont fait des dizaines de morts
Sur ce point, des garde-fous ont été institués dans la Constitution de 2006. L’article 220 constitue le principal rempart. Il stipule que « le nombre et la durée des mandats du président de la République » « ne [peut] faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle ». De même, il interdit de modifier « la forme républicaine de l’État, le principe du suffrage universel, la forme représentative du Gouvernement, […] l’indépendance du pouvoir judiciaire, le pluralisme politique et syndical. »
L’obligation de ne pas toucher à ces « articles verrouillés » de la Constitution interdit a priori un changement de Loi fondamentale. Les déclarations du président Tshisekedi ont été sur ce point prudentes. En revanche, dans son camp, on ne cache pas la volonté de non pas réviser, mais changer de Constitution, selon les propos du secrétaire général du parti présidentiel, UDPS, Augustin Kabuya.