Pourquoi de plus en plus de joueurs en activité rachètent-ils des clubs ?
Article rédigé par Andréa La Perna
France Télévisions – Rédaction Sport
Depuis un an, plusieurs footballeurs professionnels sont devenus actionnaires majoritaires de clubs de football en France et en Belgique. La tendance est nouvelle chez les joueurs en activité et répond au besoin de déjà préparer l’avenir.
Au cœur d’un été à l’actualité sportive très riche, écrasé par les Jeux olympiques, la nouvelle n’est pourtant pas passée inaperçue. Le 30 juillet dernier, Kylian Mbappé est devenu le propriétaire du Stade Malherbe de Caen, rachetant 80% des parts du club évoluant en Ligue 2 depuis 2019. Le nouveau joueur du Real Madrid n’est pas le premier à se frayer un tel chemin. Avant lui, d’autres gloires du football comme David Beckham ou le Brésilien Ronaldo se sont illustrés en prenant la tête, respectivement, de l’Inter Miami et du Real Valladolid.
En revanche, un nouveau pas a été franchi dans la mesure où ce sont désormais des joueurs encore en activité qui se retrouvent aux manettes de clubs professionnels européens. Dans l’année précédant l’investissement de Kylian Mbappé, N’Golo Kanté (Excelsior Virton), Sadio Mané (FC Bourges 18) ou encore Kalidou Koulibaly (CS Sedan-Ardennes) sont devenus actionnaires majoritaires de clubs en France et en Belgique.
Un contexte économique favorable
Si chacun de ces projets possède ses spécificités, tous répondent à une logique de placement financier et de préparation à l’après-carrière. Tous ces joueurs n’ont évidemment pas le temps de gérer la vie d’un club en même temps que leur carrière se poursuit à des centaines de kilomètres. « Sadio Mané se concentre sur sa carrière tout en préparant l’avenir. Il a une vision claire. Il ne veut pas se demander ‘Qu’est-ce que je dois faire ?’ à la fin de sa carrière », explique Cheikh Sylla, le président du FC Bourges 18 et l’homme qui a convaincu le 2e du Ballon d’or 2022 de l’aider dans son projet de développement du club aujourd’hui en National 2 (4e division française).
Pourquoi cette tendance s’intensifie-t-elle ces derniers mois ? « Les prix de vente fixés par les dirigeants actuels sont à la baisse, en tout cas en France. Ils ont éprouvé les crises des années Covid et la déflation des droits TV, dont des pertes extrêmement importantes avec Mediapro, insiste Pierre Rondeau, spécialiste de l’économie du football. De fait, cela attire les investisseurs. Les joueurs en activité sont aujourd’hui grassement rémunérés. Ils peuvent, sans trop de complications, diversifier leurs actifs en rachetant un club au rabais. »
Pourtant, la rentabilité de telles opérations reste encore à démontrer. La dépendance aux résultats sportifs rend les rentrées d’argent totalement incertaines. « C’est forcément à risques. Rares sont les clubs capables d’être à l’équilibre et ceux générant des profits sont encore moins nombreux. Et s’ils en génèrent, ils cherchent toujours à la réutiliser pour acheter des joueurs et augmenter les salaires pour se développer sportivement », déroule Pierre Rondeau.
C’est en partie pourquoi l’agent Yvan Le Mée ne recommanderait pas forcément à tous ses joueurs d’en faire de même. Il identifie deux conditions sine qua non : « avoir beaucoup d’argent » et « choisir un club dont le modèle économique permette de gagner de l’argent ». A titre d’exemple, le Stade Malherbe de Caen, que Kylian Mbappé a racheté, affichait un déficit de 2,8 millions d’euros (Nouvelle fenêtre) pour la saison 2022-2023. S’il peut très bien revendre le club dans quelques années pour un montant plus élevé que son prix d’achat, le profit n’est peut-être pas sa motivation principale.
Un investissement attrayant, rassurant et potentiellement bon pour la réputation
« La valorisation immatérielle » est à prendre en compte d’après Pierre Rondeau : « Si Kylian Mbappé développe l’image du club, il peut améliorer sa réputation et sortir de sa considération parisiano-centrée », développe l’économiste.
Au-delà de la finalité de l’investissement, devenir le propriétaire d’un club de football est infiniment plus attractif que d’autres manières de placer son argent. « Cela vend plus de rêve que les placements financiers dans des Ehpad et des maisons de retraite poussés par l’UNFP (le syndicat des joueurs professionnels en France)« , souffle Pierre Rondeau. Cette nouvelle génération de joueurs, biberonnée aux jeux vidéos, peut aujourd’hui mener sa propre partie de Football Manager grandeur nature.
Acheter un club de football, c’est aussi mettre les pieds en terrain connu. « Les joueurs, au-delà d’être des stars de leur sport, veulent de plus en plus exister en tant qu’entrepreneurs », souligne l’agent Yvan Le Mée, représentant Martin Terrier ou encore Ferland Mendy. Le projet de Sadio Mané du côté de Bourges dépasse d’ailleurs le simple achat d’un club.
« Pas un ‘one shot' »
« Il a envie de redonner au football ce que le football lui a donné. Il n’est pas venu pour un ‘one shot’, appuie Cheikh Sylla. Il vient de faire l’acquisition d’un hôtel particulier et a l’idée de le transformer en hôtel de luxe avec un restaurant étoilé. Sadio est aussi entré au capital d’une société locale qui compte 15 supermarchés. Il possède des biens immobiliers à Bourges. Ses frères, sa sœur et toute sa famille sont là. »
L’arrivée de l’international sénégalais a entraîné une hausse nette des ambitions sportives du club de quatrième division. Le FC Bourges 18 vise « la Ligue 2 avant 2030 ». Pour atteindre cet objectif, « le budget a presque doublé », annonce le président Cheikh Sylla. Les vestiaires ont été rénovés en novembre dernier, la construction des loges au stade Jacques Raimbault va débuter, un kinésithérapeute a été embauché à plein temps et le club peut se targuer d’avoir trois sponsors principaux : New Balance, Air Sénégal et l’entreprise locale des sirops Monin.
Y a-t-il des intentions cachées derrière le fleurissement de cette nouvelle pratique ? Est-ce le moyen de contourner une forme de taxe ? « En France, cela me paraît compliqué. L’inflation fiscale est assez importante, encore plus pour des joueurs déclarés fiscalement à l’étranger. Pour le cas de Kylian Mbappé et de l’Anglais Trent Alexander-Arnold (dont on prête la volonté de racheter le FC Nantes, ce que le président Waldemar Kita a démenti), qu’il s’agisse d’une tentative d’optimisation fiscale serait surprenant », analyse Pierre Rondeau.
Un problème risque en revanche de se poser lorsqu’un joueur de football croisera la route d’une équipe dont il est le propriétaire sur la pelouse. A ce jour, les statuts de la Ligue de football professionnel (LFP) ne prévoient pas de disposition particulière. Mais, au même titre que la multipropriété, la question finira sûrement par être considérée.